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La Scena Musicale - Vol. 2, No. 9

Desmond Byrne nous parle de Carlisle Floyd et «Susannah»

Par Wah Keung Chan / 1 juin 1997

English Version...


Le public montréalais se rappelle encore le baryton canadien Desmond Byrne et sa puissante interprétation dans le rôle titre de «Wozzeck», d’Alban Berg, une coproduction du Banff Centre for the Arts et du Nouvel Ensemble Moderne, présentée au Monument National il y a deux ans.

En octobre dernier, Byrne a chanté le rôle d'Olin Blitch à la première autrichienne de «Susannah» de Carlisle Floyd à la Kammeroper de Vienne. Au debut de 1997 la basse-baryton américaine Dean Peterson, qui devait chanter Blitch au Deutsche Oper Berlin, est tombée malade. Byrne fut appelé à Berlin pour couvrir le rôle. Pendant qu'il était dans la capitale allemande il a "coaché" le rôle d'Olin Blitch avec le compositeur de l'opera, Carlisle Floyd. Pendant une halte à Montréal au début de mai et avant son retour en Europe pour chanter Olin Blitch au Deutsche Oper Berlin, Desmond Byrne s’est entretenu avec La Scena Musicale de son experience avec l'opera "Susannah"".

byrnewozzeck.jpg (10536 bytes)LSM: Parlez-nous de la production à Vienne.

D.B.: J’ai accepté le rôle parce que Brigitte Fassbaender était la metteure en scène. J’ai toujours été un de ses grands admirateurs. Elle a volontairement évité d’en faire une production à l’Américaine, «à la Coca-Cola». Elle voulait faire en sorte qu’un public autrichien puisse s’identifier à «Susannah». Son concept, qui m’a semblé être très efficace, était de transposer la trame dans une communauté puritaine luthérienne. La Kammeroper est la 3e plus grande maison d’opéra à Vienne. Mais elle ne contient que 500 sièges et se spécialise dans l’opéra de chambre. Floyd a lui-même réorchestré «Susannah» pour un orchestre de grandeur mozartienne, nous permettant ainsi de représenter son oeuvre dans un petit théâtre. Dans un décor aussi intime, et avec le public si près de la scène, le plus grand défi est d’être convaincant en tant qu’interprète.

LSM: Comment «Susannah» a-t-il été reçu?

D.B.: Très bien. Chacune des 17 représentations a été jouée à guichets fermés. Et j’ai eu la chance d’obtenir de bonnes critiques. Les Autrichiens étaient agréablement surpris par l’accessibilité de cette oeuvre.

LSM: Est-ce que le contrat avec le Deutsche Oper Berlin résulte des représentations à Vienne?

D.B.: Oui. Quand l’Américain Dean Peterson, une basse-baryton, est devenu malade, ils m’ont appelé pour faire les répétitions, et plus tard pour faire le rôle lors de représentations. Goetz Friedrich, directeur de Deutsche Oper Berlin, m’avait déjà vu à Vienne, alors il me faisait confiance. En fin de compte, M. Peterson avait un conflit d’horaire, alors ils m’ont offert de jouer le rôle lors des représentations du 16 et du 19 mai avec l’option de jouer quelques représentations l’année prochaine. Le Deutsche Oper Berlin est une maison d’opéra importante. C’est donc tout une occasion pour moi.

LSM: La première représentation de «Susannah», de Carlisle Floyd a eu lieu en 1955 et a été reproduite 200 fois comptant 700 interprétations aux États-Unis et en Europe. L’an dernier, l’Atelier d’opéra de l’Université de Montréal a monté une superbe production de Suzannah. Alors pourquoi les premières de «Susannah» à Vienne et en Allemagne ont eu lieu cette année seulement et pas avant ?

