La cristallisation de l'amour en chefs-d'oeuvre
1 février 1998
English Version...
La Saint-Valentin fait toujours penser à
l'amour heureux. Mais la plupart du temps, la littérature et la
musique parlent davantage du mal d'amour. A l'époque romantique, les
coeurs s'épanchaient passionnément et nous n'avons qu'à citer en
littérature le nom d'Alfred de Musset qui en déversait le trop-plein
dans des chefs-d'oeuvre de poésie. Ils avaient pour objet ses amours
malheureux mais il écrivit aussi sur la mort prématurée de la
Malibran, la grande diva romantique. Je cite ici une des Stances
à la Malibran de Musset :
- Oui, oui, tu le savais, et que dans cette vie,
- Rien n'est bon que d'aimer, n'est vrai que de souffrir.
- Chaque soir dans tes chants tu te sentais pâlir.
- Tu connaissais le monde, et la foule, et l'envie,
- Et, dans ce corps brisé concentrant ton génie,
- Tu regardais aussi la Malibran mourir.
Le célèbre
couple Clara Wieck et Robert Schumann Que ce soit en littérature ou
en musique, les poètes et les musiciens ont eu le pouvoir de
cristalliser en chefs-d'oeuvre leurs expériences amoureuses qu'elles
soient heureuses ou malheureuses. En musique, on pense tout de suite
au couple Clara Wieck et Robert Schumann. Clara était une toute
jeune pianiste promise à une brillante
carrière que son père,
Friedrich Wieck, un professeur de piano, gardait jalousement sous
bonne garde. Schumann s'installa chez les Wieck pour prendre des
leçons de piano et c'est ainsi que commença leur idylle. Le père de
Clara demeura intraitable devant cet amour naissant et retournait à
l'envoyeur toutes les lettres que Schumann envoya ultérieurement à
sa fille. Ce dernier ne vit plus qu'une seule issue pour témoigner
son amour à Clara et ce fut de lui écrire des lettres d'amour
musicales. Alors que Schumann gardait l'espoir de conquérir Clara
malgré le destin qui tentait de les séparer, il composa le
Carnaval opus 9, la Fantaisie opus 17 Kinderscenen,
Kreisleriana. Le père de Clara, toujours imperturbable, alla
jusqu'à ; les Etudes symphoniques, Davidsbündlertänze,
traîner en justice le pauvre compositeur pour interdire leur mariage
mais ce fut en vain. Le mariage eut lieu et il s'ensuivit une
période de grande créativité musicale chez Schumann. Il célébra son
bonheur en mettant en musique plus de cent trente lieder dont les
plus remarquables sont Liederkreis, Myrthen, Frauenliebe und
Leben Dichterliebe sur des poèmes de Heine; il commença à écrire
le Concerto pour piano en la mineur et composa sa
Symphonie no 1 en si bémol et majeur la même année.
Le couple fut heureux et eut de nombreux enfants, huit
exactement, un dite du "Printemps" en un seul mois et en
compléta deux autres peu comme dans les contes de fées; mais l'union
devait se terminer dans le malheur avec l'évolution de la maladie de
Schumann qui le tourmenta presque toute sa vie. - Agathe de
Vaux
Beethoven et les femmes A l'aube du romantisme,
Beethoven a eu plusieurs relations amicales avec des femmes et je
cite en particulier celle qu'il a eue avec Maria von Erdödy à qui il
a dédié les Trios opus 70 et la Sonate pour violoncelle
opus 102 no 2 . Il en a aimé quelques-unes passionnément :
Giulietta Guicciardi à qui il a dédicacé la Sonate au clair de
lune opus 27 ; Joséphine von Brunswick, dédicataire des
Sonates opus 31 , sans doute celle à qui était destinée la
lettre à l'immortelle bien-aimée; et Theresa Malfatti qui a
peut-être inspiré le cycle An die ferne Geliebte (Chants à
la bien-aimée lointaine ). - Agathe de Vaux
Hector Berlioz
et Harriet Smithson On ne peut passer sous
silence la Symphonie Fantastique de Berlioz, une oeuvre
sous-tendue par un stimulus extramusical autobiographique. La
composition de cette oeuvre sensationnelle fut déclenchée par sa
passion soudaine pour l'actrice irlandaise Harriet Smithson qui
faisait fureur à Paris dans des rôles shakespeariens. Ce ne pouvait
certes pas être un amour partagé puisqu'elle ne le connaissait pas;
de plus, la violence de cet amour, qu'il lui fit connaître par ses
lettres, effraya l'actrice qui prise de panique, fit tout pour le
faire fuir. Berlioz écrivit sur cette passion brûlante qui le
dévorait alors : "Si elle pouvait concevoir ne serait-ce qu'un
moment, toute la poésie, toute l'infinité d'un tel amour, elle se
jetterait dans mes bras où elle mourrait sous mon étreinte."
- Harriet Smithson entendit la Symphonie Fantastique plus
d'un an après sa composition. Les amis de Berlioz avaient intrigué
pour qu'elle assiste au concert où elle se rendit à contrecoeur.
