Pleins feux sur Lakmé et L’Air des clochettes Par Joseph So
/ 1 septembre 2013
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Lakmé, l’opéra le plus connu de Léo Delibes (1836-1891), est l’archétype de l’histoire d’amour interculturelle. Créée en 1883, cette œuvre témoigne de la fascination de l’Europe occidentale pour l’Orient. Le théoricien littéraire Edward Saïd, dans son ouvrage intitulé L’Orientalisme, affirme que l’œuvre reflète une imagination centrée sur l’Europe ainsi qu’une perception déformée et hautement romantisée.
Certes, il serait malavisé de se fier à un argument d’opéra pour connaître avec précision les faits historiques et Lakmé en est un bon exemple pour ce qui est de la colonisation britannique en Inde. Malgré tout, le charme de cette œuvre lyrique, son exotisme et ses mélodies ravissantes ont su maintenir sa cote de popularité depuis sa première présentation en 1883. L’opéra est classé au 159e rang selon le nombre de représentations (19) au cours des cinq dernières saisons. Si on compare ce nombre à celui de La Traviata (553) ou encore de Carmen (477), il peut paraître négligeable. C’est en raison du rôle-titre que très peu de sopranos peuvent chanter, car il exige une grande prouesse vocale. L’Opéra de Montréal est heureux de pouvoir compter sur la voix de la soprano colorature Audrey Luna, une étoile montante qui a remporté un énorme succès dans le rôle d’Ariel dans l’opéra The Tempest de Thomas Adès tant sur la scène du MET qu’ailleurs.
l’Air des clochettes
Les deux airs les plus connus de l’opéra Lakmé sont le Duo des fleurs et l’Air des clochettes, ce dernier étant une véritable épreuve pour une soprano colorature. Cet air qui dure pas moins de huit minutes est une véritable voltige vocale grâce à laquelle une diva fait sa marque. Pratiquement toutes les sopranos colorature ont tenté de le chanter et on compte les prestations à la douzaine sur YouTube. Parmi les meilleures, certaines, remontant aux débuts du phonographe, sont chantées par des divas de l’époque comme Luisa Tetrazzini, Amelita Galli-Curci et Lily Pons. L’interprétation de Lily Pons est probablement la plus célèbre, notamment à cause de son apparition dans le film I Dream too Much sorti en 1935 (youtu.be/2TfddrnmvbA).
Parmi les cantatrices célèbres qui ont incarné le rôle de Lakmé, on compte Mado Robin, Mady Mesplé, Joan Sutherland, Natalie Dessay, Diana Damrau, Sumi Jo, Dilber et même Maria Callas. Pour comparer dix célèbres interprétations de ce rôle, dont une par la Canadienne Tracy Dahl particulièrement en voix, consultez la page Web suivante : youtu.be/EQa2EpyKJJE.
Pour vous dilater la rate, ne manquez pas la version, heureusement écourtée, de la soprano américaine Florence Foster Jenkins, célèbre pour son incapacité totale à chanter correctement youtu.be/w8kiMCeudLg
La soprano colorature américaine Audrey Luna, véritable étoile montante, a été mise en orbite grâce au rôle d’Ariel dans The Tempest, opéra composé par Thomas Adès et présenté au MET de New-York et à Québec et qui prendra bientôt l’affiche à Vienne. J’ai joint Luna par téléphone alors qu’elle profitait d’un moment de répit bien mérité à Hawaï après une saison bien remplie.
Nous avons bien hâte de vous entendre à Montréal. Est-ce que Lakmé est votre premier grand rôle ?
AL: Oui en effet. J’ai longtemps souhaité interpréter ce rôle. J’ai donc été très heureuse quand on m’a appelée pour me le proposer.
Il y a un clip vidéo sur YouTube de votre prestation dans l’Air des clochettes, magnifique soit dit en passant. Pouvez-vous nous donner plus de détails ?
AL: C’était il y a sept ans dans le cadre d’un festival de musique, lors d’une soirée d’airs lyriques. Non seulement j’ai toujours chanté l’Air des clochettes lors de mes auditions, mais j’ai le plus souvent commencé par cet air.
Avez-vous toujours été une soprano léger colorature ?
AL: Quand j’étais étudiante au baccalauréat, j’étais une soprano ordinaire. Puis j’ai fréquenté une autre école pour ma maîtrise. En m’entendant chanter, mon nouveau professeur a senti que je pouvais augmenter la tessiture de ma voix. Nous y avons travaillé et en une semaine j’ai gagné dans l’aigu et c’est resté. Il m’est très facile de chanter les notes aiguës et de vocaliser.
Quelle est la plus haute note que vous pouvez chanter ?
AL: C’est le contre-contre-ut, bien que je ne l’aie jamais chanté sur scène. J’essaie de voir comment je pourrais l’introduire ! Au milieu de l’Air des clochettes, il y a les trois contre-mi et il est possible de pousser la note jusqu’au contre-la bémol… J’espère y arriver.
Cet air est souvent chanté pour mettre en valeur la soprano colorature. Comment faites-vous pour y insuffler une vigueur dramatique ?
AL: Le rôle est très dramatique, tout comme l’Air des clochettes. Lakmé est forcée par son père à chanter pour que son amoureux se dévoile en public. Cet instant est déjà très dramatique et je ne crois pas qu’il soit nécessaire de se forcer [à être dramatique]…
Nombreuses sont les sopranos coloratures qui ont enregistré cet air. Vers qui va votre préférence ?
AL: J’aime bien Mady Mesplé et Anna Moffo.
Quel est votre rôle préféré ?
AL: Mon rôle préféré en ce moment est Ariel dans The Tempest. Il englobe tout ce qu’un artiste peut offrir dans sa prestation. Je dois danser, bouger, me dépasser, faire des choses qu’aucun metteur en scène ne m’a jamais demandées. J’aime les défis. Voilà ce que j’apprécie d’un rôle : si ce rôle peut m’enseigner quelque chose et m’aider à m’accomplir en tant qu’artiste, alors assurément ce rôle devient mon préféré.
Quels sont les rôles que vous rêvez d’interpréter un jour ?
AL: Oui, j’en ai quelques-uns (Olympia) à venir prochainement en des endroits très stimulants. J’ai toujours voulu chanté Sophie dans Le Chevalier à la rose et assurément La somnambule et Marie dans La fille du régiment.
Avez-vous déjà songé: « Et si j’étais une soprano wagnérienne ? »
AL: Non, pas wagnérienne… Un rêve qui ne se réalisera jamais est celui d’interpréter Tosca ! J’adore ce personnage et la musique. Malheureusement, je ne possède pas le type de voix voulu pour ce rôle. Un jour, j’incarnerai probablement Violetta, le rôle le plus substantiel que je peux espérer chanter. En fait, plusieurs de mes rôles préférés sont des rôles de ténor – mais bien sûr, cela n’arrivera jamais (rires).
Traduction: Lina Scarpellini
Delibes: Lakmé, Opéra de Montréal, le 21, 24, 26, 28 septembre. operademontreal.com English Version... |