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La Scena Musicale - Vol. 19, No. 1

Denis Gougeon : Heureux qui, comme ...

Par Réjean Beaucage / 1 septembre 2013

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Après Claude Vivier (2007-2008), Gilles Tremblay (2009-2010) et Ana Sokolović (2011-2012), c’est Denis Gougeon que la Société de musique contemporaine du Québec (SMCQ) a choisi d’honorer dans le cadre de sa Série hommage 2013-2014.

Compositeur prolifique, Denis Gougeon ajoute régulièrement de nouvelles entrées à son catalogue, qui compte déjà plus d’une centaine d’œuvres écrites pour les configurations les plus diverses, du solo à l’orchestre et du vocal à l’instrumental, en passant par la musique pour le théâtre (11 collaborations avec le Théâtre Ubu de Denis Marleau), le ballet ou l’opéra. Avant d’accepter un poste de professeur à l’Université de Montréal en 2001, il était l’un des rares compositeurs de chez nous à pouvoir prétendre vivre de son art, sa musique étant appréciée des interprètes, mais aussi, bien sûr, des auditeurs; parmi les nombreuses récompenses qui lui ont été remises depuis le début de sa carrière, on compte quatre prix Jan V. Matejcek de la Socan (remis au compositeur canadien le plus souvent joué en concert ou à la radio).

L’hommage de la SMCQ salue un compositeur qui a le vent dans les voiles comme le montrent bien ses plus récentes créations: TUTTI! (2013), commande du Esprit Orchestra de Toronto pour souligner son 30e anniversaire; Ah quelle beauté! (2012), pour quatuor à cordes et comédienne, commande du Quatuor Molinari; Mutation (2011), commande du Nouvel Ensemble Moderne, prix Opus de la Création de l’année 2011; Toy (Music Box, 2010), pour 2 flûtes de bambou et orchestre, œuvre récipiendaire du premier prix au Concours international de composition de Shanghai. Et son carnet de commandes est bien garni pour les années qui viennent!

C’est par la guitare que Denis Gougeon est venu à la musique: « J’ai appris à jouer de la guitare en autodidacte à l’âge de 15 ans. De la guitare classique, avec la musique de Fernando Sor, la méthode de Carcassi, etc. Un an après avoir commencé, je donnais un récital complet d’une heure. J’ai été littéralement subjugué par la musique. » C’est pourtant en sciences humaines qu’il s’inscrit au Cégep de Sherbrooke, mais sa guitare le suit partout et, après un an, c’est l’école de musique Vincent-d’Indy, à Montréal, qui l’accueille pour un parcours de baccalauréat en musicologie et en guitare classique. « Je voulais connaître les principes derrière la musique. Au bac en musicologie, j’ai découvert que j’avais une certaine facilité pour l’écriture et une bonne oreille. On nous demandait de faire des pastiches, et c’était génial, parce que l’on devait imiter Fauré, Bach, Chopin et cela nous permettait de comprendre leur style, la construction des phrases, l’harmonie, le rythme, etc. »

Cette découverte de différentes façons de concevoir la musique est déterminante pour la suite du développement d’un compositeur qui abordera avec la même (apparente) facilité, et toujours avec le même succès, des œuvres qui seront interprétées par des ensembles aussi disparates que celui de la SMCQ, les Violons du Roy, le Quatuor Molinari ou l’OSM, et qui écrira aussi des musiques pour le théâtre, pour des instruments traditionnels chinois ou pour des « orchestres » d’écoles primaires! « J’aime le travail avec les interprètes, explique-t-il, peut-être parce que mon épouse est elle-même chanteuse [Marie-Danielle Parent, soprano]; j’aime la dynamique qui se développe avec ceux à qui la musique est destinée. Il m’arrive, lorsque je compose une pièce, de garder de côté des idées qui ne marchent pas pour le travail en cours, mais qui me semblent néanmoins bonnes et qui pourraient servir une autre fois. Finalement, je ne les utilise pas, parce que mon inspiration carbure à la relation avec l’interprète en temps réel. »

