À tout seigneur, tout honneur : Hommage à Michel Donato Par Marc Chénard
/ 1 février 2014
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Le 26 janvier, le vétéran contrebassiste Michel Donato a été célébré pour sa longue contribution au monde du jazz québécois. En effet, lors du 17e Gala des Prix Opus animé par le Conseil québécois de la musique (CQM), ce véritable pilier de la scène musicale canadienne a été mis à l’honneur, sa carrière de plus de 50 ans marquée par une nouvelle distinction, la quatrième d’importance à son crédit.
En 1982 il a remporté l’un des premiers concours de jazz du Festival International de Jazz de Montréal (FIJM), suivi 13 ans plus tard de son prix Oscar-Peterson, décerné par le festival à un musicien canadien. Puis, en 2007, il était nommé membre de l’Ordre du Canada, près d’un demi-siècle après son entrée en scène. Cinq ans plus tard, le voici donc comblé par cette reconnaissance du monde musical québécois pour ses années de service dans le milieu. Question de retracer son long périple, voici quelques-uns de ses propos recueillis récemment.
Vocation musicale et instrumentale
« Mon père était musicien semi-professionnel, il faisait des club-dates, comme on les appelle dans le métier. Jeune, j’ai tâté à plusieurs instruments, le piano, puis l’accordéon, mais mon choix s’est arrêté sur la contrebasse. Voyez-vous, dans nos réunions familiales, mon père chantait tout le temps les lignes de basse et ça m’attirait. Donc, la première fois que j’ai vu une contrebasse jouée, je me suis dit : « C’est ça qui fait ça !? C’était le déclic pour moi. »
Débuts professionnels
« Je ne me souviens plus de mon premier engagement professionnel, mais j’ai commencé avec mon père vers 14 ans. Plus tard, j’ai étudié au Conservatoire de Montréal, le classique bien sûr, c’était la fin des années 1950, bien avant qu’on enseigne le jazz. Mais la découverte de Scott LaFaro a été le tournant décisif pour moi. Les disques avec Bill Evans et Paul Motian en 1961 sont ma Sainte Trinité et je n’ai rien entendu depuis qui dépasse cela. »
Blakey et Monk
« Dès 1963, j’ai eu la chance de jouer dans les Jazz Messengers d’Art Blakey, un quintette sans saxo avec Lee Morgan et Curtis Fuller. J’avais à peine 20 ans. À l’époque, il y avait des endroits comme la Tête de l’Art et le Casaloma, tous les grands y passaient, Coltrane, Monk... Un soir, j’ai roulé avec Monk dans ma Coccinelle et on a descendu la côte sur Hôtel-de-Ville à toute allure. Tu imagines... j’aurais pu le tuer ! Il ne disait pas grand-chose durant son engagement, mais je lui demandais de jouer ses pièces et il le faisait, toutes même ! »
Exil torontois, retour montréalais
« Le travail était régulier dans les années 1960, il y avait les concerts à l’Ermitage, enregistrés par Radio-Canada pour son émission Jazz en Liberté. Là, j’ai joué avec tout le monde. Mais en 1969, on voulait juste de la basse électrique, pas d’acoustique. J’ai rien contre et j’en ai même une, mais mon instrument c’est la contrebasse. J’ai donc plié bagage pour me rendre à Toronto où je suis resté jusqu’en 1977. Là-bas, je suis rentré rapidement sur la scène et j’ai travaillé avec Don Thompson, Moe Koffman, même Kenny Wheeler quand il revenait dans sa ville natale, qu’il avait quittée 20 ans auparavant pour Londres. La scène jazz était très active à l’époque, surtout à cause de Bourbon Street et George’s Spaghetti House qui accueillaient régulièrement des invités américains de renom. Une fois, je jouais les yeux fermés et, en les ouvrant, Charles Mingus était assis devant moi ! En 1977, je suis revenu à Montréal pour participer à des enregistrements de Félix Leclerc, que j’admirais beaucoup, c’était la période de collaboration entre lui et François Dompierre. »
Oscar et... Bill
« Oscar Peterson, qui était établi à Toronto de longue date, m’a engagé dans son trio en 1972. J’ai littéralement fait le tour du globe pendant deux ans, de très longues tournées aussi. J’ai réalisé un disque à ses côtés pour CBS à Tokyo, mais je ne pense pas qu’il ait été distribué hors Japon. Trois ans plus tard, en 1977, Bill Evans m’a invité à le suivre en tournée. J’ai décliné l’offre, tout simplement parce que j’avais une famille et que je ne voulais pas faire comme lui, être sur la route 50 semaines par année. Il cherchait un bassiste à cette époque, il zyeutait déjà Mark Johnson (qu’il engagea), mais m’a offert le poste. À la batterie, il y avait Philly Joe Jones, que j’avais rencontré par le passé, et ça reste toute une expérience que de me trouver entre ces deux-là. Bill n’était pas des plus bavards, mais j’avais trouvé le moyen pour qu’il s’ouvre un peu, en parlant de son fils. »
Chef de groupe
« On me connaît davantage comme accompagnateur, mais j’ai aussi dirigé mes propres groupes. En 1982, j’ai assemblé une formation un peu à la hâte pour le concours du FIJM, qu’on a remporté, ce qui nous a permis de faire un disque, même si la formation n’a pas duré très longtemps. Plus tard, ma collaboration en duo avec Karen Young a eu une meilleure vie et on fait quelques disques. Dans les années 2000, j’ai eu la chance de me rendre à la résidence d’artistes du gouvernement du Québec à Paris et j’ai voulu faire connaissance avec des musiciens européens. Par François Théberge (Québécois d’origine établi dans la Ville Lumière depuis longtemps), j’en ai rencontré plusieurs et cela m’a mené à mon “groupe d’amis européens” (documenté par deux disques sur étiquette Effendi). »
Projet
« L’été dernier, j’ai présenté en première au FIJM un concert en duo avec Pierre Tanguay, à qui j’ai demandé de jouer différents instruments de percussion inusités au lieu de la batterie. J’ai repris deux des suites pour violoncelle de Bach (la première et la cinquième) que j’ai retravaillées et réharmonisées, les habillant de différents rythmes (latins ou brésiliens, par exemple) C’était un premier essai en quelque sorte, parce que j’aimerais engager une troisième personne, même que l’on fasse une chorégraphie. » | |