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La Scena Musicale - Vol. 21, No. 2

Jazz : Du nouveau à McGill

Par Marc Chénard / 1 octobre 2015

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En juin dernier, l'école de musique Schulich de l'Université McGill a réussi un beau coup en pourvoyant deux postes d'enseignants dans son programme d'études jazz. Le directeur de l'école, Sean Ferguson, est d'ailleurs très fier d'avoir recruté deux artistes de renommée internationale. Pianiste, Jean-Michel Pilc est connu des amateurs montréalais, s'étant produit chez nous à plusieurs reprises, tout dernièrement au FIJM; le batteur John Hollenbeck, en revanche, n'a jamais foulé le sol québécois jusqu'à cette année, mais sa venue permettra aux amateurs de découvrir un musicien d'une grande originalité. Outre les faits de mener des carrières sur scène et de produire des disques, ils sont aussi des pédagogues d'expérience, enseignant à New York et à Berlin respectivement. Leur arrivée à McGill promet, car elle démontre la volonté de l'institution de se mettre au pas du jazz du XXIe siècle.

Jean-Michel Pilc : Professeur, mais pas seulement…

Jean-Michel Plic

En consultant la biographie de Jean-Michel Pilc, rien ne semble indiquer a priori une vocation d'enseignant : élevé dans une famille de mélomanes à l'écoute du jazz et de musique classique, il s'initie au piano à six ans. Autodidacte, il joue en amateur, d'abord seul puis avec d'autres à 20 ans. Il fait carrière d'abord en génie, troquant le clavier d'ordi en 1987 pour celui du piano. À Paris, il fait ses premières armes, mais s'envole pour la Grosse Pomme, où il se fixe en 1995. Au fil des mois, il se taille une place dans cette métropole qui ne pardonne pas, réalise des enregistrements chez Dreyfus Jazz, Motema et Sunnyside Records. Comme beaucoup de musiciens, il donne des cours particuliers et, en 2006, la NYU (New York University) lui offre un emploi. Neuf ans plus tard, il quitte la Mecque du jazz pour s'installer en terre québécoise. Mais comment se fait-il donc qu'un musicien si bien placé dans cette énorme métropole élise domicile dans notre gros village ?

« Je suis le genre de personne qui aime remettre les choses à zéro périodiquement, explique-t-il en conversation dans son nouveau bureau. J'ai quitté Paris pour la même raison. Vingt ans à New York, c'est toute une vie. Je cherchais quelque chose de différent, et comme j'ai toujours aimé jouer et passer du temps à Montréal, cela me semblait un bon choix. »

Son arrivée est le résultat d'un heureux concours de circonstances. Il apprit l'ouverture de poste à McGill par un collègue. En février, il postule; le mois suivant, il passe l'entrevue, donne un cours et joue pour le comité de sélection. En mai, l'entente est conclue, le contrat signé.

Pour Jean-Michel Pilc, la musique n'est pas qu'un métier, mais une passion fondée dans la magie de l'improvisation. « Le rôle du professeur consiste à transmettre la passion, à donner cette envie et cet amour de la musique. En fait, si l'élève ne ressent pas cette passion après le cours, je considère n'avoir pas réussi ma leçon. » Esprit libre, il s'inscrit en faux contre tout académisme, préférant agir comme coach, ou « aiguilleur », et non comme professeur prodiguant un savoir précis. « La musique n'est pas une discipline, mais un art, et tout art repose sur la passion. Mais elle est aussi un langage qui s'apprend par l'imitation plutôt que par des règles. L'enfant par exemple acquiert une langue en imitant ses parents avant même de connaître la grammaire. » Ainsi en est-il en musique, selon lui : au lieu de mettre tout l'accent sur la théorie et les exercices techniques, pierres angulaires des pédagogies musicales traditionnelles, il faut revenir à l'essentiel, soit développer la perception des sons et la faculté de les reproduire pour aboutir à un langage personnel. S'appuyant sur ces constats, il a échafaudé toute une pensée musicale dans un ouvrage récent et un DVD (voir références ci-dessous). La vision de Jean-Michel Pilc est certainement rafraîchissante et on ne peut que souhaiter que ses jeunes charges puissent bien s'y abreuver.

