Pleins feux sur Falstaff Par Joseph So
/ 1 novembre 2013
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Parmi les vingt-huit opéras répertoriés de Giuseppe Verdi (1813-1901), Falstaff occupe une place toute particulière. Si l’on considère les cinq dernières saisons seulement, de 2008/9 à 2012/3, cet incontournable du répertoire a été monté 121 fois dans le monde. Toutefois, cette œuvre, la dernière de Verdi, n’occupe que le neuvième rang au palmarès de popularité du compositeur, derrière les Traviata (553 fois), Rigoletto (395) et autres Aida (272). Mais en cette année du centenaire de la naissance de Verdi on peut s’attendre à un regain d’intérêt. Falstaff réapparaît au programme de plusieurs maisons canadiennes cette saison, notamment à l’Opéra de Montréal, Opera Hamilton et Pacific Opera Victoria.
Verdi n’a composé que deux opéras comiques, Falstaff et Un giorno di Regno, œuvre de jeunesse sans la maturité musicale qui ne devait venir que plus tard. Verdi est déterminé à composer un deuxième opéra-comique, mais il ne trouve pas de sujet à son goût. Enfin, Arrigo Boito, l’auteur du livret d’Otello, avant-dernière œuvre de Verdi composée en 1887, lui propose un projet inspiré d’une pièce de Shakespeare, Les Joyeuses Commères de Windsor. Avec l’aide du compositeur, Boito termine le livret en 1890 et pendant deux ans, Verdi planche sur la partition. À la première, au Teatro alla Scala en février 1893, l’opéra reçoit un accueil enthousiaste. Il s’agit de la dernière œuvre de grande envergure du compositeur, à part un court ballet pour Otello en 1894 et l’oratorio Quattro Pezzi Sacri en 1897.
Les amateurs d’opéra sont parfois étonnés d’apprendre que les experts tiennent Falstaff en très haute estime, car sur le plan stylistique, cet opéra est fort différent du Verdi qu’on connaît et qu’on aime tant. Les gens se plaignent souvent du fait que Falstaff ne contient pas d’airs qu’on puisse fredonner. Il est vrai que c’est un opéra d’ensemble. Les quelques arias sont plutôt des récitatifs ou des monologues, comme le « Va, vecchio John » de Falstaff ou le « È sogno ? O realtà » de Ford. Quant à Alice, la « prima donna », elle n’a aucune aria à chanter. La seule aria digne de ce nom, et c’en est une très jolie, est « Dal labbro Il Canto estasiato vola » de Fenton au troisième acte, dont une partie de la mélodie a déjà été chantée par Nannetta au premier acte. L’absence d’arias n’est pas une indication du manque d’inspiration mélodique. En fait, la partition est remplie de brèves poussées mélodiques qui ne sont ni répétées, ni développées en arias complètes comme Verdi l’aurait fait auparavant. Il arrive qu’une mélodie d’une beauté exquise soit intégrée à un ensemble. Le meilleur exemple est la cantilène sublime d’Alice :
« Facciamo il paio in un amor ridente
di donna bella e d’uom apparicente,
Ma il viso tuo u me resplenderà
Come una sorella sull’immensità »
Elle est au cœur du quatuor des femmes (Alice, Quickly, Meg, Nannetta) au premier acte. Cette mélodie lumineuse d’une petite minute seulement vaut bien n’importe laquelle des arias composées par Verdi. Falstaff représente la fusion la plus complète de musique et de théâtre de toute l’œuvre de Verdi. Au lieu de composer des morceaux de bravoure sous forme de récitatifs, d’arias ou de cabalettes, dans son chant du cygne Verdi se laisse guider par le texte et la narration, et non par le désir de mettre en valeur des divos et des divas. Il introduit une grande variété de textures et de rythmes orchestraux d’une grande légèreté, ce qui donne à l’œuvre une effervescence et une vitalité d’autant plus remarquables que Verdi avait 80 ans quand il l’a composée. De nature changeante et regorgeant de volte-faces comiques, l’orchestration de Falstaff pose des problèmes à la fois pour les instrumentistes et pour les chanteurs. Les ensembles exigent probablement plus de temps de répétition que n’importe quel autre opéra de Verdi afin de parvenir à la perfection, car la moindre erreur peut facilement mener à la catastrophe. L’œuvre dure moins de deux heures et demie, sans compter l’entracte, mais elle contient suffisamment d’idées musicales pour un opéra bien plus long. Il n’y a pas une seule note inutile, ce qui fait que l’opéra n’est jamais coupé. Surtout apprécié des amateurs éclairés, Falstaff dévoile ses charmes graduellement. Ses particularités et défis musicaux ne font qu’ajouter à l’enchantement que produit chaque rencontre sur scène ou sur disque.
Discographie
Audio. Dans chaque génération, un chanteur ou deux tout au plus sont dignes d’incarner le rôle-titre : Mariano Stabile, Tito Gobbi, Geraint Evans, Giuseppe Taddei et (peut-être) Dietrich Fischer-Dieskau autrefois, Bryn Terfel et Ambrogio Maestri aujourd’hui. Parmi les bons enregistrements d’antan, mentionnons Toscanini et l’Orchestre de la NBC avec Giuseppe Valdengo en 1950; De Sabata avec Stabile (Falstaff), excellent malgré son âge, et une Tebaldi à la voix onctueuse (Alice); la célèbre version Karajan avec une Alice étrange d’Elisabeth Schwarzkopf mais un merveilleux Falstaff de Tito Gobbi; la version superbement dirigée de Leonard Bernstein avec un Fischer-Dieskau sec, mais la célèbre (à juste titre) Regina Resnik dans le rôle de Quickly. Parmi les versions modernes, Terfel chante magnifiquement pour Abbado et l’Orchestre philharmonique de Berlin, Thomas Hampson est hors pair dans le rôle de Ford et en prime, la Canadienne Adrianne Pieczonka incarne Alice.
Vidéo. Il existe pas mal de choix sur DVD. Une version agréable est celle de Bernard Haitink à la tête du Royal Opera House Orchestra avec Bryn Terfel, même si Barbara Frittoli (Alice) a un vibrato trop marqué à mon goût. On la retrouve également dans une version plus récente de Zurich, avec Ambrogio Maestri qui fait un Falstaff vraiment drôle, sous la direction de Daniele Gatti. Si vous aimez Maestri, une autre version a été enregistrée au Festival Verdi à Parme en 2011 avec une distribution moins connue, mais un Maestri en grande forme comme toujours. Un DVD intéressant est celui de James Levine avec l’Orchestre du Met, mettant en vedette le méconnu Paul Plishka dans le rôle de Falstaff, Mirella Freni merveilleuse dans celui d’Alice, et Marilyn Horne avec une voix de poitrine intimidante dans celui de Quickly. La mise en scène de Zeffirelli est somptueuse. Un spectacle récemment donné à Glyndebourne comprend le Falstaff de Christopher Purves et, ce qui réjouira les canadiens, la merveilleuse Quickly de la contralto Marie-Nicole Lemieux. La production déplaira à certains. Toutes ces versions valent la peine de figurer dans votre musicothèque. English Version... | |