Elle réalisa que Berlioz l'aimait toujours et qu'elle était
l'inspiratrice de la Symphonie Fantastique et de
Lélio. Elle se laissa emporter par l'immense vague de son
amour et en dépit de l'opposition farouche de leurs familles
respectives, ils se marièrent quelques mois plus tard. Harriet
était alors financièrement ruinée et un accident l'avait rendue
infirme, « mais elle est à moi ... » (Berlioz) - Agathe de Vaux
Richard Strauss et son affections pour deux
divas
Richard Strauss, lui aussi un romantique dans toute
l'acception du terme, offrit à sa femme en cadeau de mariage,
Morgen et quelques autres chants (op. 27). Ou lui prête par
ailleurs une relation amoureuse avec la célèbre soprano Maria
Jeritza qui était la reine de Vienne. On peut s'aventurer sur la
voie de cette supposition lorsqu'on sait que Strauss lui a dédié le
Cinquième de ses Quatre derniers chants (Vier letzte
Lieder ). Il en a effectivement composé un cinquième,
Malven, qui ne fait pas partie du cycle. Il l'a donné à
Jeritza qui ne l'a jamais chanté publiquement mais elle en a
conservé le manuscrit jusqu'à sa mort en 1985. Vendu aux enchères à
New York, il a été créé par Kiri Te Kanawa sous la direction de
Zubin Mehta en 1985. Je tiens cette information de Pierre Béique
(directeur général de l'OSM de 1937 à 1970) qui a rencontré
personnellement Jeritza et je lui suis reconnaissante de m'avoir
permis de la partager avec vous. - Agathe de Vaux
UN
CADEAU JAMAIS DONNÉ : LES WESENDONCKLIEDER Sa
tête mise à prix par les autorités prussiennes pour sa participation
active à un coup d'état, Richard Wagner fut contraint en mai 1849 de
s'exiler à l'étranger. Après un séjour à Paris, Wagner s'établit
finalement à Zurich où il obtint l'appui financier d'un riche
négociant du nom d'Otto Wesendonck. Mais Wagner remarqua très tôt
Mathilde, la femme de son bienfaiteur, et engagea avec elle une
correspondance où se révéla une passion sans cesse croissante.
Mathilde Wesendonck avait du goût pour les arts et possédait un réel
talent pour l'écriture. Wagner utilisa cinq poèmes de Mathilde,
véritable muse du compositeur à cette époque, pour composer ses
Fünf Gedichte für eine Frauenstimme (Cinq poèmes pour une
voix de femme) aussi connus sous le nom de
Wesendoncklieder. Deux de ces lieder sont d'ailleurs
sous-titrés «étude pour Tristan». Leur contenu, très inspiré de la
pensée de Schopenhauer, annonce déjà le langage harmonique de
Tristan, caractérisé par ses tensions non résolues.
- Amants par correspondance, on ne sait pas si Mathilde et
Wagner ont jamais consommé leur union. Les tensions harmoniques
non-résolues de Tristan illustrent peut-être cet amour
jamais comblé. On sait qu'au cours de sa liaison avec Mathilde,
l'obsession grandissante de Wagner pour le concept de Tristan
l'a contraint d'interrompre la composition de Siegfried
pour se consacrer entièrement à son nouveau projet. On peut
facilement imaginer que Wagner se soit identifié au personnage de
Tristan, déchiré entre son amour pour Isolde et sa loyauté envers
son maître, le roi Marke. Ce déchirement n'a peut-être été
exacerbé que par la composition en un souffle d'un opéra entier.
Une des lettres de Wagner viendra pourtant à l'attention d'Otto
Wesendonck et forcera leur rupture : «Je viendrai aujourd'hui au
jardin, j'espère que dès que je t'apercevrai je te trouverai seule
un instant sans que nous soyons dérangés...» Des termes aussi
clairs supposent une liaison physique, mais faute de preuves
documentées, il vaut mieux s'abstenir de sauter trop vite aux
conclusions.
- Les Wesendoncklieder ont donc servi de préambule à
Tristan et forment un recueil que Wagner aurait sûrement
souhaité offrir en cadeau à sa muse. Le compositeur avouera plus
tard dans son Journal à Mathilde : «Je n'ai jamais rien
fait de mieux que ces lieder; très rares sont mes autres oeuvres
capables de leur être comparées». - Jacques Desjardins
- Richard
Wagner et son épouse Cosima
Alors que ses opéras
évoquent le plus souvent la fugacité de l'extase et du désespoir
que l'on retrouve dans le monde à la fois humain et surnaturel de
la passion, La Romance de Siegfried traduit plutôt l'état
de bien-être que Wagner counaît dans sa vie personnelle, au moment
où il l'écrit. Cette pièce pour petit orchestre de chambre est une
oeuvre intimiste offerte en témoignage d'amour à Cosima, l'épouse
qui vient de lui donner un fils. Faisant écho à son bonheur,
Wagner reconnaissant, pose un geste d'une telle sensibilité
romantique, qu'il ferait fondre le coeur de n'importe quelle
femme. En effet, le 25 Décembre 1870, le jour de ses 33 ans,
Cosima s'éveille au son de la musique que lui prodiguent quelques
musiciens réunis sur les marches de la demeure du lac de Lucerne.
En son honneur, Wagner a composé une ode qui rassemble des thèmes
musicaux notés à l'époque de leur rencontre.
- Le premier mouvement, calme, de La Romance se termine
par une berceuse allemande: "Dort, l'enfant, dort". Wagner élabore
et développe le thème héroique de "Siegfried, espoir du monde"
avant de conclure avec une calme reprise de la berceuse du thème
de l'ouverture; il crée ainsi une douce sensation de sommeil.
La Romance de Siegfried, qui est sans doute la plus célèbre
pièce instrumentale de Wagner, témoigne qu'un homme habité par
l'absolu et porté à des envolées épiques peut être aussi inspiré
par des émotions et des événements de la vie courante. - Valorie
Dick
-
-
- "L'amour arrive sans s'annoncer. L'amour ne s'explique pas,
mais l'amour explique tout"...ou presque tous les chefs-d'oeuvre.
- Joyeuse Saint-Valentin!
[Traduction: Saskia Latendresse]
English Version... |
|