Jazz : La ronde des disques Par Marc Chénard
/ 1 décembre 2013
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On a beau sonner le glas du disque compact, le flot de galettes argentées continue de plus belle. Question de s’attaquer à la manne de nouveautés qui ne cessent de s’accumuler, la présente section passe en revue une poignée de titres qui se sont démarqués du lot.
Jazz mainstream d’aujourd’hui et d’hier
Chet Doxas Quartet – Dive
Addo Records AJR015
www.addorecords.com
Jeune espoir montréalais de grand talent, le saxo ténor Chet Doxas a toute l’étoffe requise pour percer sur la scène internationale. Ce disque, le troisième à son nom, paru sur une étiquette torontoise, s’inscrit parfaitement dans le courant du jazz mainstream contemporain : compositions inventives, virtuosité instrumentale, solos fougueux. La pièce-titre, en ouverture, démontre la verve de son quartette, arrondi par trois New-yorkais, Matthew Stevens (gtr.), Zack Lober (cb.) et Eric Doob (btr.). Huit pièces totalisant 50 minutes permettent à l’auditeur d’apprécier pleinement le potentiel de cette formation. Et pour vous dire qu’un avenir prometteur s’offre à Doxas, il tournera l’an prochain avec son frère batteur Jim en compagnie de Dave Douglas et de Steve Swallow !
Cory Weeds / Bill Coon Quartet – with benefits
Cellar Live CL091812
www.cellarlive.com
Voici un homme occupé : propriétaire de club (le Cellar à Vancouver), directeur d’une maison de disques (Cellar Live) et saxophoniste (ténor et alto), Cory Weeds porte la flamme du jazz dit traditionnel dans sa ville, programmant des valeurs musicales sûres, autant dans son local que sur son étiquette. En effet, son catalogue s’inscrit dans le giron du jazz mainstream américain hard bop des années 1960. Comme instrumentiste aussi, Weeds connaît le style dans ses moindres recoins, jouant le jeu au millimètre près. En l’écoutant sur son disque, comprenant standards bien familiers et pièces moulées dans le style (10 au total), on ne peut qu’arriver à la conclusion qu’il s’agit bien d’une musique du XXe siècle, non pas transposée mais transportée directement dans le nôtre. Si le hard bop revival vous intéresse, vous serez bien servi par ce quartette d’instrumentation identique au précédent, mais combien différent dans les résultats.
Aventures à trois
Inspirit Trio – Enjoy
Disques Fidelio FACD038
www.fideliomusic.com
Piloté par le contrebassiste Frédéric Alarie, cet ensemble un brin inusité, comprenant trompette (Jacques Kuba Séguin) et batterie (Michel Lambert), propose une musique assez ouverte, mais nullement ésotérique. Il n’y a ni excès ni coups d’éclat ici, si bien qu’on aurait pu sous-titrer ce disque « dix méditations pour trio jazz ». Des pièces, toutes sauf une sont du bassiste, l’exception étant celle de son fils guitariste – mais les notes, étrangement, ne nous disent pas laquelle. Comme les morceaux sont assez recueillis, l’esthétique musicale n’est pas sans ressembler à celle de la célèbre compagnie allemande ECM, incluant une prise de son limpide, signature sonore de l’étiquette. Pour ces vertus, ce disque donne l’impression d’un groupe qui se retrouve en studio pour la toute première fois, négociant la musique avec prudence. Souhaitons que ce trio puisse rejouer dans les mois à venir pour s’épanouir davantage.
Bean Trio
I ♥ Bean (Production d’artiste)
www.beantrio.com
Voici un jeune trio de facture classique (piano, basse, batterie), mais qui ne joue point de la sorte.
À cheval entre la musique improvisée libre et une approche plus traditionnelle de variations thématiques, cet ensemble brouille les cartes avec efficacité. Le pièce d’ouverture, Etude V, est un exercice fascinant d’échanges de rôles entre les membres : la pianiste Marie-Claire Durand se lance dès le départ dans des guirlandes de notes pour graduellement ralentir sa cadence alors que le bassiste Joel Kerr procède à l’inverse, le batteur Mark Nelson y allant d’une pulsation nerveuse, le tout ficelé en deux minutes et demie. En 13 plages réparties sur près d’une heure, le trio varie constamment ses stratégies, offrant un clin d’œil à Monk (Raise Bean) ou produisant des climats quasi oniriques par un usage judicieux du clavier Fender Rhodes. Voici un disque qui pourra passer inaperçu, mais qui ne devrait pas. On attend donc la suite, sur disque ou sur scène.
Musiciens de chez nous ailleurs
Darcy James Argue’s Secret Society – Brooklyn Babylon
New Amsterdam Records NWAM046
www.newamsterdamrecords.com
Formé à l’Université McGill, le compositeur Darcy James Argue défraye la chronique à New York, sa résidence actuelle. Son groupe, the Secret Society, est un rassemblement d’une vingtaine de musiciens solidement ancrés dans le jazz contemporain américain. Bien que son instrumentation fasse penser au big band de jazz, la musique d’Argue dépasse le genre. Vivement attendu, son second disque pourrait être mieux qualifié de « musique orchestrale ». Présentée en première dans la Grosse Pomme l’an dernier, avec installation vidéo en sus, son œuvre de plus de 50 minutes divisée en 17 mouvements est une fresque ambitieuse que l’on peut qualifier de conte musical, mais dont l’histoire serait un peu trop compliquée à résumer dans ces lignes. Si les solos ne manquent pas, la force du disque n’est pas là, mais bien dans la vision du compositeur.
