Histoire de famille : Jim et Chet Doxas Par Marc Chénard
/ 1 décembre 2014
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Unis dans leur passion commune pour la note bleue, les frères Doxas s’illustrent sur nos scènes depuis plus de dix ans. Tous deux dans la mi-trentaine, ils amorcent en ce moment un tournant décisif dans leur carrière : la percée sur la scène internationale. Pendant l’été 2012, ils côtoient le trompettiste étoile américain Dave Douglas et réalisent sur son étiquette un premier disque (voir en fin d’article). En août dernier, ces trois messieurs ont parcouru pas moins de sept festivals européens avec le concours d’une figure légendaire, le bassiste électrique Steve Swallow. Bien que les Doxas jouent souvent ensemble, ils gèrent des carrières distinctes; en fait, ils sont tellement occupés ces derniers temps qu’il a fallu les rencontrer séparément pour recueillir leur propos. Chet pour sa part a fait ses adieux à Montréal l’été dernier, élisant domicile dans la Grosse Pomme, mais compte toujours revenir dans sa ville natale, autant pour jouer que pour maintenir ses liens familiaux.
En fait, le destin de ces frères semble avoir été inscrit dans leurs gènes, leurs parents partageant une même passion pour la musique. Leur père George avait d’abord joué de la guitare, puis de la contrebasse, pour ensuite se consacrer à l’enseignement et exercer son métier actuel de preneur de son; de nationalité américaine, leur mère est une mélomane friande de musiques populaires, tous genres confondus. En un mot donc : la voie semblait tracée d’avance pour leurs rejetons. Ou presque.
Bien que marqués dès leur enfance par la musique et encouragés à s’y initier, Jim et Chet n’estiment pas pour autant avoir été poussés à y faire carrière. Néanmoins, ils ont tous deux eu la chance de se faire la main sur plusieurs instruments avant d’arrêter leur choix, le frère aîné Jim tout spécialement. « L’été, après la fin des cours, notre père ramenait toutes sortes d’instruments à la maison, alors on pouvait les essayer à notre guise. J’avais commencé par le piano, un peu de violon, ensuite du cor français pendant plusieurs années, mais sans réelle conviction. C’est seulement adolescent que je me suis mis à la batterie et là j’ai eu le déclic. » Chet, pour sa part, est arrivé à son choix un peu plus rapidement. Bambin, il pianotait déjà, mais voulut passer au saxophone. Son père jugea bon qu’il commence son apprentissage à la clarinette, une sage décision, car celle-ci permet de développer une base pour le saxo.
Tout au long de leur jeunesse, Jim et Chet ont souvent joué ensemble, dans des orchestres au secondaire et au collège, mais aussi à l’Université McGill, dont ils sont tous deux diplômés. Jim est aujourd’hui l’un des instructeurs à sa faculté de musique. Après leurs études, ils ont formé le trio By-Product, avec leur vieux camarade bassiste Zach Lober – installé à New York depuis bientôt dix ans –, produisant leur premier disque éponyme en 2002. Depuis, Chet a réalisé trois disques à son nom, les deux premiers sur Justin Time, le plus récent (Dive) sur Addo Records de Toronto.
Jim, pour sa part, en bon batteur, tient la mesure depuis plus de huit ans dans le trio d’Oliver Jones (voir article en mai dernier); tout récemment, il a lancé en concert son premier disque à son nom (Blind Leap, sur Addo Records) avec ses confrères Paul Shroffel (pno) et Morgan Moore (cb.).
Stimulés par la tournée estivale européenne du projet Riverside, Chet et Jim ont foulé les planches de sept événements dans cinq pays, dont un perché dans les hauteurs des Dolomites en Italie du Nord. « On y accède seulement par téléphérique et une marche de plus d’une heure et l’on joue à l’extérieur à flanc de montagne », explique Jim, toujours émerveillé par l’expérience. En juin, cette formation aurait pu tourner ici au pays, mais les festivals n’ont pas voulu verser le cachet, un fait lié fort possiblement au « contenu canadien ». Pourtant, ce même quartette a joué le printemps dernier à Québec et à Toronto pour se produire ensuite à New York et à Boston. Suivent alors la tournée européenne de l’été et, le mois dernier, des prestations à Edmonton et à Calgary. Cela laisse songeur sur la perception de certains de nos décideurs culturels qui semblent toujours avoir les moyens de payer les gros sous, mais qui ont du mal à valoriser nos talents les plus prometteurs à leur juste mesure.
Désormais installé dans la Mecque du jazz, Chet Doxas est sur une lancée en ce moment. Suivant un concert à Jazz Ahead à Brême en 2012 (la grande vitrine annuelle du jazz en Allemagne), il a conclu une entente pour produire son prochain disque sur une étiquette britannique. Ce projet, bâti autour de son propre quartette new-yorkais, sera plus élaboré que ses disques précédents, avec des enregistrements en multipiste et la présence d’invités spéciaux, dont il se garde de révéler les noms pour le moment. Également pour 2015, une suite du projet Riverside est en discussion, avec un nouvel enregistrement à l’appui. Histoires à suivre...
En concert : 1 fév avec Lorne Lofsky et Kieran Overs au Centre Segal. www.segalcentre.org
Critique : Riverside
Greenleaf CD 1338
Cet enregistrement studio, gravé en 2012, se veut un hommage au saxophoniste et clarinettiste Jimmy Giuffre, dont nous avons salué la parution de deux concerts inédits le mois dernier. Seul un morceau du dédicataire figure parmi les 11 pièces (The Train and the River), son thème le plus connu. Ce disque ne se veut donc pas une relecture historique, mais un recueil de pièces originales inspirées par l’œuvre de Giuffre. Dans l’ensemble, les interprétations sont assez retenues – il faut même attendre jusqu’à la sixième plage pour que ça brasse un peu. Giuffre se plaisait à qualifier sa musique de « doucement intense »; Dave Douglas et ses compères semblent avoir misé davantage sur le premier terme et s’ils décident de donner suite à ce premier opus, souhaitons qu’ils y mettent un peu plus d’intensité. English Version... | |