La mission de Joseph Rouleau Par Wah Keung Chan
/ 1 avril 2015
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André Bourbeau avec Joseph Rouleau lors d'un concert OSM en 2011 à l'honneur de Rouleau.
L’année a été difficile pour Joseph Rouleau. Depuis qu’il a pris sa retraite en septembre dernier, à l’âge de 86 ans, après avoir assuré pendant 25 ans la présidence du conseil d’administration des Jeunesses musicales du Canada (JMC), la célèbre basse canadienne a connu des ennuis de santé. Heureusement, il se porte mieux. Sa carrière internationale est bien documentée, mais ses réalisations en administration des arts sont tout aussi brillantes.
En 1976, depuis Londres où il était encore installé, Joseph Rouleau fonde, avec dix autres personnes, dont Robert Savoie et Pierre Roland, le Mouvement d’action pour l’art lyrique du Québec (MAALQ). Son objectif est triple : la création de deux compagnies d’opéra – une à Montréal et l’autre à Québec – et d’une académie d’opéra. En 1979, il convainc Jacques Parizeau, alors ministre des Finances du Québec, de verser deux millions de dollars pour la création de l’Opéra de Montréal. Membre de son conseil d’administration pendant dix ans, monsieur Rouleau se souvient de cette belle époque où la compagnie pouvait mettre en scène sept opéras annuellement. En 1990, en raison de l’embauche du Français Bernard Uzan après la retraite du directeur général et artistique Jean-Paul Jeannotte, il quitte son poste. « J’estimais que nous avions assez de maturité pour recruter un Canadien », soutient-il.
De retour au Canada en 1977, il devient professeur de voix à l’UQAM trois ans plus tard, jusqu’à sa retraite en 1998, et il a joué un rôle actif au sein de son conseil d’administration (dix ans) et de son comité exécutif (cinq ans). La célèbre anecdote qui veut qu’il soit entré dans le bureau de l’homme d’affaires Pierre Péladeau pour en ressortir cinq minutes plus tard avec une promesse de don d’un million de dollars à l’UQAM est véridique. « J’y suis allé avec la vice-rectrice Florence Junca-Adenot et le président du département de musique Jacques Hétu et je lui ai exposé mon projet de faire construire une salle de concert pour l’UQAM qui porterait son nom s’il faisait un don d’un million de dollars, confie-t-il. C’est ainsi qu’est né le Centre Pierre-Péladeau, qui abrite aussi le département et la bibliothèque de musique. » Ensuite, monsieur Rouleau a invité le ministre fédéral Marcel Masse, qui a donné trois millions de dollars, et le reste a été financé par le gouvernement du Québec.
Également en 1980, Joseph Rouleau cofonde l’Orchestre Métropolitain avec Robert Savoie et plusieurs autres. « Nous avons souffert le martyre; pendant les cinq premières années, nous étions incapables de payer les musiciens. Lorsque Pierre Péladeau en a assumé la présidence, nous avons pu relancer l’orchestre et rémunérer les musiciens. Aujourd’hui, c’est le second orchestre symphonique de Montréal de qualité exceptionnelle. »
Son défi le plus important s’est présenté en 1989, lorsqu’il a été élu président du conseil d’administration des Jeunesses musicales du Canada. « Je n’avais pas compris que l’organisme était en si piteux état. En plus d’avoir accumulé une dette de 200 000 $, il était miné par plusieurs autres problèmes. » Lors de sa fondation en 1949 par Gilles Lefebvre, l’organisme avait comme objectif de soutenir les jeunes musiciens comme Joseph Rouleau, lequel a participé à sa première tournée en 1950. « J’ai donné 44 concerts, accompagné de John Newmark, et les 50 $ par concert que me payaient les JMC m’ont aidé à financer mes études en Italie. »
Depuis, Joseph Rouleau a manifesté sa gratitude de bien des façons. « Je me suis appliqué aux côtés de mes collègues et des membres du conseil à améliorer du mieux possible la réputation des JMC auprès des organismes subventionnaires qui commençaient à nous laisser tomber. Et j’ai réussi à mettre tout le monde sur la même longueur d’onde. Nous avons embauché Nicolas Desjardins au poste de directeur administratif pendant sept ans, puis Jacques Boucher pendant trois ans, ensuite Jacques Marquis pendant dix ans et maintenant, Danielle Leblanc a pris la relève. » Joseph Rouleau est aussi devenu président de la Fondation Jeunesses Musicales Canada (FJMC) qui ne comptait plus que deux membres. Téléphone en main, il lui a fallu deux ans pour convaincre André Lesage, président de Deloitte & Touche, de prendre la présidence de la FJMC. Après tout juste quatre ans à ce poste qu’il a occupé pendant six ans, le déficit était comblé.
