Bicentenaire de la naissance de Donizetti Par Robert Rowat
/ 1 novembre 1997
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Le monde musical célébrera, le 29 novembre
prochain, le bi-centenaire de la naissance de Gaetano Donizetti
(1797-1848), l'un des compositeurs d'opéras italiens les plus
influents et populaires du dix-neuvième siècle. Malheureusement, sa
musique est très peu jouée aujourd'hui, exception faite de quelques
oeuvres.
Les célébrations de cette «
Donizettiade » ont été rares. À l'émission Saturday
Afternoon at the Opera, Radio Canada anglais a diffusé trois
opéras de Donizetti en août dernier, en ajoutant quelques notes
documentaires sur le compositeur, mais cette reconnaissance mise à
part, l'événement est passé presqu'inaperçu. L'Opéra de Montréal et
la Canadian Opera Company n'ont pas présenté d'opéra de Donizetti
cette année. À New York, le Metropolitan Opera présentera sa
production habituelle de l'opéra comique l'Elisir d'amore, en
janvier prochain, mais on ne jouera pas d'autre oeuvre du
compositeur.
Pourquoi cet oubli ? C'est peut-être
à cause du grand nombre d'anniversaires musicaux cette année, ceux
de Brahms, de Schubert et de Mendelssohn. On peut également penser
que l'opéra italien, surtout celui de l'école du Bel canto de
Rossini, de Bellini et de Donizetti n'est tout simplement pas pris
au sérieux par les musicologues, les théoriciens musicaux et la
critique.
Faveur du public, étoiles du bel
canto et vieilles recettes. Telles sont les principales
caractéristiques qui continuent de qualifier l'opéra italien, comme
si ces particularités n'existaient pas aussi dans les opéras de
Mozart ou de Wagner, pour ne nommer que ceux-là. On prétend souvent
aussi que les opéras du début du dix-neuvième siècle étaient des
oeuvres mineures, composées trop vite, de même que l'on cite la
pratique courante d'intervertir les numéros musicaux parmi les
différents opéras et le comportement original des auditoires
d'opéras italiens, qui parlaient ouvertement et pariaient pendant la
représentation des opéras. Il semblerait que l'histoire ait choisi
de considérer ce répertoire comme ridicule, argument permettant
d'accorder une plus haute qualité aux opéras composés plus tard au
dix-neuvième siècle et qui correspondraient mieux à notre notion de
« l'art musical » !
Les opéras de Donizetti ne passent
pas la rampe si on a les mêmes attentes qu'à l'égard des opéras de
Wagner, par exemple. Mais pour apprécier la musique de Donizetti, il
faut l'évaluer dans son contexte propre. Sa musique doit être
replacée dans l'importante tradition de l'opéra italien, qui
affectionnait par dessus tout le chant et considérait l'opéra comme
le véhicule idéal pour transmettre sa beauté et son
expressivité.
La carrière de Donizetti offre un
bel exemple de cette tradition. Né en 1797, dans une famille pauvre
de Bergame, son talent fut reconnu dès sa tendre enfance, ce qui lui
permit de poursuivre des études dans des institutions qui autrement
lui auraient été financièrement interdites. Simon Mayr, important
compositeur d'opéras de la génération précédente, exerça une
influence prédominante sur l'éducation de Donizetti. Mayr a cherché
à aider son jeune élève, mais a également préparé Donizetti aux
conditions souvent frénétiques qui régnaient dans les maisons
d'opéra d'Italie. Par exemple, la première de Zoraide di
Grenata, une oeuvre de jeunesse composée sous la supervision de
Mayr, a connu du succès malgré la mort d'une des principales
interprètes, survenue quelques jours avant la première
représentation. Donizetti dut recomposer une bonne partie de la
musique à la dernière minute, révélant ainsi un talent qui le
servirait bien dans l'une des carrières les plus actives de
l'histoire de la musique.
La montée de Donizetti vers le
succès fut assez lente, si on la compare aux fulgurantes carrières
de certains de ses contemporains. À compter de 1822, il s'établit à
Naples. Il composa quelques opéras charmants au cours des années
suivantes, notamment L'ajo nell'imbarazzo et Elisabetta al
castello di Kenilworth. Mais il ne connut son premier grand
succès qu'en 1830, lors de la première de Anna Bolena, au
théâtre Carcano de Modène. La distribution affichait de grandes
étoiles de l'opéra de l'époque, tels Giudita Pasta et
Giovanni-Battista Rubini. L'oeuvre fut si bien reçue qu'on la donna
bientôt à Paris, à Londres, à Madrid, à Dresde et à La
Havane.
