Christophe Landon, luthier Par Anne-Catherine Hatton
/ 1 mai 1999
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À 39 ans, Christophe Landon, luthier,
archetier et expert en instruments anciens a déjà atteint les sommets de sa profession.
Dans son atelier-galerie de New York situé en face de l'école Juilliard, qui accueille
aussi bien les étudiants que les grands interprètes, il expérimente sans cesse dans le
but de réaliser son rêve : fabriquer chaque fois un violon meilleur que les
précédents, un «violon magique».
La lutherie a été chez lui une vocation
précoce : « Déjà quand j'étais enfant, je fabriquais dans mon petit atelier des
flûtes de Pan en poirier, des guitares avec des calebasses africaines, etc.» Grâce à
son ami violoniste Jean Maillard, spécialiste de Guillaume de Machaut, il passe à
quatorze ans un premier été à Mirecourt, capitale française de la lutherie, où il
revient à dix-sept ans comme apprenti luthier, même si ses brillants résultats
scolaires auraient pu lui permettre de devenir ingénieur ou chercheur. Si sa formation
scientifique a eu l'avantage de lui « structurer le cerveau », elle lui est peu utile
dans son métier, car la lutherie n'est pas une science. « C'est une science comme était
la science au XVe siècle, c'est-à-dire empirique. Du temps de Léonard de Vinci, on
disséquait des cadavres pour étudier la médecine. De même, le luthier, encore
aujourd'hui, apprend par l'expérience et par la comparaison.»
Une particularité étonnante de la
lutherie est que ses règles n'évoluent plus depuis le XVIIIe siècle. « Le violon a
atteint le summum de la perfection avec Antonio Stradivarius et Giuseppe Guarneri del
Gesu. Depuis lors, on s'évertue à tenter de reproduire leurs merveilleux instruments.
Nous sommes des artisans à la recherche du Graal ». Un Graal qui passionne
Christophe Landon et le conduit, depuis vingt-cinq ans, à d'incessantes
expérimentations. Ainsi, il a pu obtenir une stupéfiante amélioration de la sonorité
en laissant le bois de ses violons s'oxyder à l'état naturel pendant plusieurs années,
ce qui a pour effet de le détendre, avant l'étape du vernissage. Outre le vernis, la
sonorité d'un violon tient beaucoup à la qualité et à l'âge du bois dont il est fait.
C'est, affirme Christophe Landon, le facteur naturel qui est si fantastique dans la
lutherie, l'importance du bois, sa beauté et sa magie. Le bois idéal sur le plan de
l'âge et de la densité, il se déclare prêt à tout pour se le procurer.
Quels critères utilise-t-on pour évaluer
un violon? Il n'existe pas de violon idéal, les critères varient considérablement,
selon la nationalité d'abord : en Allemagne, berceau de la musique de chambre, on
recherche surtout une palette étendue de couleurs sonores, tandis qu'à New York on
demande un son énorme! Le choix du type d'instrument est aussi question de personnalité,
affirme Christophe Landon. « Certains musiciens qui manquent d'assurance fuient les
violons qui sonnent trop, qui explosent. » Enfin, le luthier doit suivre les modes; par
exemple, aujourd'hui, la tendance est aux instruments puissants, qui portent bien dans les
grandes salles de concert.
De même, il y a souvent beaucoup de
subjectivité dans le choix d'un violon, reconnaît-il. À titre d'illustration, il
raconte l'histoire du violoniste André Rieu, qui essaie pendant deux ans tous les plus
beaux Stradivarius de la planète, a finalement le coup de foudre pour un instrument,
l'achète... et le rend à son propriétaire immédiatement après avoir appris que
finalement, ce n'était pas un Stradivarius! « C'est fabuleux cette histoire, s'exclame
Christophe Landon, ça prouve qu'il existe des violons qui sonnent comme des Stradivarius,
mais aussi que c'est dans la tête que tout se passe; il n'existe pas de relation
linéaire entre la valeur et la sonorité d'un violon. »
Par ailleurs, s'il faut donc faire preuve
d'ouverture d'esprit pour choisir un violon, il est également important, souligne le
luthier, de « donner sa chance à l'instrument », c'est-à-dire de lui permettre de
se bonifier en en jouant souvent, en le touchant, bref, en vivant avec lui. « Un violon
est un objet vivant, il ne faut pas le laisser tomber. Qu'il soit moderne ou ancien, un
violon sur lequel on a beaucoup joué sonne tout seul; au contraire, s'il est neuf, les
notes ne sont pas là. »
Pour Christophe Landon, les prix
astronomiques atteints par les Stradivarius, s'expliquent, comme dans le marché de l'art,
par leur rareté et par le jeu de l'offre et de la demande; ils sont encore plus
justifiés que dans le cas d'un Van Gogh, car c'est un outil. « Quand on est concertiste,
le son n'a pas de prix ». De même, il préférerait voir ces violons au musée plutôt
que dans les avions et les salles de concert où ils sont exposés à de fortes variations
de température et d'humidité. Et puis, le fait que les Stradivarius soient hors de prix
a de bons côtés, cela permet d'une part de donner leur chance aux jeunes artisans
d'aujourd'hui qui font des instruments magnifiques, et aussi de s'intéresser à d'autres
luthiers des siècles passés, affirme-t-il. Justement, il est en train d'écrire un livre
sur deux luthiers de Turin au XIXe siècle dont les violons sont extraordinaires et encore
méconnus, Joannes Franciscus Pressenda et Giuseppe Antonio Rocca.
Reconnu comme l'un des plus grands experts
en violons anciens au monde, il avoue continuer à apprendre tous les jours. «
L'expertise, dit-il, c'est l'histoire d'une vie. Tous les jours, j'emmagasine dans ma
tête de nouveaux détails sur chaque école de lutherie, Crémone, Mantoue, Turin,
Naples... Pressenda et Rocca ne sont pas les derniers grands luthiers qu'il reste à
découvrir, et c'est tant mieux car je ne me lasserai jamais d'apprendre. »
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