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La Scena Musicale - Vol. 2, No. 10

La Belle Histoire d'Isabel

Par Wah Keung Chan / 1 juillet 1997

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bayrakdarian-c.jpg (11206 bytes)Depuis qu'elle a remporté le premier prix aux auditions du Conseil National du Metropolitan Opera en février dernier, la soprano torontoise de 22 ans, Isabel Bayrakdarian a reçu beaucoup d'attention de la part du public canadien. Déjà quelques semaines après sa victoire, elle était interviewée par Howard Dyck à l'émission Saturday Afternoon at the Opera, à la chaîne stéréo CBC, et plus tard, le Toronto Star brossait son profil. Sa victoire est d'autant plus remarquable puisqu'elle n'étudiait pas le chant à temps plein au moment des auditions. Au printemps, elle a obtenu un diplôme de premier cycle en génie biomédical de l'Université de Toronto. Cet été, elle ira au Glimmerglass Opera dans le nord de l'État de New York, en tant que membre de leur programme Young Artists. Elle y fera ses débuts d'opéra professionnel le 5 juillet dans le rôle de Diana dans Iphigénie en Tauride de Gluck.

La veille de son départ pour le Glimmerglass Opéra, j'ai eu un entretien avec Mlle Bayrakdarian à propos de sa double carrière intéressante. «La musique a toujours fait partie de ma vie. Et à Toronto et au Liban, j'ai toujours été impliquée dans le théâtre, et des récitals, en tant que soliste ou choriste. Je jouais aussi de la flûte. La culture arménienne est remplie de musique. Dans la chorale de l'église, j'étais plongée dans la liturgie arménienne, très riche harmoniquement, presque comme un oratorio. Bien qu'elle ait été écrite aux neuvième et dixième siècles, la liturgie arménienne a été réécrite pour quatre voix dans les temps modernes par de très bons compositeurs cléricaux. Je peux m'identifier à la tragédie et à l'oppression racontées dans cette musique. Ayant connu les problèmes au Liban et m'étant installée au Canada à l'âge de 14 ans, cela m'a réellement motivée à réussir. «Puisque j'étais bonne en mathématiques et en sciences, j'ai décidé d'étudier en génie. Mes professeurs et amis de l'école secondaire étaient surpris parce qu'ils pensaient que je deviendrais musicienne.

Le programme de génie de l'université demandait environ cinquante heures d'étude par semaine, ce qui ne laissait pas beaucoup de temps pour la musique. Mais dans le deuxième semestre de ma première année, j'ai finalement eu le courage de chercher un professeur de chant. Je suis allée au Royal Conservatory of Music et j'ai obtenu une liste de dix professeurs de chant qui acceptaient des étudiants. J'ai simplement téléphoné à chacun d'entre eux. Il ne m'était jamais venu à l'esprit de faire, au préalable, une recherche à leur sujet. La plupart du temps, la ligne était occupée mais pour une raison quelconque j'ai appelé Jean MacPhail à deux reprises et j'ai obtenu un rendez-vous pour une audition avec elle. Depuis, Jean a été mon seul professeur. Elle m'a encouragée à continuer mes études en génie. À l'âge de 18 ans, mon corps et mes cordes vocales n'étaient pas encore arrivés à pleine maturité. Je n'avais donc aucune intention de devenir chanteuse professionnelle. Nous avons commencé avec des leçons bimensuelles d'une demi-heure, ensuite, des leçons hebdomadaires d'une demi-heure, et plus tard, quand j'étais plus avancée, je suivais des leçons d'une heure par semaine. J'ai donné mon premier récital de soliste lors de ma troisième année au baccalauréat. À ce moment-là, je faisais un stage industriel de 16 mois qui faisait partie de mon programme de génie et j'avais finalement plus de temps à consacrer au chant. Au moment où j'ai gagné dans la catégorie «22 ans et moins» du Concours de musique du Canada, je savais que je voulais chanter de façon professionnelle. Mais bien sûr je devais d'abord terminer mes études de génie.»

