Leila Josefowicz : portrait d'une femme avec violon Par Philip Anson
/ 1 février 1999
English Version... Depuis qu’on lui a mis un violon miniature
entre les mains, à l’âge de trois ans, Leila Josefowicz se bute partout au succès.
Oubliez la blondeur californienne des cheveux, le sourire de jeune première et
l’allure décontractée qu’elle a ramenée de Los Angeles, où habitent ses
parents. A 21 ans, Josefowicz a laissé derrière elle ses années d’enfant prodige.
Aujourd’hui, c’est une artiste sérieuse, décidée à prendre sa place parmi
les figures légendaires qu’elle admire, par exemple Nathan Milstein, Jascha Heifetz
et Fritz Kreisler. «Chez eux, la sonorité est tout, la
technique passe en second», déclarait-elle le mois dernier dans son appartement du Upper
West Side à New York en parlant de ses idoles, dont les disques garnissent ses
étagères. «J’aime la façon dont on jouait à l’époque. J’écoutais
Bronislaw Huberman récemment. Son jeu n’est pas parfait, mais il avait l’audace
d’être unique. Il ne se préoccupait pas de ce qu’on disait de lui.»
Ces temps-ci, les enregistrements occupent beaucoup Josefowicz. Le jour précédant notre entrevue, elle terminait un nouvel album pour Philips
Classics: un programme «américain» contenant des arrangements inédits de Heifetz, du
Gershwin, les Variations sur Yankee Doodle Dandy de Vieuxtemps et un air de ragtime
écrit pour elle par le pianiste John Novack.
Josefowicz adore faire des disques. «Je me livre autant en studio
qu’en concert, sinon davantage, explique-t-elle. Un disque, c’est pour toujours.
Je joue comme si je n’allais plus jamais toucher à mon instrument.» Mais c’est
une entreprise exigeante. L'enregistrement du dernier CD lui a pris cinq journées de dix
heures. «Nous avons enchaîné les longues prises pour préserver la spontanéité du
jeu. Ce qui me guide, c’est une "image sonore" précise du résultat que je
veux atteindre. Je joue, tant que je n’ai pas trouvé l’esprit, le ton justes.
Heureusement, j’ai de l’endurance ! » Sur le montage, Josefowicz précise: «De
nos jours, les disques sont trop propres. On élimine toutes les imperfections. Je
préfère m’en tenir au minimum de manipulations. Aucune ne se fait sans
mon accord.»
Leila Bronia Josefowicz est née à Toronto le 20 octobre 1977 de
parents anglo-polonais hautement éduqués. Sa mère Wendy est généticienne, son père
Jack, physicien.
Leila a grandi en Californie. Dans ses premières classes de Suzuki,
à trois ans et demi, on découvre que Leila a l’oreille absolue et qu’elle
adore son instrument. À cinq ans, elle commence ses cours avec Idel Low; trois ans plus
tard, elle est prise en charge par Robert Lipsett, le meilleur professeur de violon de
Californie. Enfant prodige et mignonne de surcroît, la petite joue dans les salons de
Hollywood aussi bien que dans les salles de concert, entre autres les Concertos no 1
de Paganini, no 3 de Saint-Saëns, no 1 de Bruch, no 2 de Wieniawski,
no 5 de Vieuxtemps et no 3 de Mozart. Josefowicz n’a jamais eu le trac.
«J’aime être sur scène», dit-elle. À 10 ans, elle passe au réseau de
télévision NBC dans un hommage à Bob Hope, ce qui lui ouvre les portes de la puissante
agence IMG Management. «J’ai eu beaucoup de chance de me trouver un impresario, si
jeune», confie-t-elle.
À 13 ans, Leila entre au prestigieux Curtis Institute of Music à
Philadelphie, une petite école de 150 élèves, tous boursiers. Elle y étudie à
mi-temps jusqu’à 16 ans, puis s’inscrit à temp pleins au baccalauréat en
musique.
«J’aimais bien Curtis, dira-t-elle. Tout le monde se
connaissait. Nous formions une petite famille — tout à la différence de Juilliard.