Jean-Michel Pilc
 » Sur la toile : www.jeanmichelpilc.com
 » Sur disque : What is this thing Called ? (Sunnyside Records, 2014).
 » Livre : It's About Music – The Art & Heart of Improvisation (Glen Lyon Books, 2012) ISBN978-0985903909 / www.glenlyonbooks.com
 » DVD : Piano Playing : Transcending the Instrument (2009)
 » En concert : Off Festival de Jazz – 9 octobre 20 h (solo) – Chapelle historique du Bon-Pasteur (En première partie : Marianne Trudel)

Jean-Michel Pilc
What is this thing called ?
Sunnyside SSC1349

On connaît la boutade selon laquelle ceux qui savent mal faire quelque chose l'enseignent. Jean-Michel Pilc fait toutefois mentir ce jugement. Sa discographie bien étoffée en est d'ailleurs la preuve, tout comme cette nouvelle offrande, un tant soit peu différente de ses albums antérieurs. En effet, il se livre à un récital solo (le troisième sur disque) assez surprenant, car en une heure et quelques poussières, il étale pas moins de 31 plages ( !) audio ainsi que deux versions d'un autre titre en vidéo. Point de bavardage ici, car quatre morceaux seulement dépassent le cap des quatre minutes et pas huit autres sont bouclés en moins de soixante secondes. Les amateurs reconnaîtront sans doute l'allusion à l'une des mélodies célèbres de Cole Porter qui donne son titre au disque (l'« amour » en moins), morceau servi en plusieurs courtes variations dans le reste du disque. Pour conclure son récital, il offre une lecture d'un autre standard de jazz, You Know What Love Is, cette fois-ci sans le don't. Plus que des clins d'œil, ces pièces aux titres révélateurs mettent en évidence les convictions du musicien sur ce que la musique doit être. Ailleurs, il rend hommage à deux grandes figures du piano jazz : Martial (plage 16) est dédié à son éminent compatriote M. Solal, qu'il considère comme son « premier coup de cœur en trois dimensions », impression retenue après l'avoir vu jouer dans une boîte parisienne; Duke, bien sûr, ne nécessite aucune explication, mais le pianiste ne succombe pas à l'exercice de style ni au pastiche. Cela dit, certains pourraient être laissés sur leur faim par la brièveté des morceaux – les amateurs de jazz ont un faible pour les grandes excursions –, mais on invite l'auditeur à découvrir cet artiste par son livre ou le DVD (v. références ci-dessus). Jean-Michel Pilc nous offre donc son art musical en condensé, à la manière d'un vade-mecum, mais sans intention didactique. L'auditeur qui prend connaissance de ces matériaux complémentaires saura même apprécier cette production un peu plus que ceux qui n'écoutent que le seul contenu sonore, croyez-moi.

John Hollenbeck : Batteur pas comme les autres

John Hollenbeck

Pédagogue aguerri, John Hollenbeck a suivi un tout autre cheminement professionnel que son nouveau collègue Jean-Michel Pilc. Diplômé en musique, ce batteur américain quitta la Grosse Pomme pour pratiquer ce métier à Berlin. Pilc, le pianiste autodidacte, a quitté son Paris natal pour élire domicile à New York, où il décrocha finalement un poste d'enseignant; improvisateur dans l'âme, ce pianiste reprend avec autant de plaisir de vieux standards de jazz qu’il propose des pièces originales. Le batteur, en revanche, s'affirme surtout comme compositeur et son approche singulière n'a rien de convenu. Que ce soit avec son grand orchestre (voir plus bas) ou sa petite formation, le Claudia Quintet (avec accordéon et vibraphone), ce musicien poursuit une voie vraiment à part.

En entrevue, Hollenbeck confie que son frère aîné Pat demeure sa première influence. « Il a été mon meilleur conseiller, parce qu'il est percussionniste professionnel. À douze ans, il me faisait écouter des disques de batteurs à la maison. Pourtant, il voulait que je suive d'abord des cours de piano. » Suivant l'exemple de son aîné, il s'est inscrit à la Eastman School of Music à Rochester, y recevant « une bonne formation de base » menant à un premier diplôme en percussion classique puis, en 1991, à une maîtrise en études jazz.

Fort de cette expérience, John Hollenbeck peut parler d'éducation musicale en connaissance de cause. « L'école permet de transmettre les rudiments, la théorie, l'histoire, etc.; la créativité, par contre, s'acquiert par après. À mon avis, il est important d'avoir ces notions de base d'abord pour s'aventurer comme bon nous semble dans toutes sortes de directions. »

Cette perception est au cœur de son enseignement. En 2005, l'Institut de Jazz de Berlin cherchait un remplaçant pour son professeur titulaire Jerry Granelli, qui se retirait. L'institution attendit d'abord des soumissions de candidatures, mais aucune ne sembla convenir. C'est alors qu'elle se mit à chasser des têtes et, comme Hollenbeck se trouvait dans la capitale allemande, on le contacte. Peu après, il est engagé. Très rapidement, il se plaît dans son nouvel environnement, non seulement à l'école, mais aussi dans cette métropole qui fait office d'aimant culturel du Vieux Continent. Mais pourquoi un musicien vivant dans un tel centre le quitterait-il pour s'installer chez nous ?...