On raconte qu'Isabel s'est inscrite aux auditions du Metropolitan sans en faire part à son répétiteur, Stuart Hamilton, une des sommités de l'opéra au Canada. Isabel se fait un plaisir de mettre les choses au clair: «Il n'y avait aucun besoin de camoufler mes intentions. Et Stuart et mon professeur m'étaient d'un grand soutien. Il m'ont aidé à me préparer pour les auditions. Quelques personnes ont été surprises de ma victoire, puisque c'était ma première participation à ce concours. Ils ne croyaient pas que j'aurais pu gagner du premier coup.» Entre les mois de décembre 1996 et février 1997, Isabel Bayrakdarian a fait des progrès triomphaux. Les prélats arméniens l'ont sélectionnée (par audition sur bande sonore) pour leur récital de débuts pour jeunes musiciens d'origine arménienne qui a lieu tous les ans au Carnegie Hall. Également en décembre, elle s'est placée dans les finales des auditions du Met et au deuxième tour de l’ensemble du Canadian Opera Company. La directrice de l'administration artistique du Glimmerglass Opera, Felicity Jackson, était l'un des juges régionaux aux auditions du Met. Elle a invité Isabel à se joindre à leur programme Young American Artists.

Six semaines plus tard, Isabel Bayrakdarian était à New York pour les finales des auditions du Met. Elle a trouvé amusant de porter sa bague d'ingénieur sur la scène du Metropolitan Opera. «Je sais qu'il y a eu des médecins et des avocats qui ont chanté au Met, mais je crois que je suis la première ingénieure à gagner aux auditions du Met», dit-elle en riant. «Chacun des lauréats a passé deux semaines supplémentaires à New York pour préparer le récital des lauréats, semaines pendant lesquelles nous étions traitées comme des princesses.» Presque en même temps, Isabel était acceptée dans l'ensemble du Canadian Opera Company. «Ce n'était pas une décision facile parce que le Met aussi a un programme pour jeunes artistes. J'aimais l'approche du Canadian Opera Company, alors j'ai choisi d'accepter. Isabel n'était à Toronto que pour deux jours avant qu'elle ait à retourner à New York pour son récital au Carnegie Hall. «Puis je devais retourner à mes études de génie. J'avais déjà manqué un mois de cours, soit le tiers d'un semestre. J'étais en bac spécialisé. Alors il me restait à terminer ma thèse. Heureusement le département de génie m'a soutenue à 100%.» Sa collation des grades de l'Université de Toronto était très spéciale. «Ils ont créé spécialement un prix annuel pour les étudiants ayant démontré une excellence dans les domaines académique et musical et j'étais la première récipiendaire. Mes camarades d'université m'ont fait une ovation après que j'ai chanté l'Alleluia de Mozart.»

Isabel possède déjà les attitudes professionnelles d'une chanteuse qui a plus d'expérience. Stuart Hamilton qui l'accompagnait à son récital du Carnegie Hall a été ébahi par sa présence sur la scène. Et ne croyez pas que Bayrakdarian se fait du souci au sujet de ses débuts au Glimmerglass. «On m'a lancée sur une scène dejà quand j'avais trois ou quatre ans, alors je suis habituée à la pression. Mais au Glimmerglass je fais une entrée dans les airs, accrochée par des fils métalliques, ce qui devrait être amusant. Ma voix est encore en train de mûrir. Elle va continuer à prendre du volume et ma tessiture va augmenter parallèlement au développement de mon corps. Je n'accepterai aucun rôle qui ne convienne pas à ma voix. Pour l'instant les rôles lyriques me conviennent. Le rôle de Diana est parfait pour ma voix. J'ai hâte de chanter plus de Rossini, un défi réel en termes de technique et d'interpétation. La musique de Rossini est joyeuse et pleine d'esprit, pas aussi banale que certaines personnes le croiraient.»

Isabel regrette-t-elle d'avoir changé de carrière de cette façon? «Pas du tout. Le chant m'apporte beaucoup plus de satisfaction que le travail d'ingénieur. Je sens que je suis née pour être sur une scène.» Ses études en génie vont lui être utiles dans sa nouvelle vocation. «Il y a tellement de préparation mentale avant d'entrer sur scène. Heureusement l'étude d'un texte me vient facilement et je mémorise rapidement. Lorsque je suis sur scène, tout se dissout en un monde différent, où mon seul souci est d'amener la musique à mon public.»

[traduction: Serge Medawar]


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