Les Violons du Roy a 15 ans Par Anne-Catherine Hatton
/ 1 mai 1999
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Il y a quelques jours, Bernard Labadie,
directeur artistique des Violons du Roy, faisait une visite éclair à Montréal pour
lancer le sixième disque, Concerti pour cordes de Vivaldi, et la première saison
montréalaise 1999-2000 de cet ensemble de Québec qu’il a mis au monde il y a tout
juste quinze ans. Après une journée bien remplie, où il dirigeait en répétition
l’Orchestre symphonique de Montréal le matin et celui de Québec l'après-midi,
c’est finalement tard dans la soirée, de retour chez lui, qu’il a répondu aux
questions de La Scena Musicale.
Ce disque, Bernard Labadie l’a
conçu comme une anthologie réunissant des exemples de tous les styles d’écriture
concertante de Vivaldi, où certains des concertos pour solistes les plus connus de L'Estro
Armonico (ceux de l'opus 3) alternent avec des concertos pour orchestre que
découvriront sans doute la plupart des auditeurs, avec le souci d'offrir une palette
variée à tous les égards : tonalité, texture, instruments mis en valeur, style
d'écriture, et même continuo (théorbe, guitare baroque, clavecin et orgue utilisés en
différentes combinaisons pour varier les couleurs). À noter, l’étrange petite Sinfonia
al Santo Sepolcro, contrastant avec le reste du programme par le style exploratoire
que Vivaldi pratiquait à l’occasion. Un disque conçu donc pour pouvoir être
écouté d'une traite sans risque d'indigestion. Le choix de Vivaldi pour ce disque
s’explique non seulement par sa grande popularité auprès du public, mais aussi par
les affinités naturelles sur le plan stylistique entre ce compositeur et les Violons du
Roy. Les contemporains de Vivaldi évoquaient son style nerveux et vigoureux, épithètes
qui viennent naturellement sous la plume des critiques au sujet de cet ensemble.
« Le style de Vivaldi est très gestuel,
il colle à la technique du violoniste qu'il veut mettre en valeur. C'est une musique
très physique, ce qui explique pourquoi elle nous convient si bien. » Le fait
qu’une pléiade d'interprètes se soient déjà penchés sur ces partitions ne
dérange nullement Bernard Labadie, pour qui un musicien ne devrait pas chercher coûte
que coûte à apporter du neuf à la lecture d’une œuvre. S'il sait apprécier
les excentricités de certaines formations comme Il Giardino Armonico, il voit un
certain danger à ce que le désir de renouveler le discours, de décaper la partition,
devienne une fin et non plus un moyen. « La musique de Vivaldi est saine, naturelle. Elle
coule de source et est en harmonie avec le rythme vital. Pour moi, le naturel et la
fluidité du discours de Vivaldi sont deux aspects très importants à préserver. »
Malgré le plaisir de jouer ces œuvres
lumineuses, l’enregistrement d’un disque demeure pour Bernard Labadie une des
opérations les plus difficiles au monde, qui s’apparente, selon ses propres termes,
à la torture. C'est en effet, affirme-t-il, un processus long et répétitif, beaucoup
plus épuisant physiquement qu'un concert. Difficile de garder sa fraîcheur et son
inspiration, de jouer à chaque prise comme si c'était la première fois, sans le public
pour nous communiquer son énergie. La torture ne prend pas fin après l'enregistrement,
bien au contraire : « Le montage, pendant lequel il nous faut écouter "tous nos
mauvais coups", est très dur pour l'ego, surtout si on est moindrement
perfectionniste ». Enfin, dernière épreuve pour le directeur artistique : il faut
choisir la meilleure prise, un choix à son avis cornélien dont il ne sort pas indemne.
