L’Opéra de Montréal
ouvre sa saison 1997-98 avec le
Faust de
Charles Gounod, oeuvre créée à Paris le 19 mars 1859.
Début de saison mouvementé si
l’on en juge par les huées qui ont ponctué les applaudissements tout
au long de la représentation. Il y a même un spectateur qui m’a
confié au premier entracte que «cette production était une honte».
Je crois comprendre que certains habitués de la maison n’ont pas
apprécié les scènes «osées» de cette production. À la toute première
scène, Méphistophélès fait voir à Faust l’image de Marguerite, seins
nus, pour l’inciter à sceller le pacte. Au début du deuxième acte,
pendant la longue tirade de Méphistophélès, on voit en arrière-scène
des figurants illustrant les plaisirs de la chair. Enfin, au
troisième acte, quand Faust est contraint de suivre son maître en
enfer, on voit Méphistophélès montrer l’exemple à son protégé par
ses ébats avec deux muses à poil. Il ne faut pas s’énerver pour une
paire de seins si c’est justifié par l’histoire. Pourtant, je n’ai
pu m’empêcher de constater que l’O. de M., depuis quelques saisons,
ne se gêne pas pour déshabiller ses personnages, surtout ses
figurantes. S’agit-il d’une stratégie pour «faire moderne» ou d’une
illustration explicite du livret pour «faire vrai» ? Dans le premier
cas, on se heurte à une scénographie si conventionnelle que les
corps n’ont aucune chance d’y justifier leur nudité. Dans le second
cas, on pèche par excès de mise en scène et on neutralise tout
pouvoir de suggestion.
Du drame, il y en a eu plus pendant le premier entracte que sur
scène quand Bernard Uzan, directeur artistique de l’Opéra de
Montréal et metteur en scène de ce nouveau Faust, a invectivé
devant tout le monde Robert Lévesque, ancien critique de théâtre au
journal Le Devoir et maintenant chroniqueur artistique à l’émission
C’est bien meilleur le matin au AM de Radio-Canada.
N’attendons rien de bon de la part de Monsieur Lévesque sur cette
production de l’O. de M... Parlant de Monsieur Uzan, sa mise en
scène manquait nettement d’unité. Les fréquents changements de décor
requièrent trop de pauses qui interrompent indûment le fil de
l’intrigue. On pourrait reprocher au compositeur ses trop nombreux
tableaux, mais ça revient au metteur en scène, qui a choisi de
monter l’oeuvre, de faire en sorte de la présenter avec rythme et
souplesse. Les tableaux eux-mêmes provoquent des réactions parfois
contraires à l’esprit du moment. Les deux premières scènes relèvent
du cliché le plus élémentaire. Des gens se sont mis à rire quand
Méphistophélès, à l’invocation de Faust, a surgi du milieu d’une
pile de livres, le tout conventionnellement enrobé d’un épais nuage
de fumée. La scène de la kermesse encombrée d’une foule de
personnages qui ne savaient plus où se mettre, et surtout qui ne
parvenaient pas à faire un tour complet de valse, m’a paru relever
du plus pur burlesque. Pourtant, la scène de l’église où un Christ
et des statues bien en chair entouraient une Marguerite éplorée a
prouvé que parfois, Monsieur Uzan a de bonnes idées. Et la mise en
scène se dépouillait à mesure que l’action progressait. La scène de
prison avec le grillage suspendu qui projetait son ombre contre la
pauvre Marguerite évoquait avec force et simplicité le malheur de
l’héroïne.
Monique Pagé, solide au début et dans le ton du rôle, a perdu un
peu de ses moyens dans le troisième acte, avec une voix plus pâle,
presque droite. Claude Robin-Pelletier n’a pas la voix requise pour
le rôle. Son timbre est mince et laisse entendre un vibrato trop
prononcé dans l’aigu, à la limite du chevrotement. David Pittsinger
incarne avec conviction un Méphistophélès rusé et enjôleur. La voix
ronde et riche donne au personnage une présence transcendante.
Danièle LeBlanc s’impose comme un mezzo-soprano de premier plan sur
la scène lyrique montréalaise. Sa voix est libre et chaude et elle
sait donner au rôle de Siebel la sensibilité voulue. Erich Parce m’a
semblé le plus solide de cette distribution. D’une diction toujours
claire, il affiche une présence sobre et démontre un parfait
contrôle de son instrument.
Les choeurs de l’O de M nous ont prouvé encore une fois qu’ils
ont beaucoup de plaisir à faire de l’opéra. Les voix se fondent bien
au groupe et le jeu scénique est dans le ton du genre.
L’orchestre était
dirigé de main de maître par Joseph Rescigno. Ses tempi ne traînent
jamais et il assure une cohésion constante entre la fosse et la
scène en dépit de quelques déphasages au premier acte. Mais somme
toute, ce Faust ne passera pas à l’histoire.
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