Le plus grand allié de Joseph Rouleau reste l’ancien ministre des Finances du Québec, André Bourbeau. « La sœur d’André faisait partie de la Fondation, alors il a été invité à une activité de financement et est sorti grand gagnant d’une guerre d’enchères avec Pierre Péladeau dont le prix était un concert privé de la soprano Dominique Blier pour 5 000 $. Ensuite, il est venu me voir pour me demander si j’avais besoin d’encore plus d’argent, et c’est ainsi qu’a pris naissance le dîner-concert annuel à Dunham », explique-t-il. André Bourbeau a pris la présidence de la FJMC en 1997 et son événement-bénéfice s’est tenu pendant 21 ans. De 12 000 $ à ses débuts, les sommes recueillies ont grimpé jusqu’à 150 000 $ à sa dernière année.
Le duo Rouleau-Bourbeau s’est imposé rapidement. La Fondation et les JMC organisent un nombre impressionnant d’activités annuelles de financement, notamment un tournoi de golf, un encan d’œuvres d’art et un encan de vins. Mais le projet le plus important qu’il a mis sur pied est le Concours musical international de Montréal (CMIC) qui en est à sa 14e année d’existence. D’abord lancé en 1993, le concours d’art vocal Joseph-Rouleau est passé en cinq ans de simple événement provincial à un concours national, le montant du premier prix grimpant de 1500 $ à 15 000 $. Dès les années 2000 pourtant, messieurs Rouleau et Bourbeau étaient déterminés à en faire un concours d’envergure internationale, en remplacement du défunt Concours international de Montréal. Lorsque Marie-Nicole Lemieux a remporté le concours Joseph-Rouleau en 2000, ils l’ont accompagnée en Belgique où elle a gagné le premier prix du Concours musical international Reine-Élisabeth l’été de cette même année. C’est alors que leur projet s’est concrétisé. « En 2001, nous avons décidé de lancer le concours international dès l’année suivante, mais nous étions à court d’argent. Nous avons donc exposé notre idée au premier ministre du Québec Lucien Bouchard et à la ministre Agnès Maltais. Lorsque je leur ai demandé si nous devions solliciter l’appui financier du gouvernement fédéral ou du gouvernement provincial, monsieur Bouchard m’a répondu après un regard vers madame Maltais : “Nous nous en occuperons !” Chaque année, nous avons reçu 250 000 $ du gouvernement provincial, en plus de l’aide d’autres ministères. Le concours a vu le jour avec un budget annuel de 1,2 million de dollars. Nous avons recueilli de l’argent au fil des ans, et maintenant, il possède sa propre directrice administrative, Christianne LeBlanc, et sa fondation. »
Mais le plus impressionnant, c’est que Joseph Rouleau a fait tout ça bénévolement, à l’exception d’une modeste allocation pour son travail auprès de la FJMC et du CMIC.
Qu’est-ce qui le motive ? « La mission des JMC est de favoriser la diffusion de la musique classique auprès des jeunes et de promouvoir la carrière des meilleurs d’entre eux. N’est-ce pas extraordinaire ? s’exclame-t-il. Je tiens à en assurer la pérennité ! »
Traduction: Véronique Frenette English Version... | |