Accueil     Sommaire     Article     La Scena Musicale     Recherche   
La Scena Musicale - Vol. 3, No. 2 Octobre 1997

L’Opéra de Montréal

ouvre sa saison 1997-98 avec le Faust de Charles Gounod, oeuvre créée à Paris le 19 mars 1859.

Début de saison mouvementé si l’on en juge par les huées qui ont ponctué les applaudissements tout au long de la représentation. Il y a même un spectateur qui m’a confié au premier entracte que «cette production était une honte». Je crois comprendre que certains habitués de la maison n’ont pas apprécié les scènes «osées» de cette production. À la toute première scène, Méphistophélès fait voir à Faust l’image de Marguerite, seins nus, pour l’inciter à sceller le pacte. Au début du deuxième acte, pendant la longue tirade de Méphistophélès, on voit en arrière-scène des figurants illustrant les plaisirs de la chair. Enfin, au troisième acte, quand Faust est contraint de suivre son maître en enfer, on voit Méphistophélès montrer l’exemple à son protégé par ses ébats avec deux muses à poil. Il ne faut pas s’énerver pour une paire de seins si c’est justifié par l’histoire. Pourtant, je n’ai pu m’empêcher de constater que l’O. de M., depuis quelques saisons, ne se gêne pas pour déshabiller ses personnages, surtout ses figurantes. S’agit-il d’une stratégie pour «faire moderne» ou d’une illustration explicite du livret pour «faire vrai» ? Dans le premier cas, on se heurte à une scénographie si conventionnelle que les corps n’ont aucune chance d’y justifier leur nudité. Dans le second cas, on pèche par excès de mise en scène et on neutralise tout pouvoir de suggestion.

Du drame, il y en a eu plus pendant le premier entracte que sur scène quand Bernard Uzan, directeur artistique de l’Opéra de Montréal et metteur en scène de ce nouveau Faust, a invectivé devant tout le monde Robert Lévesque, ancien critique de théâtre au journal Le Devoir et maintenant chroniqueur artistique à l’émission C’est bien meilleur le matin au AM de Radio-Canada. N’attendons rien de bon de la part de Monsieur Lévesque sur cette production de l’O. de M... Parlant de Monsieur Uzan, sa mise en scène manquait nettement d’unité. Les fréquents changements de décor requièrent trop de pauses qui interrompent indûment le fil de l’intrigue. On pourrait reprocher au compositeur ses trop nombreux tableaux, mais ça revient au metteur en scène, qui a choisi de monter l’oeuvre, de faire en sorte de la présenter avec rythme et souplesse. Les tableaux eux-mêmes provoquent des réactions parfois contraires à l’esprit du moment. Les deux premières scènes relèvent du cliché le plus élémentaire. Des gens se sont mis à rire quand Méphistophélès, à l’invocation de Faust, a surgi du milieu d’une pile de livres, le tout conventionnellement enrobé d’un épais nuage de fumée. La scène de la kermesse encombrée d’une foule de personnages qui ne savaient plus où se mettre, et surtout qui ne parvenaient pas à faire un tour complet de valse, m’a paru relever du plus pur burlesque. Pourtant, la scène de l’église où un Christ et des statues bien en chair entouraient une Marguerite éplorée a prouvé que parfois, Monsieur Uzan a de bonnes idées. Et la mise en scène se dépouillait à mesure que l’action progressait. La scène de prison avec le grillage suspendu qui projetait son ombre contre la pauvre Marguerite évoquait avec force et simplicité le malheur de l’héroïne.

Monique Pagé, solide au début et dans le ton du rôle, a perdu un peu de ses moyens dans le troisième acte, avec une voix plus pâle, presque droite. Claude Robin-Pelletier n’a pas la voix requise pour le rôle. Son timbre est mince et laisse entendre un vibrato trop prononcé dans l’aigu, à la limite du chevrotement. David Pittsinger incarne avec conviction un Méphistophélès rusé et enjôleur. La voix ronde et riche donne au personnage une présence transcendante. Danièle LeBlanc s’impose comme un mezzo-soprano de premier plan sur la scène lyrique montréalaise. Sa voix est libre et chaude et elle sait donner au rôle de Siebel la sensibilité voulue. Erich Parce m’a semblé le plus solide de cette distribution. D’une diction toujours claire, il affiche une présence sobre et démontre un parfait contrôle de son instrument.

Les choeurs de l’O de M nous ont prouvé encore une fois qu’ils ont beaucoup de plaisir à faire de l’opéra. Les voix se fondent bien au groupe et le jeu scénique est dans le ton du genre.

L’orchestre était dirigé de main de maître par Joseph Rescigno. Ses tempi ne traînent jamais et il assure une cohésion constante entre la fosse et la scène en dépit de quelques déphasages au premier acte. Mais somme toute, ce Faust ne passera pas à l’histoire.

(c) La Scena Musicale