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La Scena Musicale - Vol. 18, No. 5 février 2013

Étienne Dupuis : Le philosophe

Par Wah Keung Chan / 1 février 2013

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Étienne Dupuis comme Marcello dans La Bohème. Photo Yves Renaud
Étienne Dupuis comme Marcello dans La Bohème. Photo Yves Renaud.

La fortune sourit à Étienne Dupuis. Déjà lancé dans une carrière internationale en France et en Allemagne, avec un contrat d'enregistrement à l'horizon, à 33 ans le baryton canadien peut envisager l’avenir avec une certaine sérénité. L'Opéra de Montréal lui a proposé le premier rôle masculin dans Dead Man Walking, de Jack Heggie. Quand on le rencontre, Dupuis se présente comme quelqu'un qui ne se prend pas trop au sérieux, content de sa vie et avec un charmant brin d’ironie. Et sa carrière a effectivement de quoi le contenter! Une audition pour le rôle de Schaunard dans La Bohème, à l'Opéra de Monte-Carlo, lui a valu des recommandations et l’obtention du rôle principal dans Le Barbier de Séville à l'Opéra de Berlin, puis un des rôles principaux dans Les Pêcheurs de Perles à l'Opéra de Munich, aux côtés de Diana Damrau et de Joseph Calleja.

Débuts

Natif de Repentigny, Étienne Dupuis s'est mis au piano à quatre ans, au grand ravissement de ses parents. « J'ai le diapason absolu, raconte-t-il, et ma mère voulait depuis toujours un musicien dans la famille. » Toutefois, il n'aimait pas beaucoup pratiquer, « alors je suis passé du classique au jazz, puis à la musique pop ».  Au cégep, son professeur de piano, Lorraine Desmarais, lui reproche de ne pas assez travailler à la maison, mais elle est étonnée de le voir aussi à l'aise lorsqu'il joue en public. C'est en deuxième année qu'il décide de se consacrer au chant classique. « Je voulais apprendre à mieux chanter, et j'ai auditionné en imitant Pavarotti », dit-il. Alors qu’il était à l’aise dans l’aigu, son professeur a vainement tenté de faire de lui un ténor. Un concert de Noël a tout changé pour lui : « C'était comme si quelqu'un avait allumé la lumière. Je me sentais à ma place, et je n'ai plus jamais douté de moi. »

À son arrivée à McGill, il ne connaissait encore pas grand-chose à l'opéra; il s'est donc mis à en écouter à la bibliothèque de musique, à raison de deux ou trois nouveaux opéras par semaine. « Dans ma troisième année, j'ai participé aux finales du jeu-questionnaire d'opéra de la CBC avec Stuart Hamilton », dit-il avec fierté.

Son impression de McGill? « C’était l’endroit idéal pour voir, écouter et faire tout ce qu’il ne fallait pas, répond-il. Comment faut-il respirer, se tenir, bouger et réagir avec ses collègues? Il n’est pas toujours facile de traiter avec des artistes, sur scène ou ailleurs. En première année d’études, il faut travailler en arrière-scène, où on apprend à se faire regarder de haut. » Dupuis a trouvé que le professeur Winston Purdy lui convenait bien. « Il s’intéresse beaucoup à la santé vocale, explique-t-il. Quand on est jeune, on essaie trop vite de chanter trop fort. »

Dupuis a ensuite passé deux années à l’Atelier lyrique de l’Opéra de Montréal, où il a étudié auprès de César Ulloa, qui lui a conseillé d’auditionner pour le camp d’été de l’Institut international d’art vocal de Tel-Aviv, avec Joan Dornemann. « C’est intense; là, tous les chanteurs ont du talent. Il faut alors essayer de se dépasser soi-même, pas les autres. » Dupuis s’est rendu en Israël à deux reprises. L’année suivante, l’Institut canadien d’art vocal était né, et il a profité deux fois de ce programme. Un autre grand tournant dans sa formation a été un atelier de dix jours avec Craig Rutenberg à l’Opéra de Vancouver. « Les huit chanteurs participants avaient chacun 75 minutes de chant par jour; nous avons beaucoup appris », raconte-t-il.