« Je ne cherchais vraiment pas une nouvelle situation, avoue-t-il d'emblée, du moins jusqu'à ce que Christine Jensen m'en parle. Elle avait obtenu une bourse pour étudier la composition avec moi et s'est même rendue à Berlin, à défaut de pouvoir fixer une rencontre à New York. Elle m'a donc mis la puce à l'oreille. Par après, j'ai rencontré Anna Webber (elle aussi diplômée de McGill et avec qui le batteur a formé un trio); elle aussi me parlait de Montréal en bien, disant qu'il y avait une scène de musiques créatives comparable à celle de Berlin. Sur ces entrefaites, j'avais reçu une commande d'œuvre de l'ensemble Cairn en France. Son directeur, Guillaume Bourgogne, est également le Directeur de l'ensemble de musique contemporaine à McGill et il m'a donné le même son de cloche. J'ai donc soumis ma candidature en début d'année et à peine un mois plus tard on m'a convoqué à une entrevue. Très rapidement, nous sommes arrivés à une entente et j'en suis très heureux. »

Outre des cours particuliers, John Hollenbeck partagera une classe de composition avec Joe Sullivan. Dans son cas, il s'agit d'une année de transition, car il veut conserver son poste à Berlin jusqu'à l'été prochain, question de boucler ses affaires. « Je serai à Montréal pour le début du premier semestre, parce que l'année commence en octobre là-bas, mais je serai de retour ici pendant l'hiver, les cours à Berlin reprenant seulement en avril. »

Notons en terminant que son grand orchestre new-yorkais se produira chez nous en fin de mois, soit le mercredi 21 à l'Université McGill. Cette formation de vingt musiciens se produira à trois autres reprises durant cette période, soit à Ithaca, Rochester et New York. Pour ceux qui veulent apprécier pleinement l'œuvre de compositeur pas comme les autres, voici une occasion à saisir au vol.

 » Sur la toile : www.johnhollenbeck.com
 » Pistes d'écoutes
Songs We Like a Lot – Disques Sunnyside (2015) (Arrangements de chansons pop modernes interprétés par l'Orchestre de jazz de la Radio de Francfort)
September – Cuneiform (2014) – Claudia Quintet
 » En concert : John Hollenbeck Orchestra, 21 octobre, 20 h. Salle de concert Pollack.

John Hollenbeck
Songs We Like a Lot
Sunnyside SSC1412

Projet spécial pour Hollenbeck, cet album propose un répertoire orchestral inusité, soit des tubes américains de millésime plus ou moins récent, orchestrés pour la circonstance pour l'orchestre de jazz de la Radio de Francfort. Le batteur a donc choisi d'arranger des morceaux rendus célèbres, entre autres, par the Fifth Dimension (Up, Up and Away), Burt Bacharach (Close to You) ou Cindi Lauper (True Colors). Certains froncent déjà le sourcil en lisant cela, car la rencontre du jazz et du palmarès pop n'a jamais produit des résultats très heureux, ce qui soulève un questionnement sur les motivations réelles (artistiques vs commerciales) de ce genre d'entreprise. Mais quiconque connaît l'écriture de cet arrangeur sait que son art s'inscrit dans les marges du jazz, aux confins de la musique contemporaine minimaliste et de la pop music. Qualifiée de « lyrisme expérimental », sa musique privilégie la douceur à la force ou l'énergie. Pour l'appuyer dans son travail, le pianiste Uri Caine agit en tant que soliste invité, tandis que les chanteurs Theo Bleckman (collaborateur presque inséparable du batteur) et Kate McGarry sont omniprésents, nous rappelant les mélodies de leurs voix « éthérées », mot qui qualifie bien l'ensemble de cette production. Des solistes improvisant se font aussi entendre, mais ces interventions se tissent en filigrane, sinon en contrepoint aux textures orchestrales. Aussi difficile soit-il de décrire cette musique, on peut tout de même risquer une analogie en la comparant à une suite d'images que l'on scrute d'abord à l'œil nu pour ensuite les regarder dans un jeu de miroirs déformants. De toute évidence, cette musique n'en est pas une qui fait remuer les pieds – je l'ai bien dit, ce n'est pas du big band – et certains la qualifieront volontiers de « cérébrale » (connotation péjorative incluse), mais force est de constater que John Hollenbeck s'approprie ici de matériaux somme toute convenus pour en révéler des dimensions inouïes. N'est-ce pas la clé de tout art que de créer ses propres exigences ?


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