Dmitri Hvorostovsky: Étoile de l'opéra et beau mec Par Philip Anson
/ 1 juin 1998
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La première question que tout
le monde se pose au sujet du baryton russe Hvorostovsky : «Est-il
aussi beau en personne?» Oui, le tigre de Sibérie est à la hauteur
de sa réputation de baryton le plus sexy du monde. Le jour de notre
entrevue, lorsqu'il a fait son entrée dans le café très chic du
Stanhope Hotel de New York, portant des lunettes fumées et une veste
de cuir noir, il dégageait une aura d'étoile de cinéma. Que l'on
appelle cela du charisme ou du magnétisme animal, il est indéniable
que son physique fait de Hvorostovsky un aristocrate de la nature.
Ces lèvres d'une sensualité sardonique, cette chevelure argentée
reconnaissable entre toutes, et ces yeux légèrement bridés où un
soupçon de cruauté tartare se mêle à l'atavisme slave - cet homme
est un paradoxe vivant : à la fois toute chaleur et froid comme de
la glace.
Mais, comme je m'en suis rendu compte lors de notre
entrevue en avril dernier, Hvorostovsky est plus qu'un autre beau
visage. C'est un artiste serieux, qui s'efforce d'atteindre à un
équilibre entre les exigences artistiques et les pressions
commerciales à une époque «très difficile pour la musique classique,
une époque ou même d'excellents musiciens sont délaissés par les
sociétés d'enregistrement».
Dima, comme l'appellent ses intimes, est né en
1962, dans la «grande, mais provinciale» ville sibérienne de
Krasnoyarsk. Son père mélomane veilla à le faire inscrire dans un
collège des arts de la scène. À l'époque, il s'intéressait
principalement à la boxe, au soccer et aux filles. En 1976, il
débutait à l'Opéra de Krasnoyarsk, où il faisait la connaissance de
sa future épouse Svetlana, une ballerine. La direction chorale,
l'enseignement de la musique et les concours l'occupèrent pendant
plusieurs années. Après qu'il eût remporté les honneurs du Concours
Glinka, la présidente du jury, le légendaire mezzo russe Irina
Arkhipova, lui suggéra de tenter sa chance à la Cardiff Singer of
the World Competition. Il devait décrocher le grand prix de
l'édition de 1989 de ce concours, ce qui lança sa carrière
internationale. Il fait remarquer que, comme les finales de ce
concours sont télévisées à travers le monde, «mon apparence physique
ne m'a pas nui.» Immédiatement après avoir remporté Cardiff, Dima
retenait les services d'un agent et concluait un contrat exclusif de
cinq ans avec Philips Classics.
Le fait que, à Cardiff, Hvorostovsky l'a emporté
sur le baryton gallois Bryn Terfel a donné lieu à une controverse.
Il se souvient : «Je ne savais pas qui était Terfel jusqu'aux
dernières éliminatoires, lorsque je l'ai entendu chanter Wagner.
C'est seulement à ce moment-là que j'ai eu des doutes quant à mes
chances de gagner le concours.» Terfel a décroché le prix
d'interprétation de Lieder - une distinction que
Hvorostovsky, dans son anglais un peu approximatif, caracterise
comme «l'un de ces prix qui servent à calmer les perdants.» Ce qui
n'a pas empêché Terfel, maintenant reconnu comme l'un des plus
grands chanteurs vivants, de se faire offrir un contrat par Deutsche
Grammophon...
La carrière de Hvorostovsky a pris un envol
spectaculaire avec ses débuts, en récital, à Londres (Wigmore Hall,
1989) et à New York (Alice Tully Hall, 1990), et à l'opéra, à la
Fenice (Eugène Onéguine, 1991), à Covent Garden (I
Puritani, 1992), au Châtelet (Eugène Onéguine, 1992), à
la Scala (Don Carlo, 1992), à Chicago (La Traviata,
1993) et au Metropolitan Opera (La Dame de Pique, 1995).
Entre 1990 et 1997, il a participé à 15 enregistrements, dont 9 de
récitals en soliste, un nombre important pour n'importe quel
chanteur. Plusieurs des enregistrements de Hvorostovsky ont été
portés par une image publicitaire de «beefcake baritone» qui a bien
failli lui coûter sa crédibilité artistique. «Ce n'était pas mon
idée, mais cette publicité échappait à mon contrôle. J'étais encore
si inexpérimenté il y a huit ans, je ne connaissais rien de la
gestion artistique. Je me suis donc laissé emporter.» Même s'il se
félicite du fait que son image ait contribué à le faire connaitre,
il est quelque peu gêné de se faire rappeler l'article du magazine
Elle paru en 1996 qui le sacrait «l'Elvis de l'opéra».
