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La Scena Musicale - Vol. 20, No. 5

Johanne Goyette chez ATMA : Une véritable femme-orchestre

Par Crystal Chan / 1 février 2015

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Johanne Goyette

Le 1er février, Johanne Goyette recevra le prix Hommage au gala des prix Opus. Et pour cause : madame Goyette est une véritable femme-orchestre dans le domaine de l’enregistrement au Québec, cumulant les rôles d’entrepreneure, imprésario, spécialiste des relations publiques, musicienne et ingénieure du son. En 1994, elle a fondé l’étiquette ATMA Classique, accueillant d’abord l’excellent ensemble baroque Les Voix humaines. Aujourd’hui, elle fait paraître de 25 à 30 albums par année, d’ensembles comme Les Voix humaines ou de grandes vedettes, tels Yannick Nézet-Séguin et Marie-Josée Lord.

Dans une entrevue accordée à LSM, madame Goyette revient sur deux décennies d’inspiration et de découvertes.

« Musicienne de formation, je suis devenue réalisatrice chez Radio-Canada tout en suivant le programme d’enregistrement sonore de l’Université McGill. Mon objectif était d’avoir la mainmise sur l’ensemble des étapes : le choix des musiciens et des projets, la technique et le lieu d’enregistrement et la mise en marché. Avec les musiciens, je privilégie un processus de développement à long terme.

« Bon nombre de propriétaires d’étiquettes de disques doivent à un moment de leur parcours se consacrer exclusivement aux tâches administratives. J’ai la chance de pouvoir encore participer au volet artistique, je fais beaucoup de montage, et j’en suis ravie. J’ai enregistré près de 500 CD, mais ma passion de réaliser les meilleurs enregistrements qui soient me tient toujours autant à cœur.

« Lorsque j’assiste à une séance d’enregistrement, mon objectif reste la création d’un climat convivial où les musiciens peuvent se surpasser. De nos jours, il est facile d’enregistrer, mais réaliser un CD en trois jours, c’est bien différent. Je crois que j’ai l’expérience nécessaire pour obtenir les meilleurs résultats, mais il faut redoubler d’efforts. C’est difficile pour moi d’expliquer comment on peut obtenir une heure de musique en trois jours. Le secret est dans les bons ingrédients. »

Nouveaux musiciens, nouveaux marchés

« Le marché est très dynamique, alors nous recevons de trois à quatre propositions par semaine, bon nombre de l’Italie, de la France et de la Suisse. Parfois, ces propositions sont très prometteuses, mais il est difficile pour nous de promouvoir le talent de musiciens étrangers parce que le bassin au Québec est florissant. Je suis très heureuse que nos efforts ici aient porté fruit et que nos musiciens soient connus sur la scène internationale. Je me concentre sur notre talentueuse famille de musiciens et si leurs propositions me semblent intéressantes, j’assiste à leurs concerts ou répétitions. Je crois que le plaisir y est aussi pour quelque chose. Il est important de s’amuser et de tisser des liens solides avec les musiciens. Les musiciens doivent être actifs, autant en concert que sur Facebook. Vous ne pouvez pas enregistrer un CD en espérant que les ventes s’envoleront d’elles-mêmes.

« Il y a beaucoup de nouveaux musiciens de grand talent. Chaque année, je rencontre de jeunes chanteuses très douées qui méritent d’être enregistrées. Le public réclame ces enregistrements. Les gens écoutent de la musique autant qu’avant, mais ils se la procurent en formats différents.

L’évolution numérique

« Nous sommes omniprésents sur le Web. L’industrie et les musiciens doivent s’adapter afin d’assurer leur pérennité jusqu’au siècle prochain. En qualité de réalisatrice, je fais de mon mieux, mais l’industrie doit se débrouiller. Je ne me plains pas parce que je vends moins de CD. Je m’applique plutôt à emprunter la voie qui donne des résultats. De nos jours, nous nous considérons comme des réalisateurs de contenu.

« Les magasins ferment, mais il existe d’autres façons de faire du profit. La diffusion en continu est devenue un incontournable. Pour un CD, 50 000 clics constituent une excellente visibilité internationale, dans 75 pays. Grâce à Spotify, mes produits reçoivent près d’un million de clics par année. C’est très positif. Nous devons en tirer profit, faire appel à YouTube. Les gens achètent aussi des fichiers MP3.

« En plus, ils commencent à se procurer des CD à haute résolution. Même si le phénomène est encore marginal, il prend de l’ampleur. Sans CD, vous n’existez pas sur ce marché. Le support matériel demeure indispensable. Je ne sais pas pour combien de temps, mais la norme reste l’album. Que vend iTunes sinon des pistes tirées d’un album  ? »

Un flair pour les sons

« J’ai adopté le numérique, après le mode analogique. J’aime l’énergie dans les sons, et la technologie numérique de bonne qualité me permet de l’obtenir. Je sais que je ne ferai pas l’unanimité auprès des adeptes du vinyle, mais je privilégie la clarté et l’énergie. Les techniques numériques se sont raffinées, mais j’aime toujours autant les micros que j’avais à mes débuts. J’en utilise très peu dans mes enregistrements, parfois seulement deux. La clé, c’est la salle, l’instrument et le musicien. Vous enregistrez l’air qui circule autour de l’instrument. Celui-ci émet des ondes que la salle répercute, mais c’est l’endroit où vous posez vos oreilles ou le micro dans ce champ sonore qui donne la couleur au son. Dans ce domaine, rien n’a changé.

« Un concert n’a rien à voir avec un enregistrement. Lorsque vous assistez à un concert, vos oreilles ne travaillent pas de la même façon que pendant une simple écoute. En tant qu’ingénieure du son, je dois avoir la capacité de créer un espace sonore intelligible pour l’oreille seulement. »

Traduction : Véronique Frenette


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