Olaf Bär: l'art du chant Par Joseph So
/ 1 juillet 1998
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Le baryton allemand Olaf
Bär est l’un des grands chanteurs de lieder qui ont succédé à
l’époque des géants Schreier, Prey et Fischer-Dieskau. L’élégance de
son expression et la fidélité aux exigences du compositeur
constituent les caractéristiques de sa prestation. En attendant le
récital qu’il donnera le 23 juillet prochain dans le cadre du
Festival international de Lanaudière, La Scena
Musicale a rencontré le chanteur à New York.
Olaf Bär est né en 1957 à Dresde, en
Allemagne de l’Est, dans un milieu ouvrier. Il est âgé de trois ans
lorsque ses parents répondent à une annonce publiée par l’Opéra de
Dresde qui cherche un garçonnet capable de jouer le rôle de Trouble,
l’enfant de Cio-Cio-San, héroïne de Madama Butterfly. Le jeune Olaf
jouera le rôle de Trouble dans 25 représentations de l’opéra dirigé
par le défunt Klaus Tennstedt. L’oeuvre de Puccini lui apporte un
immense plaisir : « La musique était très puissante pour un enfant,
mais j’ai adoré l’expérience. Madama Butterfly me donne encore la
chair de poule. » Ses parents lui achètent un piano et il apprend
vite à jouer l’opéra de Puccini du début à la fin.
À l’âge de 10 ans, il commence à chanter
comme soprano dans le choeur d’enfants de Dresde. À 18 ans, il entre
à l’Académie Carl Maria von Weber comme baryton lyrique, après quoi
il passe à l’Opéra de Dresde. En 1983, il se rend à Londres et gagne
le Concours de lieder Walther Grüner. Le pianiste Geoffrey Parsons
fait partie du jury et l’accompagne dans ses débuts à Wigmore Hall.
C’est le début d’une longue association sur scène et sur disque. «
J’étais alors un jeune chanteur sans expérience et je me compte
chanceux que Parsons m’ait pris en charge, se rappelle-t-il avec
gratitude. Geoffrey aimait vraiment la vie de musicien et j’ai
appris beaucoup de choses en le côtoyant. Il savait tirer ce qu’il y
a de mieux chez le chanteur qu’il accompagnait et possédait une
grande endurance et une bonne capacité de concentration. Je l’ai
rarement entendu jouer une fausse note! »
Au cours des années passées à l’Opéra de
Dresde, Olaf Bär joue les rôles de Gugliemo dans Cosi fan tutte, de
Papageno dans Die Zauberflöte, du comte dans Le nozze di Figaro,
d’Olivier dans Capriccio, de Marcello dans La bohème, d’Harlequin
dans Ariadne auf Naxos, de Wolfram dans Tannhäuser et de Don
Giovanni. Il chante aussi à La Scala de Milan, au Covent Garden de
Londres, à Chicago, Vienne, Amsterdam, Rome et Aix-en-Provence. Il
adore chanter et jouer sur scène et, ces temps-ci, l’opéra l’attire
autant que les lieder. Cependant, malgré qu’il soit fort capable de
tenir un rôle d’opéra et qu’il possède une bonne expérience dans ce
domaine, il trouve difficile d’en convaincre les directeurs
artistiques d’opéras étant donné qu’il est connu davantage comme
chanteur de lieder. Le chanteur souhaite vivement maîtriser le
personnage de Beckmesser dans Die Meistersinger parce que «
Beckmesser est souvent perçu comme un sot, mais je crois qu’il lutte
tout simplement pour trouver la meilleure façon de s’exprimer. » Il
aimerait également jouer le rôle « court mais beau» de Sharpless
dans Madama Butterfly. Si cela se produit, il sera parmi les rares
chanteurs ayant rempli les rôles de Sharpless et de Trouble.
