L'Année Tristan de Ben Heppner Par Philip Anson
/ 1 juillet 1999
English Version... Le ténor canadien Ben Heppner
prend congé cet été. « Tous les deux
ans, je me permets un été sans festivals »,
expliquait-il au cours d'un déjeuner à New York
le mois dernier. « J'ai besoin de passer du temps avec
ma femme et mes enfants », affirmait-il, laissant entendre
que le premier Heldentenor (ténor héroïque)
du monde est d'abord un père de famille et ensuite
un chanteur d'opéra.
C'est
ce qui explique pourquoi la vedette de 43 ans a décliné
une invitation à chanter Lohengrin au réputé
festival de Bayreuth (Allemagne) cette année. «
Ils désiraient un engagement pour cinq étés
consécutifs, et le calendrier des répétitions
était très long. Mais je ne vais pas changer les
règles dans ma famille, même pour Bayreuth. »
La
perte de Bayreuth est un gain pour le Canada, puisque Heppner
donnera deux récitals exceptionnels en juillet, l'un au
Festival de Lanaudière et l'autre au Centre national des
arts d'Ottawa. Pour la première fois en Amérique
du Nord, Heppner chantera le programme d'airs d'opéras
romantiques allemands (Wagner, Korngold, Weber, Beethoven) qu'il
vient d'endisquer chez RCA. Ce sera également la première
fois que le public canadien pourra entendre Heppner chanter un
air de Tristan und Isolde de Wagner, un opéra très
présent dans son esprit dernièrement.
Avec des Tristan chantés à
Salzbourg, Berlin, Florence, Chicago et New York, Heppner parle
de son « année Tristan ». Sa voix puissante
et son énergie physique en font un ténor de choix
pour les opéras longs, comme Le Vaisseau fantôme,
Lohengrin et Die Meistersinger, de Wagner ou l'Oberon
de Weber. Pourtant, avant août dernier, Heppner avait évité
le rôle terriblement exigeant de Tristan.
Son
premier Tristan à Seattle l'été dernier
a été considéré comme l'évènement
de l'année dans le monde de l'opéra. Le jour de
la mise en vente des billets, le standard de l'opéra de
Seattle a été débordé. Toutes les
représentations ont vite affiché complet, alors
que des amateurs de 44 états et de 13 pays de même
que tous les principaux critiques musicaux de l'Occident se dirigeaient
vers l'État de Washington. La pression était énorme
pour Heppner et une mauvaise performance aurait pu lui coûter
cher. Serait-il à la hauteur de sa réputation de
prochain grand Heldentenor?
«
Cela m'a fait un peu peur, avoue Heppner. En fait, j'avais choisi
Seattle pour mon premier Tristan parce que la ville sortait des
sentiers battus. J'ai été étonné
de constater que l'évènement était devenu
le point de mire du monde de l'opéra, éclipsant
même Bayreuth. » Décontenancé par l'attention
dirigée vers lui par les médias, Heppner a refusé
toute entrevue.
En
dépit des années de recherche sur l'histoire de
l'uvre et de deux mois de répétitions, il se demandait
toujours s'il pourrait traverser cette épreuve vocale
de cinq heures. « Je ne suis pas nerveux habituellement,
mais, en répétitions, je ne me sentais parfois
pas à mon meilleur », avoue-t-il.
Après
quelques coupures mineures, Heppner a donné les huit représentations
avec brio. Certains critiques lui ont reproché de chanter
trop prudemment, de se ménager en vue de l'épuisant
dernier acte. Aujourd'hui, Heppner en dit autant lui-même.
« Tristan est une très longue soirée
de chant. Un mauvais pli à l'acte I peut devenir un réel
problème à l'acte III. On peut épuiser ses
ressources vocales. Je ne voulais pas que cela se produise. »
Les
critiques ont en général été favorables,
voyant en Heppner un digne successeur des Lauritz Melchior et
Jon Vickers. « Un vrai Tristan vient d'arriver »,
lisait-on dans le New York Times. Et selon le USA Today,
le Tristan und Isolde de Seattle a été la
meilleure production d'opéra de l'année. Paradoxalement,
Heppner ne tient aucunement compte des critiques. « Je
ne les lis jamais, affirme-t-il. À quoi bon? Je préfère
m'en remttre aux personnes qui me connaissent et m'aiment. Ce
sont elles qui me disent la vérité. »
Après
Seattle, les offres se sont mises à pleuvoir. «
Comme si j'avais mis une grande annonce dans le journal! »
dit-il en riant. Il s'est soigneusement réservé
des Tristan à Salzbourg, Berlin, Florence, Chicago et
New York, décidé à perfectionner un rôle
qu'il décrit comme « une pierre angulaire de son
répertoire et une uvre qui a changé l'histoire
de la musique ».
Heppner
attend avec impatience la nouvelle production de Tristan
au Met de New York en novembre prochain, avec le metteur en scène
allemand Dieter Dorn. « Je l'ai rencontré à
Munich ce printemps afin de discuter de la mise en scène.
Il s'agira d'une production moderne, mais il n'entend pas imposer
de concepts étranges. »
Ayant
vécu plusieurs expériences douteuses de mises en
scène axées sur le Konzept, Heppner s'est
récemment engagé à fond dans les discussions
concernant les productions. « Autrefois, les chanteurs
n'étaient pas consultés. D'abord, les chefs étaient
aux commandes, puis, les metteurs en scène et même
les concepteurs de décors avaient tout le pouvoir. Mais
les chanteurs n'acceptent plus d'être dirigés sur
la scène comme des marionnettes. »
Du
Lohengrin minimaliste de Robert Wilson au Met l'an dernier,
Heppner déclare : « C'est une des fois où
j'ai le mieux chanté. Mais il n'y avait pas de mise en
scène, seulement de la chorégraphie. Les personnages
n'étaient pas développés. Wilson est un
artiste visuel. Il ne s'intéresse pas à vos idées
ou à vos sentiments. » Et Heppner se méfie
maintenant des opéras à la CNN. « J'ai déjà
fait un Idoménée qui était supposé
ressembler à Saddam Hussein. Quel ennui! »
On
a proposé à Heppner d'enregister Tristan und
Isolde avec Claudio Abbado et le Philharmonique de Berlin
au printemps, mais Heppner a préféré attendre
et perfectionner le rôle. Ses prochains disques seront
Das Lied von der Erde de Mahler avec Waltraud Meier et
l'Orchestre de la Radio bavaroise sous la direction de Lorin
Maazel (RCA) et un crossover d'airs de salon des années
1920 et 1930 de Coward, de Novello et d'autres. Il sera de la
nouvelle production de Fidelio au Met l'an prochain et
il prévoit chanter Énée dans Les Troyens
de Berlioz.
Pour
l'instant, il est ravi de revenir à Lanaudière,
où sa famille a pris des vacances il y a deux ans. «
Le public québécois aime le beau chant et achète
beaucoup de disques, fait-il remarquer avec plaisir. Il est en
mesure d'apprécier un récital sérieux. »
Renseignements
: Ben Heppner chantera Weber, Wagner, Beethoven et Korngold avec
l'Orchestre symphonique de Montréal sous la direction
de Charles Dutoit au Festival de Lanaudière le 24 juillet,
à 20 h. Tél. : 1 800 561-4343. Même programme
le 28 juillet à 20 h avec l'Orchestre du Centre national
des arts et l'Orchestre national des jeunes sous la direction
de Mario Bernardi. Tél. : (613) 755-1111.
[Traduction : Alain Cavenne] English Version... |