D. B. Je crois qu’il y a une attention particulière pour cette oeuvre en raison de son 40e anniversaire. De plus, il y a , en Europe, un regain d’intérêt pour les opéras en anglais tels que «The Rake’s Progress» de Stravinsky et ceux de Benjamin Britten. Les Européens ont commencé à s’intéresser aux opéras américains, et «Susannah» est probablement le plus remarquable de ce siècle. Bien sûr, il y a d’autres opéras américains dans le répertoire tels que «Des souris et des hommes», de Floyd, «The Crucible», de Robert Ward et «The Ballad of Baby Doe», de Douglas Moore. Mais «Susannah» est accessible, très dramatique et beau musicalement. Parfois, ça nous rappelle un comédie musicale de Broadway, parfois ça ressemble à un opéra de Janacek. «Susannah» figure parmi les nouveaux opéras américains qui percent en Europe.

Aux États-Unis, «Susannah» a été produit au New York City Opera, à Houston, à Cinncinati, à Pittsburgh, et à San Diego et dans plusieurs écoles musicales de niveau universitaire. Par contre, le Met le produira pour la première fois l’an prochain. Les universités sont attirées par «Susannah» parce que cet opéra est court (de fait, plus court que «Wozzeck»), il y a plusieurs rôles solos et les rôles principaux de ténor - Little Brat et Sam - ne sont ni trop longs ni trop hauts. Il n’y a que deux actes, donc un seul entracte. Par contre, à Vienne, on a éliminé l’entracte pour permettre au public d’obtenir un meilleur effet de l’intensité musicale et dramatique, et il leur était alors possible de sortir au restaurant après la pièce puisqu’il était encore tôt.

LSM: Durant les pratiques de la production de Berlin, vous avez eu la chance de travailler avec l’auteur. Comment avez-vous trouvé Carlisle Floyd?

D.B. C’est plutôt intimidant d’entrer dans une pièce où l’on sait que l’un des plus importants auteurs américains est présent. Carlisle Floyd m’a donné une leçon particulière de 2 heures lors de laquelle j’ai pu répéter le rôle de Blitch.Et c’était quelque peu intimidant d’avoir le créateur de l’oeuvre me dire exactement ce qu’il voulait. Bien que fragile et dépassant les 70 ans, M. Floyd est un homme élégant et extrêmement intelligent.Il était très sensible à ce que je faisais et avait des idées bien définies à propos du rôle.

LSM: Que ressentiez-vous face au rôle d'Olin Blitch?

D.B. Le rôle de Blitch est très difficile à chanter. Carlisle Floyd a dit : «Je ne comprends pas pourquoi cet opéra est si souvent monté par les universités. «Susannah» est aussi difficile que «Tosca» ou «Norma». D’ailleurs, les universités tentent rarement de monter ces opéras.» C’est aussi vrai pour Olin Blitch. Olin Blitch est wagnérien. C’est vraiment un rôle de basse-baryton. Vocalement , je le trouve plus difficile que Wozzeck. Il y a de grands intervalles et l’orchestration est très chargée. Bien que cela sonne simple, le ton et le style harmonique sont aussi chargés que ceux retrouvés dans les oeuvres de Puccini. Conséquemment, j’ai pu l’apprendre en moins de 6 semaines.

LSM: Quelles étaient les idées de Carlisle Floyd à propos de son oeuvre?

D.B.: Comme vous le savez, Floyd a écrit et la musique et le livret; ce qui explique pourquoi l’opéra est si unifié, et résulte en une sublime pièce de théâtre. Il est complètement dévoué à transmettre la trame à travers la saveur des idées très claustrophobes du Sud: l’esthétique gothique du Sud, le conservatisme religieux, les valeurs presque tribales d’une société fermée. Le caractère concluant de Floyd à propos de ses motivations et de ses décisions artistiques est excitant en soi. Cependant, Floyd a admis lui-même que ses idées à propos de l’opéra ont changé en quelque sorte depuis les années 50. Je me souviens qu’il nous a dit: «J’ai écrit «Susannah» en 1956 lorsque j’étais un jeune homme, et je me rends compte aujourd’hui que j’ai appris quelques choses depuis.» Par exemple, il a repensé à plusieurs marquages métronomiques, ce qui était une surprise. Il y avait aussi quelques changements dramatiques difficiles que je ne pouvais comprendre, mais quand il les a expliqués, c’est devenu parfaitement clair.

