Critiques de disque Par René-François Auclair, Éric Champagne & Caroline Rodgers
/ 1 octobre 2015
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Stéphane Tétreault, Marie-Ève Scarfone
Haydn, Schubert et Brahms
Analekta. AN2 9994. 66 min 31s
Un fort beau récital tout en contrastes. Au cœur de ce programme se trouve le bien-aimé Schubert. Et c’est là que le jeune violoncelliste se livre avec tout l’amour et l’ineffable sens de la musique qu’il maîtrise déjà à 22 ans. Autant il affectionne à l’évidence la sonorité voluptueuse de son instrument, autant il se donne sans concession dans la plus admirable sonate qui ait été composée pour l’arpeggione, communément appelé « guitare d’amour ».
Stéphane Tétreault et Marie-Ève Scarfone se suivent et se complètent très bien sur ces vagues incessantes, imprévisibles mouvements d’une musique qui s’abandonne totalement dans un chant libéré de toute contrainte. C’est ça, Schubert !
Et c’est lorsque notre regard ne se pose plus sur l’artiste, mais sur la musique elle-même, que l’on se rend compte de l’immense talent du violoncelliste. Cette façon de chanter chaque note, de sublimer le temps d’une mesure, de ralentir une cadence pour en faire surgir une émotion... c’est du grand art. Probablement la plus belle version de l’Arpeggione que nous ayons entendue jusqu’à ce jour et pour bien longtemps...
Le Haydn à l’entrée est plaisant et Stéphane Tétreault se fait un malin plaisir d’y déployer toute sa virtuosité. Le Brahms respire en profondeur. Sonate difficile et intense, mais impressionnante d’humanité.
La prise de son est assez réussie, mais manque un peu de transparence. On ne comprend pas pourquoi Analekta semble vouloir s’attacher à ce genre d’acoustique un peu brumeuse. Dommage, on était si près du ciel. R.F.A
Ottorino Respighi
Il Tramonto. Gli Uccelli
Botticelliano. Suite no 1 Antiche
Isabel Bayrakdarian, soprano.
OSL. Alain Trudel, direction.
Atma. ACD22732. 67 min 25 s
Ce premier disque de l’Orchestre symphonique de Laval nous présente un ensemble en pleine possession de ses moyens. Il y a décidément du talent de l’autre côté de la rivière des Prairies. Certaines idées préconçues concernant « les autres » s’évanouissent parfois rapidement.
Ils n’ont certes pas le luisant de certaines phalanges prestigieuses, mais même les grands orchestres laissent parfois en surface des impressions glacées de la musique ! Par contre, l’OSL d’Alain Trudel offre beaucoup de chaleur irradiante dans son interprétation. La musique de Respighi est mise en scène de si belle façon qu’on a l’impression d’y voir de grandes fresques d’images merveilleuses. Le traitement généreux de la prise de son y est pour beaucoup, l’une des meilleures de l’équipe Atma. Ces toiles somptueuses, déployées autant en largeur qu’en hauteur, mettent en valeur tous les instruments, sans exception. L’écoute est pleinement satisfaisante.
Il Tramonto, présenté ici comme l’œuvre principale, semble de moindre importance. Le poème lyrique n’est déficient ni en qualité d’écriture ni en inspiration. Mais la voix un peu aigre de la soprano arménienne Isabel Bayrakdarian et sa diction perfectible de la langue italienne nous empêchent d’apprécier pleinement cette partie du concert. On aime par contre son expressivité dans cette œuvre peu connue. Ainsi, la réussite de ce disque tient plutôt aux œuvres orchestrales. C’est là que tout le ravissement se produit. La colomba, par exemple, est un moment extatique d’un rare bonheur. On souhaite déjà un deuxième volume avec l’OSL, qui semble parfaitement à l’aise avec ce compositeur attachant. R.F.A
Charles Richard-Hamelin.
Chopin. Sonate no.3. Polonaise-fantaisie.
Nocturnes op.62.
