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La Scena Musicale - Vol. 3, No. 1

Labadie vise les hauteurs Goldberg

Par Wah Keung Chan / 1 septembre 1997

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Bernard Labadie est le fondateur et le directeur artistique de l'ensemble de musique ancienne Les Violons du Roy, ainsi que le directeur artistique de l'Opéra de Québec. Le 21 août dernier, Labadie et Les Violons du Roy jouaient pour la première fois au Lincoln Center de New York, à l'occasion du festival Mostly Mozart. Le 26 septembre, à Québec, et le 27 à Montréal, Les Violons du Roy joueront pour la première fois l'adaptation pour orchestre, composée par Labadie, des Variations Goldberg de Bach. La Scena Musicale a rencontré Labadie en août, peu avant son départ pour New York.

LSM : Parlez-nous des Violons du Roy

L'orchestre a été fondé en 1984. Il comprend huit violons, trois altos, deux violoncelles, une contrebasse ainsi qu'un clavecin ou un orgue continuo. Depuis 1988, nous jouons sur des instruments modernes avec des archets anciens. C'est ce qui différencie le son de notre orchestre. J'ai découvert que l'utilisation d'archets anciens sur des instruments modernes fonctionne très bien puisqu'une importante partie du son et de l'articulation de la musique baroque émanent du type d'archet tout autant que de l'instrument lui-même. Je crois à l'utilisation d'instruments anciens pour des oeuvres baroques; cependant, notre procédé permet à l'orchestre de jouer plusieurs répertoires différents toute l'année. Dans une petite communauté comme celle de la ville de Québec, il faut savoir s'adapter. Ma pensée musicale consiste à appliquer diverses conceptions stylistiques à des répertoires variés sans nous enfermer dans un ghetto stylistique.

LSM : Après votre performance au Lincoln Center, vous dirigerez le Messie de Händel avec les Violons du Roy en Ontario et partirez en tournée en Ontario et dans l'ouest canadien en mars 1998. Pourquoi ?

L'avenir de l'orchestre dépend du succès de nos tournées. Le marché de la ville de Québec est petit et l'Orchestre symphonique de Québec présente déjà une saison complète. Nous devons donc nous produire à l'extérieur de la région.

LSM : Parlez-nous de votre transcription des Variations Goldberg

Comme vous le savez, les Variations Goldberg de Bach ont été écrites pour le clavecin. Il existe déjà une adaptation pour orchestre, de Dimitri Sitkovetsky, que mes musiciens m'ont présentée en me suggérant de la jouer. J'ai pensé que je pourrais améliorer certains aspects de sa transcription. En transcrivant une ¦uvre écrite pour clavier à un ensemble à cordes, je voulais en transformer le langage d'une façon plus fondamentale que Sitkovetsky. En fait, il s'est contenté de transcrire fidèlement chaque note du clavier pour les cordes. Les compositeurs de l'époque baroque n'auraient jamais agi ainsi. Ils auraient transformé la musique afin de l'adapter à un orchestre à cordes. C'est ce que j'ai tenté d'accomplir en préparant cette adaptation. Pas tout à fait comme Bach aurait pu le faire, mais en empruntant les méthodes dont se servaient les compositeurs du 18e siècle. Nous consacrerons la première partie de notre concert de septembre à des exemples de transcription du 18e siècle, notamment à deux concertos de Charles Avison, adaptés à partir de sonates pour clavier de Scarlatti, ainsi qu'à une adaptation, par Geminiani, de La Folia de Corelli, une sonate originalement composée pour violon et continuo. Les Variations Goldberg ont toujours été une des mes pièces favorites du répertoire pour clavier. C'est un exemple fascinant de la façon dont Bach aborde une idée simple et la transforme. J'aime beaucoup les enregistrements de Scott Ross et de Gustav Leonhardt. J'écoutais autrefois très souvent la version de Glenn Gould, mais aujourd'hui je ne peux plus l'écouter. Il joue certaines variations d'une façon merveilleuse, mais dans d'autres il tue la musique, ce qui la fait ressembler beaucoup plus à du Gould qu'à du Bach.

J'ai toujours été passionnément intéressé par la musique de Bach. Sa capacité de transformer sa musique était phénoménale. Il écrivait 2 ou 3 versions de chaque composition, en adaptant sa propre musique, la transformant comme les musiciens modernes n'oseraient jamais le faire. Il est assez ironique de constater que la pratique actuelle, en ce qui concerne la musique ancienne, accorde au mot «authentique» un sens sacré, qui n'a rien à voir avec les usages d'autrefois. Nous ergotons constamment sur les versions originales avec des instruments originaux mais, très souvent, ce que nous considérons comme une version originale n'est en fait qu'une deuxième ou même une troisième version. Les mêmes compositeurs que nous tentons de reproduire fidèlement, Händel par exemple, réécrivaient souvent leurs opéras pour des chanteurs différents. La réécriture est un aspect fondamental de la musique baroque, que les musiciens d'aujourd'hui oublient trop souvent. Nous devrions cesser d'être paralysés par ce que nous imaginons qu'on faisait au 18e siècle. Bach, par exemple, a transcrit le premier mouvement de sa Partita en mi majeur pour violon en une symphonia pour orgue solo, cordes, trois trompettes, timpani et continuo pour la Cantata 29. Je trouve très stimulant de faire le processus de transcription. On apprend ainsi beaucoup de choses sur la musique du 18e siècle.

