Les nouvelles voies explorées par des compagnies d’opéra émergentes

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À présent au Canada, certains jeunes chanteurs n’attendent plus de se faire recruter par une maison d’opéra : au besoin, ils en fondent une eux-mêmes. En fait, au cours des quatre dernières années, au moins sept nouvelles compagnies d’opéra semi-professionnelles ont vu le jour à Toronto, Montréal et Calgary. Celles-ci mettent en vedette des chanteurs en début de carrière qui jettent un regard neuf sur leur art. Créées et dirigées par de jeunes musiciens et chanteurs, ces troupes donnent leur chance à une nouvelle génération d’artistes.

En 2007, deux chanteurs et un coach vocal et pianiste d’expérience, William Shookhoff, ont donné un récital d’extraits de La Traviata de Verdi à Toronto. Or, les chanteurs avaient envie de se lancer dans l’œuvre au complet : de là est né Opera by Request. La première représentation en version de concert a eu lieu le 3 mars 2007; en soi, cela n’avait rien de nouveau. Ce qui étonne, c’est qu’après six ans et demi, 65 opéras et 150 chanteurs, la formule reste la même : les chanteurs se réunissent, sélectionnent une œuvre et la distribution. Certains choix en ont fait sourciller plus d’un, comme une récente production de Die Walküre.

L’idée de Shookhoof, « offrir des possibilités pour les chanteurs de développer le répertoire et pour le public de voir des œuvres connues ou moins connues à des prix imbattables », a inspiré la mezzo Barbara King et son fiancé, le pianiste Chris Gieck, qui ont fondé Calgary Concert Opera en janvier 2011. « On organise des auditions, puis on choisit un opéra en fonction des vœux des chanteurs sélectionnés », explique Mme King. La troupe a donné six opéras en version de concert ou intégrale, y compris Carmen et Werther, dans des églises et des sanctuaires.

La soprano montréalaise Sophie De Cruz, quant à elle, a créé Opéra Immédiat en septembre 2009 pour se donner, ainsi qu’à ses élèves, l’occasion de chanter sur scène. Diplômée des programmes vocaux du Conservatoire de Montréal et de l’Université de Montréal et semi-finaliste de concours, Mme De Cruz s’était lancée dans une carrière de professeur de chant. Dotée d’un bel esprit d’entreprise, elle avait déjà créé un DVD d’enseignement vocal. « Le marché de la musique classique était saturé de sopranos », dit-elle. Le 6 mars 2010, sa première production de L’Elisir d’amore de Donizetti a attiré 210 spectateurs, remplissant la salle du Théâtre Rouge. Après avoir monté une production par an pendant trois années de suite, OI a opté pour une salle plus grande, le Rialto, et donne désormais une saison de deux opéras. D’ordinaire, c’est De Cruz qui incarne le rôle principal.

Le besoin de « faire » de l’opéra et d’acquérir une expérience pratique à l’extérieur de l’école a motivé le metteur en scène Joël Ivany à fonder Against the Grain Theatre en 2010. « En faisant appel aux talents d’autres artistes, nous voulions accumuler des expériences et faire les choses un peu différemment », explique Caitlin Coull, directrice des communications. Après dix productions (dont quatre opéras en version intégrale), donc une moyenne de trois par année, AtG s’est forgé une réputation pour sa façon originale d’aborder l’opéra. D’après Joseph So, qui écrivait dans Opera Canada, la récente production du Mariage de Figaro, dont l’action se situait en 2013 à Toronto, constituait « une réinvention radicale de l’opéra de Mozart », et Ivany est appelé à connaître une carrière internationale dans la mise en scène. Miriam Khalil, l’une des cantatrices les plus prometteuses du Canada, a contribué à la fondation de la troupe. Cette soprano a participé à quelques productions et incarnera bientôt l’un des rôles-titres dans Pelléas et Mélisande.

« Tous les jeunes artistes fraîchement émoulus des écoles de musique se font férocement compétition afin d’obtenir l’une des quelques places disponibles dans les programmes pour jeunes artistes à travers le pays, déplore la soprano Kathrin Welte, cofondatrice d’Opera da Camera. Les seules solutions qui leur sont offertes sont des auditions en Europe, ce qui coûte cher, ou payer pour chanter. Aucune de ces solutions n’est financièrement viable pour le plus grand nombre. » En 2011, avec ses camarades d’études Benjamin Kwong et Meagan Zantingh, de McGill, Mme Welte a d’abord cherché à transformer les récitals en concerts d’ensemble à la mise en scène minimaliste, se prêtant facilement aux tournées dans les petites villes et les salles de dimensions modestes. D’après Opera Canada, le premier opéra monté par cette troupe, Le Nozze di Figaro, était « une nouvelle expérience palpitante ».

« Nous voulions créer des chances pour les jeunes artistes de jouer de la musique baroque à Montréal, au-delà des petits groupes de musique de chambre qui foisonnent ici », souligne la claveciniste Susan Toman, qui a cofondé la Compagnie baroque Mont-Royal avec le ténor David Menzies. Sa première production, en avril 2012, a fait sensation, avec un opéra baroque rarement présenté de Jean-Philippe Rameau, Pygmalion. Des oratorios très peu connus seront également au programme.

