Livres
1 mai 1998
La biographie de Maria
Callas (1923-1977) écrite en 1978 par Pierre-Jean Remy (nom de plume
du diplomate-écrivain français Jean-Pierre Angremy, né en 1937,
membre de l'Académie française depuis 1988), vient d'être republiée
à l'occasion du 20ème anniversaire du décès de la
cantatrice.
Dans sa nouvelle introduction, Remy explique qu'il avait écrit ce
livre "très vite, d'un coup, tout de suite" après avoir appris la
mort de Maria Callas, "loin de tout souci littéraire". Cette
déclaration reflète bien le ton du livre, qui semble en effet écrit
à la hâte, avec un mélange hétéroclite d'information, la plupart
tirée d'on ne sait où, mais une partie provenant des journaux à
potins que l'auteur lui-même critique tant.
Remy nous présente les principaux événements et personnages de la
vie de Maria Callas, en y ajoutant des descriptions d'opéras, des
critiques d'enregistrements et de chanteurs, des citations de
journaux, des potins, des opinions personnelles, des questions, des
notions d'histoire de l'opéra qui n'ont aucun rapport avec Callas...
Un peu de tout, quoi! L'ouvrage contient également en annexe un
tableau de ses rôles à la scène, avec dates et lieux, dont la
présentation très structurée et systématique jure avec le reste du
livre. Mais c'est le seul livre à ma connaissance qui comporte ces
statistiques. Par contre, il ne contient pas de photos, d'index, de
bibliographie, ni de table des matières. Il ne peut donc servir
d'ouvrage de référence. Ce serait plutôt un essai.
Il y a beaucoup d'erreurs dans le livre: grammaire, ponctuation,
mots qui manquent, orthographes étrangères, etc., dont plusieurs
sont répétées systématiquement. Pourtant vingt ans se sont écoulés
depuis la première parution du livre.
Côté stylistique, le manque de "souci littéraire" amène l'auteur
à passer d'un style à l'autre (narratif, interactif; pensée libre,
faits; familier, formel) et d'avancer et reculer dans le temps de
façon étourdissante. Et toutes ces phrases sans verbe, ces idées
incomplètes! À nous de les compléter. Par contre, quand il se donne
à coeur joie dans ses descriptions farfelues, les résultats sont
parfois délicieux, comme celle qu'il fait d'Onassis ("cet homme à la
musculature de lutteur fatigué... qui achète presque les peintures
au mètre...").
La fantaisie peut donc avoir sa place dans un essai biographique,
mais pas la frivolité. Par exemple, après avoir mentionné le fait
qu'elle ait dit à son mari qu'elle voulait avoir des enfants, il
écrit "Et ses enfants d'opéra, Maria les a tués dans Médée, et Norma
les a abandonnés pour mourir: comment pouvons-nous rêver une Callas
mère de famille?" D'une part, il y avait bien assez de raisons plus
réelles que des rôles scéniques qui auraient pu nous empêcher de
rêver d'une Callas mère de famille. D'autre part, son désir d'être
mêre et les obstacles à ce désir, elle les prenait sûrement très au
sérieux; un biographe ne devrait pas les traiter à la légère.
L'auteur est
inconséquent. Tantôt il suppose que le lecteur connaît déjà toute
l'histoire de Callas, tantôt il nous enterre sous les détails
superflus. Il nous sort des noms parfois sans aucune autre
explication. Il nous parle de certaines représentations comme si
nous en avions tous entendu l'enregistrement ou lu les critiques. Ce
n'est donc pas le livre à recommander comme introduction au sujet.
Eric Legault
- Maria Callas, J'ai vécu d'art, j'ai vécu
d'amour
- David Lelait
- 249 pages, Éditions Payot & Rivages,
1997
David Lelait,
journaliste, auteur de "Evita, le destin mythique d'Eva Perón"
(Payot, 1997), se tourne maintenant vers un autre monstre sacré du
20e siècle, Maria Callas.
Bien qu'il soit loin d'être le premier à écrire une biographie de
la Callas, Lelait réussit à ajouter encore un peu à notre
compréhension de la psychologie du personnage. Il souligne
habilement certains traits de sa personnalité: la gaucherie sociale,
le manque d'empathie, la rigidité d'esprit, la manie des détails
(même en dehors du travail), le malaise vis-à-vis l'argent,
l'attachement trop rapide aux gens, la vulnérabilité. Il n'hésite
pas à souligner certains paradoxes: "A-t-elle du plaisir à chanter?
[...] On peut penser que non, ou tout au moins que le terme
«plaisir» n'est pas approprié: le chant de Maria n'a en effet rien à
voir avec le divertissement mais bien plus avec la gravité de
l'urgence. [...] Maria chante parce qu'elle n'a pas le choix, parce
qu'elle ne connaît d'autre expression que celle-là."