Rempli d'exploits courageux et
pyrotechniques, Anna Bolena constitue l'un des premiers
exemples de la fascination de Donizetti pour la folie et son intérêt
envers l'Angleterre et l'Écosse, à l'époque considérées comme des
contrées lointaines et mystérieusement romantiques. Son opéra le
plus connu, Lucia di Lammermoor (1835), étudie les mêmes
thèmes. Tiré d'un roman de Walter Scott (dont les oeuvres ont
d'ailleurs inspiré plus d'opéras que tout autre autre écrivain, à
l'exception de Shakespeare), cet opéra, qui raconte la tragédie d'un
mariage de convenance, se déroule au milieu des divagations de
l'héroïne et du suicide sur scène de l'amant éconduit. On peut
deviner l'effet de cet opéra sur les auditoires du dix-neuvième
siècle grâce au récit suivant, emprunté au roman Madame
Bovary, de Gustave Flaubert. Emma y assiste à une représentation
de Lucia :
« Lucia entama d'un air grave sa
cavatine... elle se plaignait d'amour, elle demandait des ailes.
Emma, de même, aurait voulu, fuyant la vie, s'envoler dans une
étreinte.... Emma se penchait pour le voir, égratignant avec ses
ongles le velours de sa loge. Elle s'emplissait le coeur de ces
lamentations mélodieuses qui se traînaient à l'accompagnement des
contrebasses, comme des cris de naufragés dans le tumulte d'une
tempête. Elle reconnaissait tous les enivrements et les angoisses
dont elle avait manqué mourir ».
Tout comme Rossini et Bellini
l'avaient fait avant lui, Donizetti déménagea à Paris plus tard dans
sa carrière, après avoir composé pour la scène italienne
d'excellents opéras, tels Maria Stuarda, Lucrezia Borgia et
l'Elisir d'amore. À Paris, sa première contribution à l'Opéra
fut la présentation des Martyres, une reprise de
Poliuto, banni quelques mois auparavant par la censure
italienne. Tiré d'une pièce de Corneille, opéra merveilleux et
intelligent, Les martyres donne déjà une idée de la grandeur
de son petit cousin plus connu, Samson et Dalila, de Camille
Saint-Saens. Mais les plus grands chefs-d'oeuvre de Donizetti à
Paris ont été tous deux écrits pour la scène comique : La fille
du régiment et Don Pasquale , ce dernier composé en deux
semaines, pour le Théâtre italien. En composant son Don
Pasquale, Donizetti écrivit : «l'on trouve un sujet agréable, le
coeur parle, la tête anticipe et la main écrit ».
Au cours des années 1840, Donizetti
accepta un poste à Vienne, bien que l'Autriche occupât alors une
bonne partie de l'Italie. Donizetti n'était pas intéressé aux
scénarios politiques, contrairement à Giuseppe Verdi, dont les
opéras ont une forte composante politique, en particulier son opéra
La battaglia di Legnano, composé en 1848, qui décrit la
résistance italienne à la domination étrangère
(autrichienne).
Les années de Donizetti à Vienne
furent troublées par la maladie. En 1845 il doit cesser de
travailler. Atteint de syphilis, il perd la parole. Invalide,
incapable de marcher, il devient prisonnier de son propre cerveau et
souffre désormais de troubles mentaux, élément ironique si on
considère la fascination de toute sa vie pour la représentation de
la folie sur une scène dramatique. Il revient alors à Paris, aidé de
son neveu Andrea.
Donizetti meurt en 1848, à Bergame,
où il était né. Au cours de sa carrière de vingt-cinq ans, il aura
composé 67 opéras, dont seulement cinq ou six demeurent dans le
répertoire principal des opéras. Parmi ses nombreux opéras oubliés,
on trouve de véritables joyaux, notamment Catarina Comaro
(1844), Don Sébastien (1843) et Roberto Devereux
(1837). La renaissance de Donizetti, au cours des années 1950 et
1960, menée par Maria Callas et Joan Sutherland, a inspiré des
enregistrements qui font toujours figure de référence aujourd'hui.
Mais ses oeuvres restent encore beaucoup trop négligées par les
maisons d'opéra à travers le monde.
[Tradution: Alain
Pinard]
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