Cependant, l’atmosphère était plutôt confinée.» Pendant que ses compagnons
d’étude rêvent de carrière, la sienne est déjà bien lancée. Elle fait des
tournées et côtoie des chefs d’orchestre comme Seiji Ozawa et Neville Marriner qui
devient son mentor.
Josefowicz a toujours été très disciplinée. Adolescente, elle se
levait à l’aube et répétait pendant plusieurs heures avant de partir pour
l’école secondaire, un établissement pour élèves doués où elle collectionnait
les bonnes notes. L’après-midi, elle étudiait avec ses professeurs de Curtis, Jaime
Laredo, Joseph Gingold, Felix Galimer et Jascha Brodsky. Elle n’avait pas 20 ans
qu’elle avait déjà joué avec les orchestres symphoniques de Philadelphie,
Cleveland, Los Angeles, Houston, Chicago, Montréal et Toronto. En 1994, elle signe un
contrat d’enregistrement exclusif avec Philips Classics et grave les Concertos
de Tchaïkovski et de Sibelius. Le jour de la collation des grades à Curtis, Leila était
occupée ailleurs: «J’avais un concert», se rappelle-t-elle. Après Philadelphie,
la violoniste s’établit à New York pour de bon.
Son prochain projet de disque sur l’étiquette Philips Classics
est un album de sonates «qui montrera toutes les facettes de mon jeu». Ensuite, en mai
avec «Charles» et l’OSM, elle enregistrera le Concerto de Mendelssohn, les Concertos
nos 1 et 2 de Prokofiev, ainsi que la Sérénade mélancolique de
Tchaïkovski.
Depuis quatre ans, elle joue sur le Guarnerius del Gesù de 1739 dit
«Ebersolt», que lui a prêté Herbert Axelrod. «C’est un merveilleux instrument,
quoique pas des plus faciles pour moi puisque j’étais habituée à un
Stradivarius», dit-elle en faisant référence à son «Ruby» de 1708, prêté par la
Stradivari Society en 1993-1994. Sur son album de 1995 consacré à Tchaïkovski et
Sibelius (Philips 446-131-2), elle joue de ces deux instruments.
En dehors du violon, Josefowicz mène une vie normale de jeune
femme. Elle joue au volley-ball (en portant des gants de boxe pour protéger ses mains),
adore Miles Davis, Ella Fitzgerald et Sarah Vaughan. Sa réalisation professionnelle la
plus singulière est sans doute le CD intitulé Violin for Anne Rice, une
compilation habilement jumelée avec la sortie du roman Violin d’Anne Rice.
«C’était une idée de Philips Classics. Anne Rice voulait écouter du violon
pendant qu’elle écrivait son livre. On lui a apporté toute une pile de disques,
dont les miens. Et puis elle a voulu me rencontrer. Voilà!»
Leila Josefowicz refuse, et c’est tout à son honneur,
d’avoir recours aux techniques de marketing lénifiantes qui ont transformé Vanessa
Mae, Ofra Harnoy et Liona Boyd en vedettes grand public. Elle se réserve le droit
d’approuver les photos qui apparaissent sur ses disques («Pas de quétaineries!»).
De Philips Classics elle dit: «On me commercialise pour qui je suis. On n’essaie pas
de me nimber d’une fausse auréole.» À l’ère des battages publicitaires
gigantesques, Josefowicz veut se bâtir une carrière honorable sans compromettre son
intégrité artistique ni vulgariser son répertoire. «Je suis une musicienne sérieuse,
insiste-t-elle, et j’ai l’intention de le rester.»
Leila Josefowicz interprétera le Concerto en mi mineur de
Mendelssohn avec l’Orchestre symphonique de Montréal sous la direction de Charles
Dutoit les 2 et 3 mars à la salle Wilfrid-Pelletier de la Place des Arts, à Montréal.
Tél: (514) 842-9951. Billetterie de la PdA: (514) 842-2112
[Traduction : Michèle Gaudreau]. English Version... |
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