À la base, l’opéra traite d’intolérance en s’inspirant de paraboles prises des apocryphes de la Bible. Il a pris la fable du fils prodigue en donnant ce rôle à Susannah. Le personnage d'Olin Blitch représente une société fermée, intolérante et hyper-religieuse. Susannah est une jeune femme innocente qui fait fi de la désapprobation de la société en disant: «Cela n’est que leur opinion. Ils ne veulent pas réellement être méchants envers moi.» C’est une attitude principalement américaine qui nous rappelle autant l’année 1955 que notre époque actuelle. La plus grande force de Floyd en tant que librettiste est qu’il écrit à propos de ce qu’il connaît.

Comme Floyd l’a expliqué, son oeuvre est un opéra populaire représentant la société après la guerre civile. Une grande partie de sa musique s’inspire d’hymnes et de mélodies populaires, indirectement dans la tradition Singspiel de «La Flûte enchantée», de Mozart et de «Der Freischutz», de Weber. Sa musique nous donne réellement l’illusion d’être dans une société conformiste tout en ressentant les difficultés de l’expression individuelle. L’opéra est aussi composé dans le dialecte du Sud, ce qui est un aspect essentiel de la couleur de la pièce. Il nous a dit: « Je veux que la prononciation soit la plus idiomatique possible. »

Dans la première entrée d'Olin Blitch, « I am the Reverend Olin Blitch », Floyd a ralenti le tempo qui était utilisé. Il a dit: « Je veux que ce soit lourd, lent, presque pompeux. » C’est comme une vieille chanson de guerre, un hymne de renouveau qui rappelle l’époque de la guerre civile. Cela transmet immédiatement les valeurs contraignantes que Blitch personnifie. Il a sa religion, mais c’est assi un homme du spectacle qui cherche à convertir des païens. Sa carapace est solide, mais derrière elle on peut voir la corruption et la fragilité qui le détruiront plus tard. Le long sermon dans le 2e acte, lors duquel Blitch raconte une parabole à propos d’un mourant qui a vécu une vie de débauche, est indiqué «à moitié chanté». Floyd admet: «Dans mon opéra, il y a beaucoup de texte parlé, de Sprechstimme, et du texte à moitié chanté. Quand il s'agit de parties chantées pleinement, je veux que ça vienne du language parlé pour se diriger vers le language chanté comme pour dire: «Me comprenez-vous maintenant?» ». La partition n’explique pas toujours clairement ce que Floyd veut en terme de couleur, mais en personne il nous dit exactement ce qu’il veut. Voilà ce qui rend l’interprétation intéressante à mon avis.

LSM: Alors, il y a eu des changements dans l’interprétation. Est-ce que ces changements apparaissent dans la partition publiée?

D.B.: Floyd l’a bien expliqué lors des répétitions: « Oui, il y a des changements éditoriaux et des corrections musicales apportées à la 2e impression. Et il y a encore d’autres choses que j’aimerais changer à la partition actuelle, mais c’est trop dispendieux de faire une nouvelle édition. Donc, il est préférable de la laisser telle quelle puisque cela n’affecte pas l’idée maîtresse de l’oeuvre.»

Plus récemment, Desmond Byrne était à Montréal et chantait avec I Musici de Montréal en mars 1997 en tant que baryton-solo dans une pièce de Landowski, «Leçons des ténèbres». Il donnera un récital à Cammac (Lac MacDonald) le mardi 29 juillet. Le public montréalais aura la chance de l’entendre le 26 septembre lors des séries McGill / Alumni.

Discographie: Carlisle Floyd: Susannah. Kent Nagano; Choeur et Orchestre de L’Opera de Lyon. (Cheryl Studer, Samuel Ramey, Jerry Hadley, David Pittsinger, Della Jones). Virgin Classics 7243 54503924.

L’opéra «Des Souris et des Hommes» de Carlisle Floyd sera monté sur scène au Glimmerglass Opéra, à Cooperstown, New-York du 26 juillet au 24 août 1997. M. Floyd donnera un colloque le 16 août intitulé «Portrait of the ‘30s: Inspiration for an Opera» au Fenimore House Museum, N.Y. State Historical Society, Cooperstown, N.Y. Pour plus d’informations sur les activités du Glimmerglass Opéra, composez le (607)547-2255, Fax: (607)547-1257. Internet: http://www.cooperstown.net/glimmerglass .


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