La présentation d’opéras modernes dans des sites inhabituels est la spécialité de Bicycle Opera, une troupe itinérante fondée en 2012 par la soprano Larissa Koniuk. « Ma cofondatrice Nadia Chana et moi avons pensé que ce serait bien d’essayer de faire des tournées non motorisées et de faire connaître aux gens dans les régions ontariennes des extraits d’opéras contemporains, dit-elle. Nous voulions toucher un public qui n’avait jamais eu aucun contact avec l’opéra, démythifier les chanteurs et démentir la notion que l’opéra serait quelque chose d’élitiste. Nous sommes capables de remplacer un pneu crevé, de pédaler et de suer : on n’a pas peur de se salir ! » Le groupe interprète des œuvres récentes ou spécialement commandées auprès de jeunes compositeurs canadiens.

« Nous sommes motivés par le désir de présenter des œuvres dramatiques rarement vues par le public québécois en demeurant à proximité des spectateurs », déclare Hubert Tanguay-Labrosse, cofondateur du tout nouveau Ballet-Opéra-Pantomime. Sa première et unique production, Curlew River de Britten, donnée au Conservatoire de Montréal au printemps 2013 et reprise en octobre, a été bien accueillie par les critiques. BOP est né d’un projet de diplômés et étudiants du Conservatoire de Montréal et du Camp musical Père-Lindsay.

Lorsqu’on ne dispose que d’un modeste budget, il faut souvent se contenter d’un accompagnement au piano : c’est le cas des spectacles montés par Opera by Request, Calgary Concert Opera, Opera Immédiat et plusieurs des premières productions d’Against the Grain. Cependant, Opera da Camera et Against the Grain ont également tenté de nouvelles orchestrations, avec un certain succès. Bicycle Opera emporte souvent dans ses bagages une flûte et un violon, parfois une guitare. Jusqu’à présent, BOP a présenté Curlew River dans son instrumentation de chambre d’origine, et Baroque Mont-Royal utilise un orchestre baroque de sept à neuf instruments.

En plus de profiter d’une expérience très utile, les principaux musiciens et participants empochent un petit chèque de paie, principe important qui sous-tend tous ces efforts. Opera by Request et Calgary Concert Opera adoptent une approche coopérative : les chanteurs sont chargés de promouvoir la vente de billets, dont ils se partagent les recettes ainsi que celles tirées des commandites. « Le budget d’Opéra Immédiat est de 25 000 $ par opéra, ce qui comprend les cachets du pianiste, du metteur en scène, du chef de chœur et de 80% des solistes », explique Mme De Cruz. « La majorité de nos concerts de chambre sont rentables s’ils nous coûtent de 900 à 1 200 $. En revanche, la production de Figaro avec décor et costumes complets, dans un grand théâtre de Montréal, a été réalisée avec succès pour moins de 40 000 $ », déclare Mme Welte. Bicycle Opera est la seule troupe à avoir reçu une bourse du Conseil des arts de l’Ontario, mais Baroque Mont-Royal a signé avec le Conseil des arts de Montréal un contrat pour des tournées. Tous nos interlocuteurs affirment que leurs projets sont financièrement autonomes.

Les grandes compagnies d’opéra de Montréal, Toronto ou Calgary n’ont pas besoin de craindre que ces petites troupes leur volent des spectateurs, car leurs budgets de promotion sont si restreints qu’elles dépendent des médias sociaux et du bouche-à-oreille, moyens qui comportent leurs limites, pour se faire connaître. La plupart des compagnies disent attirer entre 60 et 300 spectateurs par représentation, selon la salle, auditoire probablement comparable à celui de groupes tels Opera in Concert, Opéra Atelier et Les Violons du Roy à leurs débuts. « Les choristes sont nos meilleurs vendeurs de billets, surtout auprès des membres de leur entourage », dit Mme De Cruz.

En fait, ces troupes mobilisent de nouveaux publics, ce qui peut produire des retombées positives pour les grandes maisons d’opéra. « Nous avons attiré beaucoup de gens de tous les âges, dont plusieurs n’avaient encore presque jamais eu de contacts avec la musique classique, se réjouit Mme Welte. Nous sommes ravis de constater que près de la moitié ont moins de 35 ans. » Quant à Caitlin Coull, elle constate que « nous attirons un noyau de jeunes spectateurs qui commencent à peine à s’initier à cette forme artistique, ainsi que des piliers du milieu musical ».  

Traduction : Anne Stevens

À venir :
• Opera Immédiat : Lucia di Lammermoor de Donizetti, les 5 et 6 avril 2014 www.opera-immediat.com
• Baroque Mont-Royal : Semele de Haendel, les 5 et 6 avril 2014 cbmroyal.wordpress.com
• Opera da Camera : Cendrillon de Massenet, les 21, 22, 23 et 28 février 2014 www.operadacamera.ca
• BOP : www.bopbop.ca
• Opera By Request : La Bohème de Puccini, le 8 mars 2014 www.operabyrequest.ca
• Against the Grain : Le Messie d’AtG, les 14 et 15 décembre 2013. Pelléas et Mélisande de Debussy, avec Étienne Dupuis, Miriam Khalil, Gregory Dahl et Alain Coulombe, juin 2014. www.againstthegraintheatre.com
• Bicycle Opera : bicycleopera.com
• Calgary Concert Opera : www.calgaryconcertopera.com