LSM : Comment restez-vous fidèle aux principes des adaptations du 18e siècle ?

Lorsque l'on transforme une pièce ou qu'on la joue sur un autre instrument, elle acquiert une qualité différente. Dans le cas des Variations Goldberg, la transcription du clavier vers l'orchestre à cordes signifie que la nouvelle adaptation exige des tempos différents. On peut jouer plus vite avec un orchestre à cordes qu'au clavier parce que chaque instrument joue une voix à la fois. D'autre part, soutenir les notes sur des cordes demande un tempo plus lent. Je ne crois pas que les tempos soient immuables. Ils dépendent de l'instrument tout comme l'idiome musical est relié à l'instrument. Jusqu'à un certain point, le médium détermine l'interprétation. Une transcription est donc une ¦uvre nouvelle qui ne peut être comparée à l'¦uvre originale.

Environ la moitié des Variations Goldberg peuvent être transcrites presque note pour note. Lorsqu'il est évident que l'on a affaire à une écriture en trois ou quatre parties, il suffit de donner chaque note à un instrument. C'est ce que Mozart a fait en adaptant pour quatuor à cordes les fugues pour clavier bien tempéré. C'est ce que Sitkovetsky a fait pour la moitié des variations et ma version n'est pas très différente. C'est la partie la plus facile.

Cependant, dans d'autres Variations Goldberg, il est évident que presque toute la variation est écrite en deux ou trois parties, mais à certains moments il manque une voix, parce qu'en écriture habituelle pour clavier on n'a pas constamment besoin de voix séparées. Dans une transcription pour cordes, il semblerait bizarre et insolite qu'un instrument disparaisse pendant trois, quatre ou cinq mesures. Le musicien qui fait une transcription doit remplir les blancs, comme Bach l'a fait lorsqu'il a transformé le concerto pour violon en concerto pour clavecin. C'est presque comme si on recomposait la musique. Il faut être très prudent pour adapter le style et préserver l'essence et l'équilibre interne de la pièce. C'est un processus à la fois dangereux et stimulant.

Un troisième type de variations comporte une écriture tellement typique pour clavier qu'il faut trouver diverses formules pour l'adapter à un orchestre à cordes. Dans certains cas, ce qui semble une écriture à deux parties est en fait une écriture à trois parties. Lorsque Gustav Leonhardt transcrivit pour le clavecin les Suites pour violoncelle seul, il compléta l'harmonie et transforma le langage du violoncelle en un langage pour clavier. C'est le processus inverse pour les Variations Goldberg, dans lesquelles il faut adapter les figures et les motifs typiques pour clavier pour l'orchestre à cordes. Bach faisait cela aussi. Par exemple, la 14e Variation Goldberg comporte une écriture typique pour clavier. Elle est difficile à transférer pour cordes exactement comme elle est écrite. On finit avec trois ou quatre instruments jouant deux voix ; certains instruments disparaissent alors que d'autres apparaissent et souvent la logique est absente. La solution à ce problème exige beaucoup d'expérience en musique baroque.

LSM : Quelles sont les faiblesses de la transcription de Sitkovetsky ?

Lorsque la musique de Bach commence à sonner comme un Caprice de Paganini, quelque chose ne tourne pas rond. Sitkovetsky utilise parfois une tessiture qu'un compositeur baroque n'utiliserait pas. On ne peut jouer du violoncelle dans le registre du violon. Contrairement à Sitkovetsky, mon adaptation utilisera la basse continue (au clavecin) partout.

LSM : L'auditoire entendra-t-il plutôt du Labadie que du Bach ?

Il s'agit de ma première transcription. J'ai commencé à y travailler en avril 1997. J'en ai modifié des variations à plusieurs reprises et je ferai probablement des modifications au cours des pratiques, exactement comme le faisaient les compositeurs de l'époque baroque. Certaines variations exigent l'orchestre au complet et certaines 2 ou 3 instruments seulement. Les auditoires entendront surtout du Bach et un peu de Labadie. On ne peut détacher entièrement sa personnalité du processus créatif.

Tout le monde connaît et aime les Variations Goldberg, alors je prend un grand risque en réécrivant et en jouant un tel morceau. Mais je crois que le risque doit faire partie de la vie d'un musicien. C'est pourquoi je fais cette tentative. Nous verrons bien comment cela sonnera en septembre !

J.S. Bach: Variations Goldberg (arr. Bernard Labadie), C. Avision, F. Geminiani, Les Violons du Roy, Chef: Bernard Labadie. Le 26 septembre 1997, Québec, Palais Montcalm, 20h, (418) 670 9011. Le 27 septembre 1997, Montréal, Salle Claude-Champagne, 20h, (514) 844-2172.
Radio Canada diffusera en direct le concert du 26 septembre 1997 à 20h00 et ce sur tout son réseau.

Caractéristiques de l'archet baroque :
€ plus court € plus léger (environ 10 g de moins que l'archet moderne) € tête très effilée € moins de crin € Etant donné sa forme, l'archet baroque n'a pas une égalité de son : son talon joue fort tandis que sa pointe est plus faible. De là une différence de sonorité musicale : le son baroque.
‹ Elisabeth Starenkyj

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