Analekta. AN2 9127. 53m.42s.
Le jeune pianiste québécois fait partie des 84 participants du 17e Concours Chopin à Varsovie au mois d’octobre 2015. Sa présélection est déjà tout un exploit. À 25 ans seulement, Charles Richard-Hamelin démontre une maîtrise absolue, un jeu solide et articulé. En fait, qu’est-ce qu’on peut encore ajouter à ce Chopin ? Rien du tout. C’est clair, précis et percutant !
Ce disque est un avant-goût du prestigieux concours. Véritable tour de force, la troisième sonate est imposante, presque impossible à en traduire toute la beauté parmi une multitude de contraintes techniques. Chopin, à la fin de sa vie, a élevé d’un cran son niveau d’écriture. C’est riche et dense. Et le pianiste s’empare de cette musique, la traduit et la projette dans une formidable prestation sonore. Au travers de cette complexité inouïe, on a l’impression d’être au centre d’un ouragan, calme et reposé, pendant que la tempête fait rage autours de nous. Impressionnant et rassurant à la fois.
Ce piano est définitivement plein de promesses. Et c’est loin d’être fini. On discerne déjà dans l’avenir le raffinement du jeu, un relâchement de certaines tensions, plus de liberté et d’ouverture. Car nous sommes un public toujours plus averti et exigeant. Les comparaisons inévitables fusent de toutes parts...mais laissons l’espace et le temps nécessaire à Charles Richard-Hamelin pour s’exprimer. Et il le fait déjà tellement bien de toute façon. Superbe. R.F.A
All Spring : Musique de chambre d’Emily Doolittle
Seattle Chamber Players
Composers Concordance Records Comcon0025 (57 min s)
Premier album consacré entièrement à la musique de la compositrice canadienne Emily Doolittle, All Spring regroupe cinq œuvres de formations diverses reflétant autant de facettes de sa personnalité musicale. Le langage musical de Doolittle est consonant et souvent bien ancré dans une tonalité plus ou moins traditionnelle. Cela dit, son originalité se dévoile principalement dans la délicatesse de ses couleurs instrumentales et la souplesse de son inspiration mélodique. Four Pieces about Water ouvrent bien l’album avec ses quatre atmosphères texturées et colorées qui surprennent et marquent l’imaginaire. Falling Still est une méditation hypnotisante d’une réelle beauté qui vaut à elle seule l’acquisition du disque. Le petit cycle pour voix et instruments All Spring et la miniature Col sont tous deux inspirés et attachants. Seule la dernière pièce, Why the Parrot Repeats Human Words, agace par la présence d’une narratrice un peu maniérée. Néanmoins, chaque pièce bénéficie d’une interprétation claire, limpide et sans faille de la part de ces jeunes musiciens de Seattle, ville où la compositrice enseignait jusqu’à tout récemment. Un disque idéal pour qui veut découvrir une compositrice à la musique légère, colorée et très accessible. EC
PEP : Piano and Erhu Project, volume 2
Nicole Ge Li, erhu; Corey Hamm, piano
Redshift TK440 (64 min 36 s)
Étonnant et saugrenu projet que cet album qui regroupe des œuvres canadiennes pour erhu et piano. Instrument traditionnel chinois, l’erhu est une sorte de violon à deux cordes à la sonorité quelque peu sirupeuse et au vibrato proéminent. L’idée de jumeler cet instrument oriental au piano, instrument à la connotation on ne peut plus occidentale, laisse un peu songeur sur papier… Cependant, les sceptiques seront confondus ! Les musiciens témoignent d’une complicité et d’une passion qui confèrent à leur interprétation une énergie et un souffle audacieux. Leur conviction dans ce nouveau répertoire est des plus méritoires. Cependant, les pièces au programme ne sont pas toutes du même intérêt. Si Dorothy Chang et Aaron Gervais se démarquent admirablement du lot, on trouve vite que certaines œuvres se ressemblent un peu trop les unes les autres, en particulier la pièce d’Elizabeth Raum qui est tristement prévisible. Le disque se termine néanmoins par la Mainland Sonata de Remy Siu qui renouvelle judicieusement l’écoute. Les amateurs de découvertes auront de quoi nourrir leur curiosité avec ce projet surprenant qui mérite que l’on tende l’oreille. EC