« Parmi les compositeurs qui me sont contemporains, ceux qui m’ont beaucoup influencé, chez nous, sont John Rea et Gilles Tremblay, pour leur façon d’être, leur cheminement. Vivier aussi, qui a été de ceux qui m’ont encouragé le plus à mes débuts. » On peut trouver certains points communs entre la musique de Claude Vivier, qui exerce une grande séduction sur de nombreux amateurs de musique (ce qui en fait l’un des grands ambassadeurs internationaux de la musique d’ici), et celle de Denis Gougeon. « Pour moi, il est important que l’auditeur ait un accès immédiat à la musique, on n’a pas à le faire languir inutilement. » D’autres caractéristiques de Denis Gougeon lui ont été transmises par ses professeurs de composition à l’Université de Montréal: « André Prévost était un compositeur qui recevait commande après commande, c’était extraordinaire et je l’enviais pour ça, puis il y avait Serge Garant, qui composait avec parcimonie, mais qui était grandement impliqué dans la communauté musicale [il a été l’un des cofondateurs de la SMCQ], et qui à cet égard m’a servi de modèle. » Denis Gougeon fut parmi les animateurs de la société de concerts Les Événements du Neuf (1978-1990): « C’est un travail, celui de l’organisation de concerts, qui oblige à se tenir très solidement au courant de l’actualité internationale, et c’est une expérience extrêmement enrichissante, une autre façon d’interagir avec les interprètes. »

« Lorsque j’ai su que j’allais être honoré par la saison hommage de la SMCQ, Ana Sokolović [honorée en 2012] m’a conseillé de ne pas accepter de travail de composition durant cette année, mais ça a été impossible! » Bien qu’étant un véritable touche-à-tout, passant de la musique jeunesse (Le piano muet, avec Gilles Vigneault) à la musique pour la scène, puis à la musique de concert pour petit ensemble ou grand orchestre, Denis Gougeon reste toujours lui-même: « Il y a une signature dans ce que je fais, mais c’est sans doute aux musicologues de la définir. Il y a aussi je crois une certaine qualité, du moins c’est ce que je vise. J’essaie d’inclure dans ma musique tout ce qu’il faut pour qu’elle ne se dévoile pas entièrement du premier coup. Je travaille beaucoup pour que les choses semblent être simples, tout en fournissant aux interprètes une matière qui les enthousiasme. Pour moi, il est là le bonheur, dans cette relation privilégiée avec les interprètes, quand je vois cette lueur dans leurs yeux, ou dans ceux de mes étudiants en composition, quand ça marche! Pour moi, c’est l’essentiel. »

Pistes d’écoute pour découvrir la musique de Denis Gougeon
par Éric Champagne

L’œuvre de Denis Gougeon, bien que riche et diversifiée, possède sa signature propre. Voici quelques repères qui permettront à l’auditeur de mieux apprécier ses nombreuses créations.

Théâtre musical et musique théâtrale

Gougeon n’est pas qu’un compositeur, il est en quelque sorte un homme de théâtre dans le domaine de la musique. Ce goût du théâtre l’amène tout naturellement a écrire pour la scène. Aussi compte-t-on à son catalogue deux opéras (An Expensive Embarassment et Hermione et le Temps) et deux ballets (Emma B et Les Liaisons dangereuses) ainsi que des contes musicaux destinés au jeune public (Le piano Muet, Planète Boabab et Alice au pays des merveilles). Par-dessus tout, c’est le travail réalisé avec le metteur en scène Denis Marleau qui consolide les caractéristiques théâtrales de son œuvre. La participation à neuf productions du Théâtre UBU lui apporte de nombreux outils d’expression sonore: il cerne clairement les émotions recherchées, développe ses techniques narratives, joue avec les tensions et les détentes et diversifie son langage pour mieux servir les enjeux du théâtre.

Cette grande expérience de la scène se répercute sur un grand nombre de ses œuvres de concert. De l’aveu même du compositeur, certaines de ses musiques sont des « tragédies instrumentales », où le discours sonore se nourrit d’une structure théâtrale interne et de ses nombreuses tensions et détentes intrinsèques. Des œuvres comme Un train pour l’enfer (orchestre de chambre et ensemble de percussions) ou encore À l’aventure! (orchestre symphonique) sont autant d’épopées qui emportent l’auditeur à travers un récit imaginaire savamment dirigé par le compositeur.

Poésie et sens du drame

Ce sens du drame se métamorphose de diverses manières dans d’autres œuvres instrumentales. On pense à la courte pièce pour flûte seule L’oiseau blessé. Vers la fin de cette pièce, l’interprète doit se tourner pour faire dos au public. La partition comprend alors une courte citation de l’air de Papageno, extrait de La Flûte enchantée de Mozart. L’effet est saisissant et surprend le public chaque fois! Un autre exemple: lors d’une conférence donnée à la suite de la création du concerto pour accordéon et orchestre de chambre En accordéon, Gougeon a déclaré que la section finale de l’œuvre, où l’on entend nombre de coups de fouet et de « rugissements de lion », est née d’une image de cirque au sein duquel évoluait le soliste. Si cette affirmation a été faite dans un contexte pédagogique et ne figure pas dans la note de programme officielle, on constate néanmoins que la notion de théâtre s’infiltre au sein de sa musique instrumentale comme un élément structurant majeur.

