Jazz : À l’heure des festivals Par Marc Chénard
/ 1 juin 2014
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Suoni per il Popolo 2014 : faire reculer les frontières
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En 2001, le festival Suoni per il Popolo se montra particulièrement téméraire dans sa première année : non seulement avait-il choisi de miser complètement sur les musiques d’avant-garde, mais la programmation s’étalait sur cinq semaines. Réduisant sa durée de moitié, l’événement trouva rapidement sa vitesse de croisière et l’appui d’un public assez jeune, avide d’expérimentation musicale de tous genres. Comme par le passé, sa prochaine édition se tiendra tout au long du mois de juin, soit du 4 au 22. Mais cela ne veut pas dire qu’il se contente du statu quo. Bien au contraire, car il explose de tous bords, tous côtés. Fidèle à sa vocation, le Suoni recule ses frontières stylistiques en se rendant aux confins du rock et du punk, de l’électro à la musique expérimentale et contemporaine, du folk et du pop, sans oublier le jazz et la musique improvisée, ajoutant même un volet d’arts médiatiques. Au total, 68 spectacles sont inscrits à l’affiche (nombre d’entre eux avec deux groupes ou plus) et 11 projections de films. De plus, six ateliers animés par des artistes appartenant à l’un ou l’autre des genres sont également offerts, certains permettant la participation de musiciens amateurs.
De nouvelles activités sont aussi prévues cette année : tout d’abord, une conférence sur le compositeur britannique visionnaire Cornelius Cardew et des performances de ses œuvres, activité organisée conjointement avec le Quatuor Bozzini. Autre première aussi : un colloque rassemblant une trentaine de présentateurs internationaux de musiques nouvelles. Organisé en tandem avec le Vivier et l’appui du festival de Huddersfield en Angleterre, Cartel Mtl a pour but de réseauter le milieu.
Cette année, le Suoni se fera plus présent que jamais dans la communauté. Ses événements se dérouleront sur 17 scènes en ville, fruit d’ententes de coproductions avec d’autres lieux de diffusion, incluant des partenaires inhabituels comme l’Hôpital général juif, théâtre d’un festival satellite de dix jours (du 9 au 19 juin).
Pour ce qui est du jazz, il peut sembler réduit par rapport aux années antérieures, mais la sélection est quand même très alléchante. Pour la plupart, les concerts se dérouleront au Café Résonance (5275-A Parc, angle Fairmount). Il faudra surveiller entre autres le quartette du saxo alto Yves Charuest avec le pianiste catalan Augusti Fernandez (17), le quartette Golden State du batteur Harris Eisenstadt (20) – voir chronique de disque – et, en finale, le quintette mi-scandinave, mi-allemand the Deciders (22) avec le tandem Axel Doerner (trpt.) et Rudi Mahall (cl. b.) À découvrir aussi parmi les nôtres, le tentette du saxo Eric Hove, dont les compositions sont d’une étonnante originalité, comme l’instrumentation de son ensemble (21). Et si le free jazz roboratif vous allume, n’oubliez pas le fulminant souffleur Peter Brötzmann avec ses hommes de main américains William Parker et Hamid Drake (Salla Rossa, le 10).
• Information en ligne et billetterie : www.casadelpopolo.com/suoniperilpopolo
• Programme téléchargeable en ligne : suoniperilpopolo.org/fr/programme-suoni-2014
Au rayon des disques
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Christine Jensen Jazz Orchestra
Habitat – Justin Time JTR-8583-2
Au risque de généraliser, on peut diviser la gente créatrice entre visionnaires et artisans. Alors que les premiers quittent les sentiers battus pour se lancer dans l’inconnu, les seconds poursuivent un plus droit chemin pour trouver un mode d’expression qui leur convient. Christine Jensen représente cette seconde tendance, aussi bien en jouant de ses saxophones qu’en composant. De son propre aveu, elle se dit très influencée par Kenny Wheeler, une influence qui transparaît dans son écriture, comme c’est le cas de son grand orchestre qu’elle présente pour la seconde fois sur disque. Elle semble avoir une préférence pour la longue forme, car cinq des six pièces de cet enregistrement dépassent les dix minutes. Dans son ensemble, sa musique mise moins sur la tension harmonique que sur les couleurs sonores, à mi-chemin entre le pastel et l’aquarelle. Les musiciens sont à la hauteur de la tâche en tant qu’ensemble, si bien que les solos sont très contenus, à l’exception de celui de Chet Doxas sur Nishiyuu, caractérisé par de superbes descentes du suraigu vers le registre moyen. De toute évidence, Jensen a posé ses choix et se sent parfaitement à l’aise, ce qui, je suis sûr, sera le cas de bien des auditeurs qui assisteront à son concert en fin du Festival International du Jazz (6 juillet, 22h30).
