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La Scena Musicale - Vol. 21, No. 1 septembre 2015

Critiques de disque

Par Éric Champagne, Charles-David Tremblay, et René-François Auclair / 1 septembre 2015

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John Adams : Absolute Jest, Grand Pianola Music
St. Lawrence String Quartet, Marc-André-Hamelin et Orli Shaham, piano, Synergy Vocals, San Francisco Symphony, dir. : Michael Tilson Thomas et John Adams
SFSMedia SFS 0063 21938-0063-2 (57 min 34 s)

Le San Francisco Symphony produit d’excellents albums sous son étiquette maison et celui-ci s’inscrit parmi ses plus grandes réussites. Il faut dire que Michael Tilson Thomas se fait le champion de la musique américaine et il l’interprète avec une fougue hors du commun. Ici, c’est à un collaborateur de longue date que l’orchestre de San Francisco rend hommage : John Adams. Deux œuvres aux antipodes, séparées par plus de 30 ans dans le catalogue du compositeur, se côtoient néanmoins admirablement bien et jouissent d’une interprétation exceptionnelle. Absolute Jest, un concerto pour quatuor à cordes et orchestre écrit pour le St. Lawrence Quartet, amalgame avec brio des réminiscences de la musique de Beethoven à travers un périple sonore flamboyant et intelligent. Dirigée par le compositeur, Grand Pianola Music est nettement plus proche du style répétitif des premières œuvres d’Adams, mais elle possède un ton unique et original qui séduit autant qu’il déroute, puisqu’on y retrouve des clins d’œil à la musique pop autant qu’à Steve Reich. Néanmoins, la tendre douceur du premier mouvement et le spectaculaire finale nous confirment que John Adams sait créer des cocktails musicaux surprenants mais cohérents où l’auditeur peut trouver facilement son plaisir ! E.C

Louis Babin : Saint-Exupéry : de cœur, de sable et d’étoiles
Moravian Philharmonic Orchestra, dir. : Petr Vronsky
Productions Louis Babin odl-lb-002 (33 min 27 s)

Jolie découverte que ce poème symphonique de Louis Babin inspiré par la vie et l’œuvre de Saint-Exupéry. À l’esthétique fortement ancrée dans la musique de film orchestrale contemporaine, la partition de Babin regorge d’inventivité et de couleurs qui charment dès la première écoute. Il est impératif de consulter les documents en ligne (lien inscrit dans la pochette) pour explorer à fond cette partition à l’imaginaire tendre et humain et en découvrir le processus créateur sous-jacent. De plus, ce projet est jumelé à une bonne cause puisque pour chaque disque vendu, un montant sera versé à la Fondation Antoine de Saint-Exupéry pour l’éducation des jeunes en difficulté. En complément de ce triptyque symphonique, le disque propose deux autres œuvres : une courte pièce intitulée Couleurs qui démontre l’écriture adroite du compositeur et la Suite du promeneur, peut-être son œuvre la plus jouée en concert, qui reflète avec philosophie la vision du monde de son auteur. Une belle carte de visite que ce disque au sujet duquel nous n’avons qu’un seul regret : il est trop court ! E.C

Michael Matthews : Quatuors à cordes
The Clearwater String Quartet
Ravello RR7910 (60 min 12 s)
5/6
Le compositeur canadien Michael Matthews crée une musique ancrée dans la tonalité, mais néanmoins très contemporaine dans sa conception. Si on décèle l’ombre d’un Chostakovitch ou d’un Schnittke dans son écriture pour cordes, on est toujours surpris par un passage plus corrosif ou un revirement plus lyrique. Le compositeur jongle avec sa matière sonore pour offrir un discours tout en introspection, en observation et en contemplation. Les Miniatures, originalement commandées par le quatuor Molinari, cultivent le goût pour la petite forme, avec quelques mouvements plus ou moins inspirés par la concision dramatique d’un Webern. On ressent dans le Quatuor no 3 une grande liberté et une souplesse du langage qui évoque certains compositeurs scandinaves, tout en conservant une sonorité et une chaleur toute personnelle. Le disque se termine par le Quatuor no 2 qui commence par deux mouvements bien rythmés avant de s’achever sur une méditation envoûtante et rêveuse. Quant au quatuor Clearwater, de Winnipeg, son jeu est clair et limpide, tout au service de cette musique à fleur de peau. E.C