Vous l’aurez deviné, la quête de la
qualité est au centre des préoccupations de Bernard Labadie. En fondant les Violons du
Roy il y a quinze ans, il voyait le style, mais surtout la qualité de la sonorité
qu’il voulait donner à son ensemble. « Les mots qui reviennent si souvent pour nous
décrire, tels nervosité, précision, énergie, engagement, correspondent à ce que
j'entends dans ma tête depuis très longtemps. ». Une fois cette qualité atteinte, il a
levé la barre en faisant en sorte qu'elle demeure constante. « Pour moi, il n'existe pas
de concert mineur. Ce n’est pas parce qu’on joue dans une région reculée que
l’on se permettra de répéter moins ou de ne pas se donner entièrement. On ne fera
pas de compromis là-dessus, question de respect pour la musique et pour le public. » Lui
qui juge toujours de la qualité d'une tournée par le moins bon de ses concerts, sa plus
grande fierté, en ce quinzième anniversaire de son ensemble, est de commencer à être
plutôt content de ses « pires » prestations.
Bernard Labadie se réjouit du « virage »
pris depuis quelque temps déjà par le milieu de la musique baroque. On vit à son sens
à une époque absolument fascinante, où les cloisons jadis érigées entre les genres
commencent à tomber : les chefs des orchestres symphoniques empruntent au style
d'interprétation des baroqueux, tandis que ces derniers s'aventurent de plus en plus du
côté des classiques et des romantiques. Une époque avec laquelle les Violons du Roy,
qu’il a voulu capable de changer de personnalité et d’époque en un tournemain,
sont parfaitement en phase. Tout en reconnaissant l’utilité du purisme dans
certaines circonstances, il souligne la nécessité d’en revenir. « On est à une
époque où les murs élevés au nom de l'orthodoxie tombent sous l'assaut d'une chose
très naturelle, la convergence des goûts et des intérêts musicaux. De fil en aiguille,
on passe naturellement de Bach à Mozart, puis à l'opéra, etc. Le répertoire musical
est un continuum et ce décloisonnement est un phénomène très sain, qui va nourrir tous
les musiciens, baroqueux ou non. » Un coup d'œil à la feuille de route de Bernard
Labadie suffit pour constater qu'à cet égard, il prêche par l'exemple : directeur
artistique de l'Opéra de Québec, il dirige souvent divers orchestres symphoniques, dont
récemment l’OSM dans un concert Mozart.
De même, l'alliance entre archet baroque
et violon moderne qu'il a choisie pour sa formation témoigne de son désir de concilier
l'ancien et le moderne. Cette « formule combinée », accueillie à l'origine avec
scepticisme par les critiques mais qui s’est finalement imposée, lui permettra
d'offrir, la saison prochaine, un concert de musique romantique et moderne (Beethoven,
Hétu, Schönberg), ce dont aucun autre orchestre baroque n'est capable, souligne-t-il.
Une formule qui risque de susciter certaines réactions lors des concerts que donneront
dans quelques jours les Violons du Roy au Printemps du Québec, en France. « C'est un
défi, reconnaît Bernard Labadie, car le public européen est stylistiquement très
exigeant, possède davantage de références et des positions plus extrêmes qu'ici. On
part un peu à l'aventure, avec le risque de se faire rejeter, de ne pas se faire prendre
au sérieux à cause de cette fameuse « formule combinée » qui est encore plus
rare en Europe ».
Pour la saison 1999-2000, les Violons du
Roy innovent sur plusieurs tableaux : une « vraie » saison montréalaise de cinq
concerts, l’enregistrement de deux disques, dont les Variations Goldberg dans
des arrangements pour cordes de monsieur Labadie et le retour attendu du Messie. Enfin,
la pièce de résistance, la présentation à Québec, à Montréal et à Toronto de la Passion
selon saint Matthieu de Jean-Sébastien Bach. C’est le projet le plus ambitieux
de l'ensemble, un rêve caressé par leur chef depuis quinze ans sans avoir jamais pu
être réalisé ailleurs qu’au Japon, faute de financement. Un financement qui reste
d’ailleurs la première préoccupation des Violons du Roy : « Malgré notre position
plutôt enviable par rapport à celle de nombreuses formations, nous sommes toujours sur
la corde raide ». Concert du 15e anniversaire, vendredi 28 mai 1999 à 20h, salle
Louis-Fréchette du Grand Théâtre de Québec. Billets : (418) 643-8131 English Version... |
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