Lekeu, Franck, Boulanger
Frédéric Bednarz, violon; Natsuki Hiratsuka, piano
Metis Islands Music MIM0006 (62 min 1 s)
Les chambristes Frédéric Bednarz au violon et Natsuki Hiratsuka au piano ont concocté un album des plus divins ! Le programme tout français regroupe deux sonates majeures du répertoire, celles de Lekeu et de Franck, ainsi qu’un petit nocturne de Lili Boulanger et le tout est interprété avec une finesse et un sens musical exquis. De la Sonate de Guillaume Lekeu, l’œuvre la plus connue de ce compositeur un peu oublié, voire négligé, les musiciens proposent une interprétation fluide et mouvante. Le caractère est toujours juste, le phrasé respire l’intimité et la tendresse, et la parfaite complicité des musiciens transparaît dans les moindres détails de cette charmante partition. La Sonate de César Franck est ici abordée avec une aisance dans la tension et de l’émotion, tout en conservant une belle maîtrise des tempos et l’équilibre des instruments. Le charmant Nocturne de Lili Boulanger qui clôt le disque résume à lui seul l’ensemble de l’entreprise : entre tensions et rêveries, ces deux musiciens sensibles et intelligents livrent une musique maîtrisée avec un naturel et une élégance délectables. Un must pour les amateurs de musique de chambre. EC
David Jalbert
Poulenc et Satie. Œuvres pour piano
ATMA Classique. ACD2 2683. 67 min 42 s
Le pianiste québécois David Jalbert convie le mélomane aux plaisirs simples de la musique d’Erik Satie et de Francis Poulenc avec un nouvel album au programme conçu avec intelligence, où l’on regrette seulement l’absence des Gnossiennes. On peut notamment y savourer trois Gymnopédies très lentes et veloutées dont l’écoute rappelle la sensation de marcher dans la mousse tendre d’une paisible clairière. Jalbert fait bien ressortir l’élégance et le raffinement des trois Improvisations de Poulenc, et prend tout son temps pour raconter Les trois valses distinguées du précieux dégoûté, comme autant de petites histoires étranges qui suggèrent inévitablement des images. On aurait toutefois souhaité que l’interprète ait un jeu moins retenu et plus libre dans Les Soirées de Nazelles, de Poulenc, où il manque ce zeste de folie à la « bœuf sur le toit » dans l’esprit de l’époque et des soirées mondaines dont l’œuvre s’inspire. CR
Louis Lortie et Hélène Mercier
BBC Philharmonic, direction Edward Gardner
Concertos pour piano
Aubade. CHAN 10875. 77 min 44 s
C’était déjà un plaisir d’apprendre que Louis Lortie et Hélène Mercier jouent de nouveau ensemble, mais le résultat surpasse nos attentes avec ce disque Poulenc éclatant de vie, de couleurs et d’énergie. Le jeune chef britannique Edward Gardner, qui nous avait laissé une vive impression à l’occasion de son passage à la barre de l’OSM en 2013, démontre qu’il a l’étoffe des grands à travers sa compréhension évidente de la musique de Poulenc et une interprétation qui provoque un ravissement garanti. Le programme généreux, en plus du Concerto pour piano et du Concerto pour deux pianos, inclut l’amusant Embarquement pour Cythère, Aubade, la Sonate pour piano à quatre mains et l’Élégie. Il n’y a pas une seconde d’ennui dans ce disque palpitant qui a de quoi garder l’auditeur rivé à son siège. Le jeu très expressif des deux pianistes, en parfaite symbiose, démontre une riche palette de nuances et d’idées musicales. Une grande réussite que tout amoureux du piano devrait avoir dans sa collection. CR English Version... |