Samy Moussa : Cyclus, col legno WWE 1CD 40409

Regroupant des œuvres de musique de chambre ainsi que pour orchestre, Cyclus est le dernier disque du compositeur canadien Samy Moussa, devenu un incontournable de la musique contemporaine. L’album confirme indéniablement l’importance du compositeur sur la scène internationale.
Écrites avec adresse, les pièces destinées aux formations symphoniques mettent à profit une orchestration raffinée et détaillée : l’influence de compositeurs français tels que son maître Pascal Dusapin est manifeste. Que ce soit les 4 Études ou le Kammerkonzert, l’Orchestre symphonique de la radio de Vienne interprète avec nuance et subtilité les œuvres, permettant ainsi d’explorer la richesse des textures et des couleurs. Dans un autre ordre d’idées, la justesse de l’interprétation des œuvres de musique de chambre rend l’expérience musicale d’autant plus personnelle; on ne peut qu’être impressionné par la maturité du compositeur et la qualité de ses procédés d’écriture, que ce soit dans À l’assaut des jardins ou le Streichquartet. La force du geste créateur de Moussa est muée en un tout cohérent dans Cyclus, le fond et la forme, d’une clarté étonnante, allant de pair. La musique de Moussa devient organique et ses dimensions physiques sont magnifiées par son approche compositionnelle novatrice. Grâce à Cyclus, le compositeur s’inscrit dans la lignée des grands tels qu’Olivier Messiaen. C.D.T

Dvorák. Trios pour piano. Triple Forte.
ATMA Classique. 2015. ACD2 2691. 69 min 44 s

Antonin Dvorák a composé seulement quatre trios pour cordes et piano. L’idiome romantique se rapproche, bien entendu, de celui de Brahms. Intensité d’émotion, puissance expressive, lyrisme appuyé et pulsations folkloriques évidentes. Ici, Dvorák exprime sans contrainte la violence des sentiments humains ainsi que le terroir profond de sa patrie, la Bohême qu’il affectionne tant. Ce sont des divertissements sérieux, de haute noblesse d’âme, comme le Trio en fa mineur op. 65, imposant et lourd, mais qui contient à lui seul tout l’art de Dvorák.
Par contre, le trio op. 90 « Dumky », brillante composition en six mouvements, est plus populaire. Grâce aux rythmes enlevants de cette danse d’origine ukrainienne, le ton est plus léger dans son ensemble. Les artistes canadiens ont réuni leurs forces pour en faire une lecture de grande classe. De cette fusion fort enjouée, où aucun ne vole la vedette, on retire une impression respectueuse de la musique de Dvorák. Il manque toutefois, quelque part, une certaine sauvagerie pour nous emporter totalement vers ces contrées slaves. R.F.A

Modern Times de Charlie Chaplin.
NDR Radiophilharmonie.Timothy Brock.
CPO 777286-2. 79 min 49 s.

Chaplin a composé beaucoup de musique pour le cinéma. Pour son dernier film muet, un effort considérable fut déployé. Cette fois, un grand orchestre de plus de 70 musiciens fut réuni. Avec l’aide de plusieurs collaborateurs, dont Alfred Newman à la direction, Chaplin a réussi un tour de force en livrant une musique exceptionnelle qui nous rappelle tant d’images de ce chef-d’œuvre.
En fait, Chaplin ne savait même pas lire une partition musicale ! Modern Times est surtout l’œuvre de David Raksin (1912-2004), jeune compositeur et élève de Schönberg. Il avait été recommandé par Gershwin aux studios de Chaplin. Il a noté et arrangé la plupart des mélodies que le cinéaste lui fredonnait ou sifflotait. De ces airs improvisés, Smile est devenu une chanson célèbre qui a été reprise de nombreuses fois. Pour chaque plan visuel, la musique est omniprésente pendant les 87 minutes du long métrage. Une orchestration variée soutient l’action, dont une panoplie extravagante d’instruments à percussion. La musique est un tourbillon de notes des plus amusantes, parfois étourdissantes, dont la fameuse scène des chaînes d’assemblage où Charlot peine à suivre une cadence frénétique qui le rendra fou…
C’est là qu’on se rend compte du travail dément que ces artistes ont accompli à cette époque, tant les copistes et arrangeurs que les musiciens à qui l’on demandait l’impossible. De nombreux changements de tempo étaient imposés, sans parler de la synchronisation méticuleuse qui devait être parfaite avec l’image. Timothy Brock a ressuscité ces musiques en puisant dans de nombreux documents, dont plusieurs étaient encore écrits à la main. Il s’est adjoint un orchestre de premier plan pour livrer une œuvre inoubliable qui survivra à travers bien des temps modernes. Une réussite. R.F.A.


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