FIJM 2013 : De l’actualité à l’histoire Par Marc Chénard
/ 1 juin 2013
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Pour sa 34e édition débutant le 28 juin prochain, les organisateurs du Festival International de Jazz de Montréal (FIJM) ont décidé de le décliner à la mémoire d’un de leurs musiciens chéris, le regretté Dave Brubeck. Pour marquer la disparition de ce pianiste, décédé à la veille de son 92e anniversaire en décembre dernier, le festival offre à ses fils une prestation en son hommage en soirée de clôture (le 7 juillet).
Outre cette performance et son importance pour les dirigeants du festival, le départ de Brubeck signale aussi la perte d’un des derniers témoins directs de la grande épopée du jazz. Non seulement a-t-il bénéficié du singulier privilège de connaître les pères fondateurs de l’art, mais il s’est inspiré de leur exemple pour apporter sa contribution personnelle.
Cette espèce bientôt vouée à l’extinction ne compte plus beaucoup de spécimens encore de ce monde, Phil Woods, Lee Konitz et Barry Harris étant parmi les derniers en activité. Bientôt, l’actuelle génération de jeunes musiciens n’aura plus accès aux aînés, marquant ainsi une césure décisive dans le processus traditionnel de transmission purement orale des savoirs. L’école comble ce fossé, diront certains, mais les connaissances sont désormais consignées en systèmes uniformisés et non comme expériences intuitives, acquises par essais et erreurs.
Dans cette conjoncture, le festival joue un rôle particulier, tout spécialement en ce qui concerne la dissémination de la musique sur la place publique. En 1980, date de la fondation du FIJM, les festivals consacrés à la note bleue étaient inexistants au pays, en dépit de quelques précédents éphémères. Chez nos voisins du sud, le paysage festivalier se résumait à Newport et Monterey, tandis que l’Europe avait réussi à implanter des circuits d’événements saisonniers.
Historiquement, le premier lieu de diffusion avait été le club. Peu à peu, le jazz eut accès à la salle de concert, ce qui permit de rehausser son cachet artistique. Mais il aura fallu attendre l’éclosion de l’industrie des festivals de jazz pour que Dame jazz ait droit de cité dans l’imaginaire public. Sans ces événements, il aurait été fort probablement relégué aux oubliettes en termes de couverture, les médias étant résolument plus intéressés par le vedettariat de la musique pop. Pourtant, même si le mot « jazz » est connu de tous, personne ne sait comment apposer l’étiquette avec certitude. De toute évidence, la mondialisation culturelle a estompé les frontières et les festivals y sont pour quelque chose. Qu’on regarde la grille de programmation du FIJM, ou de tout autre membre du réseau national Jazz Festivals Canada et la conclusion s’impose : le jazz est bien ce que ses directeurs artistiques veulent qu’il soit. Les médias jouent le jeu... le public suit. D’une part, il peut être le plus populaire possible pour mieux séduire les masses de consommateurs de musique ; d’autre part, il ne néglige pas les intérêts et exigences des mélomanes plus aguerris, certains adhérant aux valeurs traditionnelles enchâssées dans son histoire, d’autres tournés vers ses tangentes plus audacieuses, qualifiées le plus souvent de musiques improvisées libres.
De par sa nature, le festival se tient toujours au pas de l’actualité musicale, d’où le phénomène récurrent de l’artiste saveur de l’année inscrit à tous les programmes. Pourtant, il est aussi une mémoire qui permet de marquer le passage du temps et de rappeler les artistes qui ont défilé sur ses scènes. Avec la disparition de musiciens comme Brubeck, on note dans la programmation du prochain FIJM deux préoccupations importantes, l’une valorisant les derniers survivants d’une génération et l’autre misant sur la consécration de talents formés dans une tout autre réalité sociale et artistique.
À titre d’exemple, la série Invitation démontre ce clivage entre un passé en voie de disparition et un présent complètement éclaté. Ouvrant le bal, le saxophoniste ténor (et noble héritier de John Coltrane) Charles Lloyd se produira à trois reprises. Ayant atteint l’âge respectable de 75 ans en mars dernier, Lloyd est de ces authentiques qui ont vécu à chaud cette lointaine époque (travaillant, entre autres, avec Chico Hamilton et Cannonball Adderley). Dans les années soixante, il connut des heures de gloire en s’immiscant dans le circuit de la musique psychédélique, son groupe incluant une future superstar du nom de Keith Jarrett.
Dans la seconde tranche de cette même série, les feux seront braqués sur le pianiste américain de descendance indienne Vijay Iyer. Entre des performances de son actuel trio et une en solo (que l’auteur de ces lignes eut l’occasion de voir au festival en 2010), Iyer propose un duo avec son comparse des ivoires Craig Taborn. L’un et l’autre dans la jeune quarantaine, ils sont actuellement dans le point de mire de la presse spécialisée, appuyés par leurs labels respectifs, Act Records et ECM.
Ailleurs dans le festival, la série Pianissimo offre cette même dualité générationnelle en accueillant dans sa seconde moitié Enrico Pieranunzi, Oliver Jones et Vic Vogel (âgés de 64, 78 et 77 ans respectivement). En première tranche, pas moins de cinq claviéristes de la relève seront présentés au public montréalais, soit le Français Thierry Maillard, la Québécoise Alexandra Stréliski, le Britannique Gwilym Simcock, le Cubain Harald López-Nussa et Thomas Enhco, également de France.
Cette tendance se retrouve aussi dans la série Jazz d’Ici, qui comprend d’aussi vieux routiers que Guy Nadon et Michel Donato (en duo avec Pierre Tanguay), des noms établis comme Yannick Rieu et André Leroux et d’autres en pleine ascension (Marianne Trudel, Chet Doxas, Julie Lamontagne, Joel Miller et Jacques Kuba Séguin, sans oublier les sœurs Jensen, Christine d’ici et Ingrid de New York). Pour arrondir le tout, mentionnons quelques monstres sacrés dont les places sont maintenant assurées au panthéon du jazz : Wayne Shorter, Steve Kuhn et David Murray.
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