Paris
Diary
- Aufstieg und Fall der Stadt Mahagonny
(Weill-Brecht)
- Opéra National de Paris
- Direction musicale : Jeffrey Tate
- Mise en scène : Graham Vick
- Avec Peter
Straka (Jim Mahoney), Kathryn Harries (Leokadja
Begbick), Marie McLaughlin
(Jenny Hill)
- Opéra Bastille, le 12 octobre 1997 à 15h
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- Pelléas et Mélisande (Debussy-Maeterlinck)
- Opéra National de Paris
- Direction musicale : James Conlon
- Mise en scène : Robert Wilson
- Avec Dawn Upshaw (Mélisande), Russell Braun (Pelléas), José
Van Dam (Golaud), Robert Lloyd (Arkel)
- Palais Garnier, le 14 octobre 1997 à 19h30.
Quel contraste entre ces deux productions! Autant l'une est
minimaliste, maniérée, abstraite, autant l'autre est surchargée et
grouillante!
Ce qui frappe tout d'abord dans cette production de
Mahagonny, c'est l'hypertrophie de la mise en scène,
l'accumulation pêle-mêle de symboles de l'Amérique telle que la
fantasment les Européens. C'est ainsi qu'on voit défiler sur scène
des bûcherons avec chapeau à la Davy Crockett, des danseuses
hawaïennes, des homme muscles en slip, des acrobates, des meneuses
de troupe, des cow-boys, des voyous faisant des entrechats à la West
Side Story, des pêcheurs avec des cannes de plusieurs mètres, un
policier de la GRC sur son cheval (vivant), etc. À cela s'intègre un
investissement spectaculaire de l'espace scénique, notamment au
premier acte, où la verticalité des espaces de vie urbaine empilés
les uns sur les autres, en arrière-plan, s'oppose à l'horizontalité
de la nouvelle ville de Mahagonny, au premier plan.
Cette Amérique de la démesure, vision hallucinée et hallucinante
du capitalisme sauvage, sert bien la fable anarchiste de Brecht.
Comment en effet représenter sans ironie cette scène, à l'acte II,
dans laquelle Jack dévore jusqu'à en mourir les entrailles du cheval
(faux, cette fois-ci) du policier de la GRC qui continue de caresser
la tête de la bête pendant que celle-ci se fait bouffer? Comme pour
ajouter une note supplémentaire d'insolite, des commentaires
français de Patrick Poivre d'Arvor ponctuent lugubrement
l'opéra.
Côté voix,
soulignons d'abord l'immense talent de Kathryn Harries (veuve
Begbick), qui passe avec aisance des répliques de diseuse aux airs
disons plus verdiens. Marie McLaughlin, en Jenny, propose un O
moon of Alabama très suave, cristallin, comme le chant d'une
sirène qui voudrait leurrer les voyageurs dans ce faux Eldorado.
Peter Straka (Jim) a une scène étonnante : durant son procès, le
corps entièrement enfoui sous la scène, la tête seule apparaissant,
il entonne sa complainte, d'une voix puissante et assurée. Bien
évidemment, il est condamné. Son crime? "Ich habe kein Geld! Je n'ai
pas d'argent" - Rodrigue Audet
***
En ce qui concerne
Pelléas et Mélisande, voilà comment les choses se présentent. Sur
une scène à peu près nue, les personnages évoluent avec une lenteur
lunaire. Chaque pose est étudiée, tenue, soulignée, cernée par
l'éclairage. On aura reconnu la signature du metteur en scène Robert
Wilson. On aime ou on n'aime pas. Grand formaliste, celui-ci utilise
parfois des moyens spectaculaires pour obtenir l'image qu'il
recherche, comme ces espèces de monolithes qui, pendant l'ouverture,
se déplacent et glissent de façon, dirait-on, à laisser pénétrer la
lumière. Ou encore ces énormes panneaux noirs, qui n'ont d'autre
fonction que de réduire le cadre visuel de la scène.
Il faut dire que la beauté étrange du texte de Maeterlinck et le
caractère si unique de la musique de Debussy se prêtent
admirablement bien à l'exercice de style de Wilson. Dans ce récit
aux allures de conte de fées, s'étonne-t-on vraiment de voir, du
haut de sa tour, Mélisande se contorsionner (les pieds
vraisemblablement fixés par des attaches) et laisser tomber une
chevelure imaginaire que Pelléas caresse à l'autre bout de la scène?
Ici, l'insolite est roi. Ainsi les éclairages sont souvent
déconcertants : il arrive que seuls les visages ou certaines parties
du corps soient éclairés, parfois le personnage qui chante est
totalement dans le noir, etc.
La musique de Debussy, qui épouse les contours de la prosodie
française comme le bel canto ceux de l'italien, réclame une diction
parfaite. Van Dam est à cet égard tout à fait irréprochable. Upshaw,
Braun et Lloyd s'en tirent quant à eux sans trop de mal. Du moins
lorsqu'on arrive à les entendre : Pelléas et Golaud sont parfois à
peine audibles, du moins à l'orchestre, lorsque sonnent les cuivres.
Des surtitres auraient été appréciés.
Le coup de coeur de cette soirée, c'est Dawn Upshaw. Avec juste
ce qu'il faut d'étrangeté et d'effarement dans le regard, de
fragilité dans les mouvements, cette grande artiste nous hypnotise
par sa seule présence. Sa voix, pure et limpide comme l'eau qui
fascine Mélisande, est presque inhumaine de perfection. Et c'est son
image que nous emportons avec nous, lorsque, pendant les dernières
mesures de l'orchestre, elle se lève de son lit et se dirige
lentement vers l'avant-scène, son beau visage tendu vers la lumière.
- Rodrigue Audet |