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La Scena Musicale - Vol. 21, No. 5 février 2016

Daniel Taylor - Chants et cantiques dignes de l’hiver canadien

Par Catrin Dowd / 1 février 2016

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Daniel Taylor

Les Montréalais connaissent bien le sentiment évoqué par Four Thousand Winter, l’album inaugural du Trinity Choir. Le chœur effectue un retour à la tradition chorale mélodiste pour atténuer le blues hivernal. En 2015, étudiants et professionnels du Canada et de l’Angleterre se sont massés dans l’église Saint‑Alban, à Londres, pour la première répétition. Chaque choriste a chanté en ayant à ses côtés une personne jusqu’alors inconnue. Tous ont pris plaisir à perpétuer la grande tradition chorale anglaise en lui donnant un caractère canadien.

Le contre-ténor et chef de chœur Daniel Taylor valorise la combinaison de l’ancien et du nouveau. Son répertoire, voire le choix des partitions, est guidé par le souci de la diversité. « Pour souligner le contraste entre la musique d’aujourd’hui et celle d’il y a quelques années », le chœur chante la pièce Adam Lay Ybounden du compositeur Matthew Martin (version de 2009) et interprète O Radix Jesse, tiré d’un manuscrit médiéval. Et pourtant, un fil conducteur relie ces chants. Le compositeur Matthew Martin introduit l’idée du chant; il est ensuite littéralement réverbéré par les murs de l’église avec des échos de musique spectrale. Ce n’est certes pas un enregistrement de musique ancienne !

LSM : Chantiez-vous des cantiques dans votre enfance ?

Daniel Taylor : Que oui ! Partout à Ottawa, même dans la demeure du premier ministre. J’ai chanté pour Joe Clark, Brian Mulroney et Jean Chrétien. Ces expériences vous impressionnent, car vous rencontrez le dirigeant du pays. Toutefois, les visites dans les hôpitaux sont des expériences plus importantes. Lorsqu’une personne souffre, elle peut être incapable d’esquisser un sourire, de vous regarder ou de vous manifester son appréciation. En tant qu’êtres humains et artistes, nous pouvons tous en tirer une leçon. On développe ainsi la capacité de tourner le regard vers l’intérieur, de reconnaître la portée de ce qu’on fait même lorsqu’on se retrouve devant des gens qui ne peuvent pas l’exprimer.

L’album contient des moments marquants : l’entrée des basses dans le cantique de Martin, le chant A Spotless Rose amorcé par une description poétique, l’air The Truth from Above qui finit sur la voyelle « A ». Comment communiquez-vous ces effets au chœur ?

Matthew Martin évoque un cri humain en jouant sur la distance entre les basses les plus graves (ce merveilleux grondement) et la pureté des voix de sopranos à l’autre extrémité. Ce que je demande est précis, car tout est une question de pureté : pureté de l’intonation (l’importance de saisir les couleurs des tierces) et du langage. Je cherchais également un dénominateur commun entre l’accent anglais et un accent canadien afin que le langage soit limpide et communicatif.

J’accorde de l’importance au véritable langage, et ce, en tout temps. Dans la pièce de sir John Tavener, les sopranos s’attardent un brin plus longtemps sur le « l » de « lamb ». C’est voulu. Les voyelles sont la rivière et les consonnes sont la berge. Comment obtenir des consonnes plus expressives ? Comment la consonne peut-elle mener à la voyelle ?

Si l'on n’y prête pas attention, on peut tomber dans le piège des consonnes qui s’entrechoquent et des voyelles qui manquent d’éclat. Chanter se résume alors à produire des sons tantôt forts, tantôt aigus ou graves, au lieu d’être une forme de communication. En qualité de maîtres de chant, nous nous présentons comme des médecins. On parle si souvent de physiologie, importante certes, qu’on en oublie le langage. Je me rends compte que lorsque je demande à un membre du chœur de chanter la véritable voyelle, cette voyelle prend forme. Le cerveau est le véritable maître.

Sur l’album, des échos résonnent après chaque note sans toutefois interférer avec l’harmonie. Comment êtes-vous parvenu à créer un tel son ?

Grâce à un grand producteur d’enregistrements de chœurs. Alors que je dirigeais la première répétition du chœur, Nick Parker installa des microphones dans l’église pour capter un son intime et immédiat auréolé de l’atmosphère de l’église.

Les circonstances d’enregistrement ont été parmi les plus difficiles qu’il m’ait été donné de connaître. Un centre commercial était en construction juste à côté de l’église. Lors de notre première journée, nous avons répété une heure durant, puis nous avons entendu des explosions et le bruit d’une scie électrique à moins de dix pieds de la porte. D’autre part, il y a avait un projet de logement social qui était mal géré. Les gens, entassés dans des lieux exigus, subissaient des préjudices. À la sortie de l’école, les enfants étaient tout simplement hyperactifs. C’était un logement social, mais était-il convenable ?

Nous enregistrions des sections intimistes, en quête du silence après la musique; or, le bruit du monde extérieur continuait à se faire entendre. Nous avons dû faire preuve de patience, mais le chœur s’est donné corps et âme.

Vous avez dédié l’album à Christopher Jackson, défunt fondateur et directeur du Studio de musique ancienne de Montréal. Comment l’album évoque-t-il sa mémoire ?

À dix-sept ans, j’ai passé une audition avec lui à Montréal et il m’a intégré au chœur. J’ai pu compter sur son incroyable loyauté : dès la première saison, il m’a confié des solos. Nous avons chanté une œuvre de Thomas Tallis, une des préférées de Christopher.

Aussi, quand j’ai appris la nouvelle, j’ai pensé à Videte Miraculum, une œuvre qu’il aurait aimé entendre, enregistrer, à laquelle il aurait aimé contribuer. Cette pièce lui est donc dédiée. Ce fut également pour moi une grande découverte qui est venue à point nommé combler un besoin. D’aucuns pourraient m’accuser de donner de faux espoirs aux auditeurs en leur faisant croire qu’ils ont entre les mains un album ne contenant que des chants de Noël de quatre minutes quand en fait, ils sont amenés à écouter une pièce de Tallis de quatorze minutes. Mais je trouve les œuvres de Tallis d’une beauté inconcevable. Si j’écoute certaines cantates de Bach, je commence à comprendre où il veut en venir. Avec Tallis, je ne sais par où commencer.

Que vous a-t-il enseigné ?

Avec son sourire et une étincelle dans les yeux, il m’a toujours donné des conseils auxquels je n’avais pas songé. Sa méthode socratique a exercé une grande influence sur la façon dont je dirige un chœur et sur la façon dont je m’adresse à ses membres, que je leur transmets mes connaissances. Tôt ou tard, nous nous posons tous les mêmes questions, de différentes manières. Christopher m’a toujours incité à me questionner.

Traduction par Lina Scarpellini


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