Tom Harrell
Colors of a Dream – High Note Records HCD 7254
Trompettiste et compositeur, Tom Harrell est un autre de ses artisans du jazz mainstream. Par le passé, il semblait toujours se démarquer dans les projets des autres, ses propres disques étant un peu trop sages. Pour son plus récent opus, par contre, il offre une séance plus pétillante, à la tête d’un sextette un peu inusité, sans piano mais avec deux contrebasses, dont celle de la grande nouvelle vedette, Esperanza Spalding. Cette dernière contribue aussi des vocalises et chante des paroles en portugais brésilien sur une des dix plages. Harrell, dans ses notes, affirme s’être empreint d’une sensibilité un peu plus pop, ce qui laisse craindre le pire, mais il se sert de grooves efficaces comme tremplin pour ses solos et ceux de ses deux saxos, tous deux volubiles et inventifs. Les deux contrebasses épaississent un peu la texture rythmique, contribuant de ce fait à briser un peu la monotonie des ostinatos qui, dans les musiques pop, font trop souvent tourner la musique en mode pilote automatique. À peine une heure avant Jensen (21h30), Harrell présentera lui aussi son disque et on peut déjà s’attendre à une prestation bien relevée. [FIJM 7/7 21h30]
Shai Maestro Trio
The Road to Ithaca – Laborie Records
Depuis quelques années, il semble que le circuit des festivals tombe sous le charme d’un jeune espoir pianistique, encensé comme la nouvelle star de l’instrument. Après les Jeff Neve, Yaron Hermann et Tigran Hamassyan, l’heure semble venue pour Shai Maestro. Ce jeune Israélien de 27 ans ne sort pourtant pas de nulle part, puisqu’il a épaulé son compatriote bassiste Avishai Cohen pendant cinq ans avant de se lancer dans sa propre aventure en 2010. En mars dernier, il était de passage au festival Effendi Jazz en Rafale, à peine trois mois avant son retour au FIJM. Musicalement, ce jeune homme a un parcours typique des musiciens de sa génération : formation classique rigoureuse, assimilation de musiques ethniques (orientales en particulier), technique irréprochable et complicité parfaite avec ses acolytes bassiste (Jorge Roeder) et batteur (Ziv Ravitz). Parfois contemplative, parfois nerveuse, sa musique s’inscrit dans la lignée des pianos trios contemporains, si bien qu’il est encore difficile de lui trouver une caractéristique propre. Cela dit, quand on lit un peu à son sujet et ses propos, il estime ne vouloir jamais jouer la carte sûre. C’est déjà une bonne attitude à avoir. [28 juin, 21 h]
Aurora Trio
A Moment’s Liberty – Maya Recordings MCD 1302
Bien qu’il soit imprudent de comparer des ensembles aux instrumentations identiques, le présent trio est constitué de musiciens d’expérience et maîtres de l’improvisation musicale. Le pianiste Augusti Fernandez, comme ses collaborateurs, le bassiste Barry Guy et le batteur Ramon Lopez, parcourent l’éventail complet des expressions stylistiques et émotionnelles, de la grâce lyrique jusqu’à l’éclatement de toutes les conventions musicales. À elle seule, la pièce d’ouverture de 18 minutes, qui donne son titre au disque, démontre avec brio l’éventail d’expressions musicales de cette formation qui en est ici à son troisième disque pour le label du bassiste, Maya Records. Chose remarquable, on ne sent aucune longueur dans cette surface de près de 74 minutes. Hélas ! On ne pourra entendre cet ensemble, mais juste le pianiste avec deux solides improvisateurs de chez nous (Yves Charuest, saxo alto et Nicolas Caloia, basse) ainsi qu’un ex de notre ville, le batteur Peter Valsamis. Soyez sûrs qu’il aura des copies de cet album dans ses valises. Un rendez-vous prometteur et à ne pas manquer pour les amateurs de découvertes musicales. [Suoni per il Popolo, 17-6, 21 h, Café Résonance]
Harris Eisenstadt
Golden State – Songlines SGL 1602-2
Formation sans piano à l’instrumentation unique, le quartette du batteur Harris Eisenstadt (Torontois d’origine vivant depuis belle lurette chez l’Oncle Sam) est arrondi par la flûtiste Nicole Mitchell, la bassoniste Sarah Schoenbeck (conjointe du batteur) et du grand Mark Dresser à la contrebasse. Régulier de l’étiquette vancouvéroise Songlines, Eisenstadt propose un genre de jazz de chambre aux textures délicates, avec des compositions assez développées, mais ouvertes à des improvisations, individuelles ou collectives. Sept plages de durée moyenne sont regroupées sur ce disque d’un peu moins de cinquante minutes, un dosage suffisamment intelligent qui invite à la réécoute. En tournée au Canada cet été, le groupe ne sera pas conforme au disque, la flûtiste retenue chez elle pour des raisons familiales, mais remplacée par le clarinettiste américain vivant en Hollande Michael Moore, un grand de son instrument qui vaut le détour. Un beau choix de remplacement, M. Eisenstadt. [Suoni per il Popolo, 20-6, 21 h Café Résonance.] English Version... | |