Malgré tout cela, Hvorostovsky n'est pas un snob.
Il pense que des spectacles du type «les Trois ténors» contribuent à
diffuser la musique classique dans le grand public et il a lui-même
donné un concert bien rémunéré dans un stade, en Islande. Néanmoins,
à 36 ans, la priorité de Dima est de se faire reconnaître comme un
artiste sérieux. Il fait valoir qu'il est un père de famille dont
l'épouse affectueuse lui a donné des jumeaux, Daniel et Alexandra,
maintenant âgés de deux ans. Il se donne beaucoup de peine pour
apprendre des cycles de mélodies de Moussorgsky, de Mahler, de
Glinka et de Chostakovich. Et, au moins jusqu'à maintenant, il a
résisté aux appâts financiers de projets qui lui feraient prêter sa
voix à des répertoires plus populaires.
Même si Philips Classics a essayé d'en faire «La
jeune voix électrisante de la Russie nouvelle», Hvorostovsky, en
fait, vit à Londres depuis 1994. Il est allé chanter au Kirov a deux
reprises, en 1988 et en 1991, à une époque où la compagnie en avait
encore les moyens, et il demeure un admirateur de la «direction
d'orchestre palpitante» de Valery Gergiev. Bien que ses parents
vivent encore à Krasnoyarsk, il ne retourne en Russie que trois ou
quatre fois par année. Il y compte de nombreux fans, mais aussi des
critiques, qui lui reprochent d'abandonner la Russie pour les gros
cachets des capitales occidentales. L'état actuel de la musique
russe ne peut que le chagriner «les subventions gouvernementales se
sont taries après la Perestroïka, de sorte que le rythme des
activités a beaucoup ralenti», mais c'est avec enthousiasme qu'il
envisage la perspective de sa première tournée russe, qui le mènera
en Biélorussie, dans les républiques baltes et en Ukraine au cours
de l'été.
Au plan du répertoire, Hvorostovsky n'a jamais
délaissé ses racines slaves. La musique russe demeure la plus proche
de son coeur et elle convient à merveille à sa voix riche et
profonde. Sa discographie comprend des enregistrements de nombreux
airs d'opéra, de musique chorale et de chansons folkloriques russes.
Curieusement, ce n'est pas lui qui a eu l'idée de l'album de
folklore Dark Eyes dont la diffusion, en 1991, a été
couronnée de succès. Dans son adolescence, quand il jouait dans un
groupe rock et idolâtrait Led Zeppelin, Deep Purple et Queen, il ne
s'intéressait guère aux chansons démodées que chantait sa
grand-mère. C'est Philips Classics qui a insisté pour mettre en
oeuvre ce projet et le résultat est l'un de ses enregistrements les
plus satisfaisants. Plus récemment, Dima s'est enthousiasmé pour
divers cycles de mélodies de son ami, le regretté composeur György
Sviridov, qu'il considère comme «le meilleur élève de Chostakovich».
Il a enregistré Russia Cast Adrift «la Russie à la dérive» en
1994 et déclare sans ambages que, «si Philips Classics refuse
d'enregistrer le nouveau cycle de mélodies «Pétersbourg», qui m'est
dédié, je suis certain qu'une autre étiquette le fera.»
Hvorostovsky a hâte de chanter Les Chants et
danses de la mort, le cycle de mélodies obsédantes de
Moussorgsky, avec l'Orchestre symphonique de Montréal au Festival de
Lanaudière cet été. Pour lui, ce sera là une occasion de se libérer
du «sentiment de culpabilité» qu'il éprouve depuis l'annulation de
son dernier concert annoncé à Montréal, en ajoutant que «Dutoit est
un chef d'orchestre avec qui tous les chanteurs rêvent de se faire
entendre!» Vous pourrez en juger vous-mêmes à l'Amphithéâtre de
Lanaudière, le 18 juillet 1998, à 20h00. Téléphone : 1(800)
561-4343, 1(800) 361-4595 (admission) ou, aux États-Unis,1(800)
678-5440.
[traduction par Pierre M.
Bellemare]
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