Un pur ravissementces nozze di figaro Par Jacques Desjardins
/ 1 mai 1998
Dès les premières
mesures, on savait que ces Noces auraient de l'énergie à
revendre. Bernard Labadie dirigeait ses Violons du Roy avec une
ferveur à la limite de la fébrilité. Son tempo de départ, nerveux et
endiablé, aurait pu nous essoufler s'il l'avait maintenu au-delà de
l'ouverture. Heureusement, les choses se sont placées dès le lever
du rideau. On surprend alors Figaro et Susanna, empêtrés dans leurs
draps, s'offrant un avant-goût de leurs ébats nuptiaux. La scène
déclenche quelques rires mérités : elle révèle déjà l'efficacité et
la souplesse de la mise en scène de Serge Denoncourt. La
scénographie sobre et dégagée favorise les nombreux déplacements des
personnages. Et on félicite Serge Denoncourt d'avoir réussi à faire
jouer ses chanteurs avec autant de naturel. Les dimensions plus
modestes du Théâtre Maisonneuve permettent d'apprécier davantage le
jeu des protagonistes et favorisent une meilleure projection vocale.
Évidemment, on n'est pas encore dans une vraie salle d'opéra, mais
on peut espérer qu'un jour, peut-être, Montréal l'obtiendra son
amphithéâtre voué exclusivement à l'art lyrique.
(Photo: Yves Dubé)
Cette coproduction de l'Opéra de Montréal et de l'Opéra de Québec
brille par la qualité de sa distribution. Brett Polegato et Lyne
Fortin en comte et comtesse Almaviva dominent une équipe qui aime se
donner la réplique : ça bouge et ça se répond du tac au tac. En ce
sens, les nombreux récitatifs défilent avec élan et l'usage d'un
piano-forte, une réplique d'un instrument en vogue au temps de
Mozart, au lieu de l'habituel clavecin, nous présente cette musique
sous un autre jour, sans aucune entorse à la pratique instrumentale
de l'époque.
Lyne Fortin et Brett Polegato font déjà partie de l'élite
internationale de l'art lyrique . Leur technique impeccable leur
permet de chanter d'une manière qui ne laisse transparaître aucun
effort. Chez lui, le timbre séduit dans tous les registres. Son jeu
scénique et l'ampleur de sa voix suivent les prescriptions du rôle :
voilà un grand baryton mozartien. À quand son premier Don Giovanni ?
Lyne Fortin nous démontre sa profonde compréhension du style dans le
très difficile Dove sono du troisième acte : elle ornemente
la reprise avec tant de grâce que sa prestation sidère le public,
qui n'a d'autre choix que de retenir son souffle durant ces longues
minutes de pur ravissement. Stephen Powell nous séduit par la
justesse de son jeu et de sa voix. Son personnage de Figaro lui va
comme un gant, bien qu'on aimerait que sa prononciation italienne
soit plus claire par moments. Sa compatriote Christine Brandes campe
une Susanna pleine de verve et d'esprit. La voix pure et jeune
continuera de mûrir et nous souhaitons la réentendre à Montréal.
Seule membre de l'Atelier Lyrique à obtenir un rôle dans cette
production, Michelle Sutton nous dévoile à nouveau un instrument
rempli de chaleur et d'intensité. Tout à fait à sa place parmi les
vétérans, son jeu scénique étonne par sa fraîcheur et son dynamisme.
Hugues Saint-Gelais réussit à faire bonne impression en dépit
d'apparitions trop courtes et de certains maniérismes (pourquoi cet
accent français chez Basilio et ce zézaiement chez Curzio qui
empêchent de bien comprendre les mots ?). Colette Boky a réussi son
retour à l'OdM après quinze ans d'absence. Sa voix est plus sombre,
plus veloutée, mais la projection y est toujours, et surtout Madame
Boky nous communique son plaisir de se retrouver sur scène.
L'Opéra de Montréal a fait un bon coup en s'associant avec
l'Opéra de Québec. Cette production s'impose jusqu'ici comme la
meilleure de la saison. Souhaitons que de semblables collaborations
engendrent à l'avenir des projets d'aussi grande qualité.
(ci-haut: j.à.d. Christine Brandes, Lyne Fortin, Brett
Polegato)
Le Nozze di Figaro à l'Opéra de Québec, les 9, 12, 14, 16, 19 mai
1998 à Québec. Voir calendrier.
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