Tout au long de sa carrière, Olaf Bär puise
dans le répertoire allemand et il croit qu’un chanteur devrait
d’abord chanter dans sa langue maternelle : « Un récital de lieder
ressemble à une conversation avec l’auditoire. Il faut que les liens
avec la langue soient naturels et sans entraves, ce qui est
impossible si vous ne la parlez pas couramment. » Il connaît bon
nombre de chanteurs de lieder américains célèbres dont la diction en
allemand laisse à désirer et il admet franchement qu’il ne se sent
pas à l’aise de chanter en italien au sein d’une troupe italienne.
Le baryton ne s’intéresse pas beaucoup à la musique contemporaine
.
Sa carrière connaît des hauts et des bas. Au
début des années 1990, sa voix subit un grave dérèglement. Il
explique : « Avant l’âge de 30 ou 35 ans, la voix d’un chanteur est
naturelle. Dans la trentaine, j’ai constaté que ma voix n’obéissait
plus aux commandes que je lui envoyais. » Il impute ces difficultés
à une mauvaise technique qui appliquait trop de pression sur une
partie des cordes vocales. « Quand le dérèglement est apparu, j’ai
pris de mauvaises habitudes afin de pallier la situation, ce qui a
eu comme effet d’empirer le problème. » Il doit alors se soumettre à
des séances de rééducation qui dureront presque deux ans. « J’ai dû
me débarrasser des mauvaises habitudes et réapprendre à chanter
correctement », explique-t-il. Il parvient à corriger les
déficiences physiques, mais des cicatrices psychologiques subsistent
: « Je devenais nerveux lorsque je chantais des extraits qui
m’avaient gêné dans le passé. Cependant, en me connaissant mieux
moi-même et en suivant de bons conseils, j’ai retrouvé ma confiance
en moi. »
L’un des artistes les plus prolifiques de la
maison EMI, Olaf Bär a pris part à l’enregistrement de 19 récitals
depuis 1983. La maison de disques a toutefois mis fin à leur contrat
exclusif en accusant la faiblesse des ventes de ses deux derniers
albums : des chansons de Noël allemandes et des lieder de
compositeurs d’opéra allemands. Le chanteur, lui, croit que
l’absence de publicité de ses albums par EMI et la baisse générale
des ventes dans le domaine de la musique classique sont les
véritables raisonspour la faiblesse des ventes. Il regrette qu’on
ait annulé l’enregistrement d’un disque de lieder de Schreker et
Marx. « Je ne me plains pas. J’ai vécu une bonne expérience avec
EMI, mais les maisons de disques ne doivent pas s’attendre à ce que
les lieder se vendent aussi bien qu’Andrea Bocelli ou L’elisir
d’amore interprété par Alagna et Gheorghiu. J’espère qu’une
entreprise indépendante s’intéressera à mes nouveaux projets. » Le
chanteur se moque de l’idée que ses disques rapportent beaucoup
d’argent. « EMI m’a donné un cachet au début pour les
enregistrements en studio, mais les droits d’auteur sont minuscules.
Peut-être qu’il y en aura pour mes petits-enfants! »
Aujourd’hui, il vit à Dresde avec sa femme,
une danseuse. Le couple vient tout juste d’emménager dans une
nouvelle maison et ils aiment passer le plus de temps possible
ensemble. Quels sont ses loisirs? « Mon passe-temps favori, c’est ma
femme. » Les voyages et la nature constituent ses autres grandes
passions. Il se rappelle avec bonheur son voyage de noces en
Australie. Maintenant âgé de 41 ans, Olaf Bär, l’un des chanteurs
les plus sensibles de notre temps, est à l’apogée de sa carrière.
Son récital au Festival international de Lanaudière vaudra bien le
détour.
Olaf Bär chantera Dichterliebe Op. 48 de
Schumann et des lieder de Mendelssohn, de Brahms et de Strauss à
l’église de Sainte-Julienne, à Sainte-Julienne, Québec, le 23
juillet 1998, à 20 h. Pour informations : 1-800-561-4343.
Billetterie : 1-800-361-4595. La Scena Musicale remercie monsieur
Bär et madame Caroline Woodfield de l’agence artistique ICM de New
York.
[Traduction:
Françoise Thomas]
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