L’aspect théâtral est aussi au cœur de sa production vocale, abondante et variée. Très peu attiré par le concept traditionnel du lied ou de la mélodie française, les œuvres vocales de Gougeon, au lyrisme généreux, explorent de nombreuses voies dramatiques. Le jeu des citations, par exemple, donne un caractère spectaculaire à diverses citations et courts adages choisis par le compositeur. Ici, la musique est directe et l’impact émotif est réel.

D’autres œuvres pour voix sont développées comme des monodrames sans mise en scène. La frontière est floue entre le théâtre musical et la musique de concert, notamment dans La Femme au parapluie pour soprano et clarinette et Maouna pour soprano et trois instruments, deux petites scènes créées à partir de textes de Michel Tremblay. Une œuvre majeure, Clere Vénus, pour soprano et ensemble, évolue aussi en ce sens. Gougeon a ici mis en musique sept sonnets de la poétesse française Louise Labé sans pour autant en faire un cycle de mélodies, mais bien une sorte de monodrame nocturne où l’essence de l’œuvre poétique prend une portée dramatique à la fois structurée et extrêmement sensible. L’art de Gougeon pourrait se décrire comme étant celui de jongler habilement avec la poésie et le sens du drame.

Plaisirs ludiques

La poésie est aussi présente dans des œuvres sans prétention. On pense à Une petite musique de nuit, pour ensemble de guitares, où le chant des grillons et le souffle du vent se faufilent à travers ce nocturne contemplatif. Ici, les techniques d’écriture contemporaines sont exploitées avant tout pour leur apport poétique et imagé.

La musique de Gougeon est essentiellement diatonique, consonante, à la fois modale et tonale (on pourrait dire néotonale ou encore multimodale). Les constructions d’échelles sonores, de « modes artificiels », et leurs transformations sont à la base du langage de Gougeon. Sa technique d’écriture est solide, ce qui lui permet d’ouvrir les possibilités harmoniques et contrapuntiques à partir d’un matériel simple et consonant. Sa pièce Mutation, pour orchestre de chambre, en est un bon exemple. Elle se décline comme des variations – non pas traditionnelles, mais morphologiques – d’un enchaînement harmonique tonal. La mutation du titre transforme cet objet sonore en un impressionnant kaléidoscope de couleur instrumentale et d’émotion musicale.

On retrouve aussi dans diverses œuvres de chambre – dont Jeux de cordes, pour quatuor à cordes, Quatre inventions pour quatuor de saxophones et 4 jeux à 5 pour quintette à vents – le plaisir malin de s’imposer des contraintes d’écriture pour créer un contrepoint riche et une interaction vivante entre les musiciens. Bien qu’il s’agisse d’œuvres savamment construites, ces pièces possèdent un caractère ludique et une sensibilité qui rappellent l’importance du verbe jouer dans l’expression jouer de la musique. Un verbe que le compositeur sait habilement conjuguer, sa musique le prouvant de façon éloquente!


Saison hommage: quelques incontournables

C’est la SMCQ qui donnera le coup d’envoi officiel de sa saison hommage dans le cadre des Journées de la culture, le 27 septembre à la salle Pierre-Mercure (Montréal), alors que Walter Boudreau dirigera Heureux qui, comme… (Marie-Danielle Parent, soprano) et En accordéon (Joseph Petric, accordéon).

Le 8 décembre, à la salle Tanna Schulich (Montréal), les pianistes Brigitte Poulin et Jean Marchand nous feront découvrir une création de Gougeon, de même qu’un arrangement que le compositeur a fait pour l’occasion de Pulau Dewata, de Claude Vivier.

L’Orchestre symphonique de Laval (Alain Trudel) interprétera sa musique le 5 novembre, l’Orchestre symphonique de Trois-Rivières le 1er février (David Hayes) et le 18 avril (Jacques Lacombe). L’Orchestre 21 (Paolo Bellomia) le fera aussi le 17 mai. Cependant, le concert orchestral que l’on ne voudra pas manquer est celui que présentera l’OSM sous la direction de Long Yu les 26 et 27 février, alors que l’on pourra entendre ici pour la première fois la pièce récipiendaire du Concours international de composition de Shanghai en 2010, Toy, pour 2 flûtes et orchestre, interprétée par les deux solistes originaux, Quian Jun et Jin Kai.


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