Anna Webber – Percussive Mechanics
Pirouet PT3069
www.pirouet.com
Le défunt critique Whitney Balliett définissait le jazz comme « le son de la surprise ». Si cela s’accorde avec votre point de vue, voici donc un vrai disque de jazz. La saxophoniste vancouvéroise Anna Webber, ancienne de McGill, bourlingue dans le monde depuis quelques années, New York en ce moment, mais Berlin avant cela. Durant son séjour européen, elle eut la chance de réaliser un disque pour la compagnie munichoise Pirouet (hélas pas distribuée chez nous). Le septette du disque, comptant deux batteurs, vibraphone et piano, un bassiste, Webber et un autre joueur d’anches, s’attaque à neuf de ses pièces pleines de rebondissements et de tournures inattendues. Influencée par le jazz de pointe de la Grosse Pomme (Tim Berne, par ex.), son écriture est recherchée, complexe évidemment, mais jouée avec assurance et conviction par ses charges. Versant dans l’audace, cette musicienne n’a pas froid aux yeux, frôlant même certains dérapages. Mais comme le jazz ne s’est jamais voulu parfait, son disque fait preuve d’une réelle authenticité dans la démarche. Pour se le procurer, consulter le site du label.
Sorties canadiennes
Martin Lozano Lewis Wiens Duncan – At Canterbury
Barnyard Records BR0332
www.barnyardrecords.com
Rencontre Montréal-Toronto, cet album réunit deux anciens Torontois installés à Montréal (Frank Lozano et Rainer Wiens) et trois de leurs comparses de la Ville Reine (Jim Lewis, Christine Duncan et Jean Martin). Au programme, sept improvisations collectives baignant dans des ambiances plutôt retenues, avec un touche d’exotisme par l’emploi des kalimbas de Wiens. Pourtant, on aurait souhaité un peu plus d’étincelles de la part de cet ensemble, un peu trop réservé dans ses explorations.
Mecha Fixes Clock
Beau comme Airport – Tour de Bras
www.tourdebras.com
Le septette du batteur Michel-F Côté propose une musique d’ambiances assez feutrées, mais bien abouties, vu la brièveté des pièces – 13 en moins de 40 minutes –, d’éléments compositionnels habilement juxtaposés aux abstractions sonores et de lignes mélodiques épurées, énoncées avec élégance par le trompettiste Ellwood Epps.
Sorties européennes
Romano Sclavis Texier + – E+E
Label Bleu LBLC6709
www.label-bleu.com
Véritable formation toute étoile réunissant un triplé hexagonal de renom à trois invités, Nguyen Lé (gtr.), Bojan Z. (p.) et Enrico Rava (tprt), cet ensemble si prometteur n’arrive toutefois pas à combler pleinement les attentes. Imaginez un peu ce que ce groupe aurait pu faire s’il avait pu tourner un peu avant de se retrouver en studio pour cette unique rencontre...
S.O.S. – Looking for the Next One
Cuneiform Rune 360/361
www.cuneiformrecords.com
Ensemble légendaire de saxophonistes britanniques, le trio S.O.S. (John Surman, Alan Skidmore et Mike Osborne) est rescapé de l’oubli dans cette double offrande des années 1970 comportant deux séances studio et une prestation de festival. À cheval entre le jazz modal et le free, la musique s’enflamme à plus d’une reprise, attisée par la batterie de l’un (Skidmore) et les claviers de l’autre (Surman). Une belle folie d’époque, quoi.
Grüße aus Berlin (Salutations berlinoises)
par Gérard Rouy
En marchant dans les rues du centre de Berlin cet été, le visiteur tombait sur de nombreuses colonnes d’information sur le thème Zerstörte Vielfalt : Diversity Destroyed. Berlin 1933-1938-1945. A City Remembers. 2013 marque en effet le 80e anniversaire de l’accession au pouvoir du régime nazi et le 75e anniversaire des pogroms. A partir de 1933, un nombre inconcevable d’artistes, d’écrivains, de compositeurs, de comédiens ainsi que de producteurs, médecins, avocats et enseignants furent victimes des politiques de marginalisation et de persécution du régime nazi, soit parce que leur existence même était contraire aux conceptions racistes des nazis, soit parce que leur art était perçu comme « non-allemand » ou politiquement douteux. Parmi la profusion d’expositions en plein air qui sillonnaient le centre-ville, le mémorial urbain situé à la Frankfurter Tor (le quartier où vit le saxophoniste Thomas Borgmann) affichait des photos et des textes au sujet d’artistes alors considérés comme non conformistes et dénoncés en tant que « dégénérés », tels que les musiciens de jazz. Le jazz, explique l’auteur du texte de cette colonne, était dénoncé comme une “transfusion de sang nègre” — les journaux de droite dénonçaient la “bactérie obscène” du jazz alors que les chemises brunes organisaient des perturbations bruyantes de concerts de jazz, lançant parfois des bombes puantes dans le public…
Lire le texte complet au http://jazzblog.scena.org ou www.pointofdeparture.org English Version... | |