Home     Content     Articles      La Scena Musicale     Search   
La Scena Musicale - Vol. 3, No. 5 February-March 1998

Paris Diary

Aufstieg und Fall der Stadt Mahagonny (Weill-Brecht)
Opéra National de Paris
Direction musicale : Jeffrey Tate
Mise en scène : Graham Vick
Avec Peter Straka (Jim Mahoney), Kathryn Harries (Leokadja Begbick), Marie McLaughlin (Jenny Hill)
Opéra Bastille, le 12 octobre 1997 à 15h
Pelléas et Mélisande (Debussy-Maeterlinck)
Opéra National de Paris
Direction musicale : James Conlon
Mise en scène : Robert Wilson
Avec Dawn Upshaw (Mélisande), Russell Braun (Pelléas), José Van Dam (Golaud), Robert Lloyd (Arkel)
Palais Garnier, le 14 octobre 1997 à 19h30.

Quel contraste entre ces deux productions! Autant l'une est minimaliste, maniérée, abstraite, autant l'autre est surchargée et grouillante!

Ce qui frappe tout d'abord dans cette production de Mahagonny, c'est l'hypertrophie de la mise en scène, l'accumulation pêle-mêle de symboles de l'Amérique telle que la fantasment les Européens. C'est ainsi qu'on voit défiler sur scène des bûcherons avec chapeau à la Davy Crockett, des danseuses hawaïennes, des homme muscles en slip, des acrobates, des meneuses de troupe, des cow-boys, des voyous faisant des entrechats à la West Side Story, des pêcheurs avec des cannes de plusieurs mètres, un policier de la GRC sur son cheval (vivant), etc. À cela s'intègre un investissement spectaculaire de l'espace scénique, notamment au premier acte, où la verticalité des espaces de vie urbaine empilés les uns sur les autres, en arrière-plan, s'oppose à l'horizontalité de la nouvelle ville de Mahagonny, au premier plan.

Cette Amérique de la démesure, vision hallucinée et hallucinante du capitalisme sauvage, sert bien la fable anarchiste de Brecht. Comment en effet représenter sans ironie cette scène, à l'acte II, dans laquelle Jack dévore jusqu'à en mourir les entrailles du cheval (faux, cette fois-ci) du policier de la GRC qui continue de caresser la tête de la bête pendant que celle-ci se fait bouffer? Comme pour ajouter une note supplémentaire d'insolite, des commentaires français de Patrick Poivre d'Arvor ponctuent lugubrement l'opéra.

Côté voix, soulignons d'abord l'immense talent de Kathryn Harries (veuve Begbick), qui passe avec aisance des répliques de diseuse aux airs disons plus verdiens. Marie McLaughlin, en Jenny, propose un O moon of Alabama très suave, cristallin, comme le chant d'une sirène qui voudrait leurrer les voyageurs dans ce faux Eldorado. Peter Straka (Jim) a une scène étonnante : durant son procès, le corps entièrement enfoui sous la scène, la tête seule apparaissant, il entonne sa complainte, d'une voix puissante et assurée. Bien évidemment, il est condamné. Son crime? "Ich habe kein Geld! Je n'ai pas d'argent" - Rodrigue Audet

***

En ce qui concerne Pelléas et Mélisande, voilà comment les choses se présentent. Sur une scène à peu près nue, les personnages évoluent avec une lenteur lunaire. Chaque pose est étudiée, tenue, soulignée, cernée par l'éclairage. On aura reconnu la signature du metteur en scène Robert Wilson. On aime ou on n'aime pas. Grand formaliste, celui-ci utilise parfois des moyens spectaculaires pour obtenir l'image qu'il recherche, comme ces espèces de monolithes qui, pendant l'ouverture, se déplacent et glissent de façon, dirait-on, à laisser pénétrer la lumière. Ou encore ces énormes panneaux noirs, qui n'ont d'autre fonction que de réduire le cadre visuel de la scène.

Il faut dire que la beauté étrange du texte de Maeterlinck et le caractère si unique de la musique de Debussy se prêtent admirablement bien à l'exercice de style de Wilson. Dans ce récit aux allures de conte de fées, s'étonne-t-on vraiment de voir, du haut de sa tour, Mélisande se contorsionner (les pieds vraisemblablement fixés par des attaches) et laisser tomber une chevelure imaginaire que Pelléas caresse à l'autre bout de la scène? Ici, l'insolite est roi. Ainsi les éclairages sont souvent déconcertants : il arrive que seuls les visages ou certaines parties du corps soient éclairés, parfois le personnage qui chante est totalement dans le noir, etc.

La musique de Debussy, qui épouse les contours de la prosodie française comme le bel canto ceux de l'italien, réclame une diction parfaite. Van Dam est à cet égard tout à fait irréprochable. Upshaw, Braun et Lloyd s'en tirent quant à eux sans trop de mal. Du moins lorsqu'on arrive à les entendre : Pelléas et Golaud sont parfois à peine audibles, du moins à l'orchestre, lorsque sonnent les cuivres. Des surtitres auraient été appréciés.

Le coup de coeur de cette soirée, c'est Dawn Upshaw. Avec juste ce qu'il faut d'étrangeté et d'effarement dans le regard, de fragilité dans les mouvements, cette grande artiste nous hypnotise par sa seule présence. Sa voix, pure et limpide comme l'eau qui fascine Mélisande, est presque inhumaine de perfection. Et c'est son image que nous emportons avec nous, lorsque, pendant les dernières mesures de l'orchestre, elle se lève de son lit et se dirige lentement vers l'avant-scène, son beau visage tendu vers la lumière. - Rodrigue Audet

(c) La Scena Musicale