Quant aux amours de Maria, l'auteur mentionne clairement sa
relation sexuelle avec Bagarozy, son agent à New York en 1947, ses
sentiments naïfs et obstinés pour Luchino Visconti malgré
l'homosexualité de celui-ci, sa maturité 15 ans plus tard face à
Pier Paolo Pasolini, et ses dernières amours avec Giuseppe Di
Stefano. Il critique sévèrement son mari Battista Meneghini et
l'influence qu'il a eue sur sa carrière et ses relations
professionnelles. Il est aussi très sévère envers sa mère
Evangelia.
L'ouvrage comprend
également une chronologie, une bibliographie (bien que peu
descriptive et incomplète, puisqu'elle n'inclut même pas les livres
qu'il cite), une discographie et une vidéographie (seulement d'EMI,
mais sans les années d'enregistrement, hélas!). Par contre, il n'y a
pas d'index; le choix de photos laisse à désirer; et il ne parle
presque pas de son contrat avec la compagnie de disques Cetra.
L'ouvrage comprend quelques erreurs factuelles (e.g. la Manon de
Massenet n'est pas un rôle de mezzo) et typographiques. Mais
l'auteur compense largement ces quelques faiblesses par son écriture
raffinée et efficace, quasiment poétique par endroits, par exemple,
les résumés d'opéras, l'arrivée de Maria en Grèce, et la mort de
celle-ci. Cette biographie constitue une excellente introduction à
la vie tumultueuse de Maria Callas. Eric
Legault
- André Gauthier : Puccini
- Collection «Solfèges», Les Éditions du Seuil,
Paris, 2e édition, 1998, 187 pages.
Ce petit livre illustré est la réédition, presque sans
modifications, d'un ouvrage de 1961. On s'est contenté de changer la
couverture, en remplaçant une image monochrome (écarlate!) de Tosca
triomphant de Scarpia par un portrait en couleurs de Puccini. On a
également fait semblant de mettre à jour la mince bibliographie en
lui ajoutant trois ou quatre titres de livres postérieurs à 1961,
choisis un peu au hasard. Quant au reste, l'édition de 1998 est en
tout point une réimpression de l'originale, sauf que celle-ci
comportait une discographie fort utile qu'on n'a pas voulu se donner
la peine de remettre à jour et qui, désormais, manque totalement à
l'appel.
Ceci dit, si vous n'en possédez pas déjà un exemplaire et que
vous vous cherchez un bon ouvrage français sur Puccini, la
monographie de Gauthier, largement constituée de solides analyses
musicologiques qui ne se démodent pas, demeure très valable. En
fait, elle marque même une étape importante de la réception de
Puccini en France. L'introduction se lit comme un manifeste où
l'auteur annonce son intention de se porter à la défense d'un
compositeur jusque là généralement méprisé par la critique française
à cause de son «sentimentalisme», de ses «facilités» et de sa
popularité même. Puccini n'aurait pu trouver un meilleur avocat :
avec une expertise fougueuse et éloquente, Gauthier fait la preuve
du sérieux de l'auteur de Tosca comme compositeur de musique
savante, insistant particulièrement sur les audaces de son écriture
harmonique, en plus d'énoncer en détail les raisons qui font qu'on
doive le considérer comme l'un des plus grands dramaturges lyriques
de tous les temps. Gauthier, qui réussit l'exploit d'intégrer des
remarques techniques à un texte d'introduction dans l'ensemble fort
accessible, consacre aussi beaucoup d'espace à la promotion des
chefs-d'oeuvre de la maturité, Fanciulla del West, I
Trittico et Turandot, encore aujourd'hui beaucoup moins
appréciés du grand public que La Bohème, Tosca et Madame
Butterfly.
L'ouvrage présente
tout de même le défaut habituel de la collection «Solfèges», où l'on
essaie de faire la part tant à la biographie (complétée
d'illustrations photographiques) qu'à l'analyse (étoffée
d'illustrations musicales), ce qui, en moins de 190 pages, relève de
la quadrature du cercle. Dans ce cas-ci, l'auteur a naturellement
préféré privilégier l'analyse, ce qui fait qu'une fois passée La
Bohème (1896), on a l'impression que la vie de Puccini s'est
réduite à beaucoup de travail, une série de premières et... un
accident d'automobile -- aucune allusion aux flirts politiques des
dernières années, non plus qu'à la tragédie domestique (le suicide
d'une servante qu'Elvira Puccini accusait injustement d'être la
maîtresse de son mari) qui pourrait lui avoir inspiré le personnage
de Liu. Pierre Marc Bellemare
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