Turandot
(Puccini-Adami/Simoni) Opéra National de
Paris Direction musicale : Georges Prêtre Mise en scène :
Francesca Zambello Avec Sharon Sweet (Turandot), Sergei Larin
(Calaf), Barbara Frittoli (Liù), Robert Lloyd (Timur) Opéra
Bastille, le 13 octobre 1997 à
19h30
Francesca Zambello, qui signe la mise en
scène de cette nouvelle production de Turandot, aime les défis. Ici
comme dans Billy Budd, à l'affiche de l'Opéra Bastille le printemps
prochain, c'est quelque trois cents personnes qu'elle dirige de main
de maître. (C'est également elle qui a réglé l'excellent Iphigénie
en Tauride, présenté au festival de Glimmerglass cet été à
Cooperstown, et repris au New York City Opera cet automne.) Le
rideau se lève : il neige sur Pékin. Dans des tons de gris qui ne se
dissiperont qu'à la toute fin du spectacle, le peuple réclame le
bourreau. Les gardes, Amazones en livrées noires et aux longues
crinières rousses, jugulent la foule surexcitée. Les mouvements de
foule impressionnent par leur grande clarté, rien n'est laissé au
hasard. Le ton est donné : dans son ensemble comme dans ses détails,
la mise en scène sera d'une scrupuleuse rigueur. Deux exemples. Au
début du 2e acte, sous la férule de Ping, Pang et Pong, des
marmitons s'affairent dans une grande agitation (réglée au quart de
tour) aux préparatifs de la noce ou des funérailles, comme le
laissent lugubrement présager les crânes entassés sur des tablettes
qui occupent l'arrière-plan. À la fin du même acte, Calaf repousse
lentement mais fermement la lame que Turandot a placée de façon
menaçante sur son cou, pendant que sonnent cuivres et timbales. Le
noir et le silence tombent ensuite d'un seul coup, comme la lame du
bourreau. Sharon Sweet est imposante dans le rôle-titre et se
révèle particulièrement touchante dans la supplique qu'elle adresse
à son père lorsqu'elle voit ses énigmes résolues. Seule artiste
applaudie avant la fin du spectacle, Barbara Frittoli (Liù) possède
une voix puissante et assurée ; elle montre bien que même dans un
petit rôle, on peut faire une grande impression. Il se trouvera
bien quelques esprits chagrins pour regretter les chinoiseries et
tout le clinquant traditionnellement associés à cet opéra. Comment
cependant ne pas reconnaître la pertinence de la vision du metteur
en scène (que la critique française n'a pas hésité à qualifier de
féministe)? Tout l'opéra jusqu'à la dernière scène n'a été que la
démonstration de la froideur de Turandot. Le jaune incandescent de
l'aurore s'installe alors progressivement, à mesure que fond le
coeur de Turandot. Lorsque celle-ci dit enfin que l'étranger
s'appelle Amour, c'est tout l'espace visuel, et tous les Chinois,
maintenant habillés de jaune, qu'inondent les chaudes couleurs de
l'aurore, et qui forment ainsi un contraste saisissant avec
l'omniprésente grisaille qui régnait jusque là, témoin des jours de
Turandot au coeur de glace. Quelques iconoclastes, au balcon, ont
profité de la dernière représentation dirigée par Georges Prêtre
pour huer (bien injustement) ce dernier, ajoutant ainsi à ce
triomphe, car c'en fut un, une légère touche de controverse sans
quoi Paris ne serait sans doute pas Paris.
Rodrigue
Audet |