Comme la plupart des chanteurs qui sortent des universités et des écoles de formation, Dupuis a senti sa voix atteindre un plafond. Puis, il y a quatre ans, sa voix a recommencé à se développer. « C’est comme quand on s’entraîne ou qu’on veut perdre du poids, explique-t-il. On fait des progrès, puis on atteint un plateau, et ensuite on reprend de plus belle. Les professeurs nous disent que le corps change. Le corps d’une femme approche sa sonorité définitive vers 26 ans, et celui d’un homme, à 30 ans. Arrive le jour où tout, à coup, cela va bien la plupart du temps, on a davantage d’endurance, et les réactions des gens changent. Et pourtant, en apparence rien n’a changé! On se met à accomplir ce qu’on voulait faire depuis toujours; c’est le moment de prendre son élan. Lorsque j’ai atteint l’âge de 30 ans, j’ai senti que les gens me prenaient plus au sérieux. »

La devise d’Étienne Dupuis : « L’insécurité est le pire ennemi. » Et son conseil aux étudiants : ne pas perdre leur esprit critique. « Évitez de tomber en amour avec votre professeur. Ne suivez pas tous les conseils qu’on vous donne. Pensez-y, puis oubliez-les. Pensez par vous-même. »

Le premier rôle qui a permis à Dupuis de percer a été celui de Johnny Rockfort, dans la version 2008 de l’opéra Starmania de Luc Plamondon, ce qui nous rappelle ses débuts dans la musique pop. Il est actuellement en pourparlers avec Plamondon pour un futur projet. « J’écris aussi mes propres trucs, un peu de pop et de folk », dit-il. D’ailleurs, le 8 février il présentera un concert de guitare et de piano avec un petit groupe. À son avis, rien ne l’empêche de tâter des deux genres de musique. « C’est une autre façon de chanter; la même respiration, mais sans se pousser, comme on le fait à l’opéra. C’est plus axé sur le texte. »

Se proclamant un grand romantique, Dupuis avoue aimer les gens. « Je regarde les gens et je ne vois pas la surface, mais ce qu’il y a à l’intérieur, affirme-t-il. Je ne cherche pas les ovations, mais je veux que les gens aiment ce qu’ils voient. Je m’intéresse à l’effet que cela produit sur eux. Si je n’étais pas chanteur d’opéra, je voudrais écrire des livres, faire des films, dialoguer avec les gens, les aider. Mon but est de faire vivre une expérience aux gens. »

C’est grâce à ce sens de l’intégrité artistique et à son goût du travail d’équipe qu’Étienne Dupuis se fait réengager. Le public montréalais l’a vu récemment dans le rôle de John Sorel, dans Le Consul de Menotti, celui de Marcello dans La Bohème de Puccini et celui de Valentin dans Faust de Gounod. « J’aime me sentir enthousiasmé par les propositions qu’on me fait, par exemple si on me demande de travailler avec une personne que j’aime bien ou dans un endroit que je n’ai jamais visité. »

Dead Man Walking

Cette saison, Dupuis aurait pu être tenir un rôle dans chacune des productions classiques de l’Opéra de Montréal. C’est pourquoi l’offre de Michel Beaulac de jouer dans Dead Man Walking a été une vraie surprise, teintée d’ironie, puisque l’un des cadeaux gagnés par Dupuis lors du jeu questionnaire sur l’opéra est justement l’enregistrement original en direct de cet opéra !

C’est un rôle tout en émotions, en plus de représenter un exploit physique, puisqu’il lui faut chanter tout en effectuant 25 redressements. Dupuis a dû commencer à s’entraîner et à lever de la fonte ! « Je n’arrive pas à m’imaginer vivre une telle situation, nous confie-t-il. C’est le jour de mon exécution et c’est la dernière fois que je peux parler avec ma mère et elle ne veut pas entendre la vérité. C’est sœur Hélène qui va arracher un aveu à mon personnage. Il est brisé, il va l’admettre, et finalement il va hurler cette vérité. Chaque fois que je lis cette scène, je pleure. C’est tout un pari pour moi de ne pas me laisser envelopper par l’émotion au point de ne plus être capable de sortir un seul son. »

Un des moments préférés de Dupuis est une petite ariette au cours de laquelle son personnage demande à sœur Hélène si elle a déjà eu une liaison avec un homme.

 « Il se souvient d’un moment passé avec une femme au bord d’un lac, et chante “Tout ira bien” d’une voix douce, raconte Étienne Dupuis. » Quelle est la morale de cette histoire ? « La question à la fin est : doit-il mourir ou non ? »

« Devenir quelqu’un d’autre, confie Étienne Dupuis, donner un certain sens aux mots en les mettant en musique et jouer de cette musique d’une certaine façon, c’est indépassable. J’aime jouer le rôle d’un vilain, d’un gars méchant, car c’est tellement éloigné de ce que je suis. »

[Traduction : Anne Stevens, Brigitte Objois]


Étienne Dupuis et invites, Lion d’Or, le 8 février
reservationem(à)radio-canada.ca
Dead Man Walking, les 9, 12, 14, 16 mars
operademontreal.com

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