Pleins feux sur Le Vaisseau fantôme Par Joseph So
/ 1 novembre 2012
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Puisque la saison 2012-13 coïncide avec le 200e anniversaire de naissance de Richard Wagner, ses opéras prennent d’assaut le programme de nombreuses compagnies d’opéra. L’Opéra de Montréal nous offre quatre représentations du Vaisseau fantôme. Selon les statistiques de 2007 à 2012, Le Vaisseau fantôme serait l’œuvre la plus populaire de Wagner avec 173 représentations partout à travers le monde, devançant La Valkyrie (153), L’Or du Rhin (145) et Tristan et Isolde (144). En 2012, 93 interprétations du Vaisseau fantôme sont prévues, la grande majorité en Europe.
L’OdeM est la seule institution nord-américaine à présenter cette œuvre, jouissant d’une distribution très impressionnante menée par l’incroyable baryton Thomas Gazhelidans le rôle du Hollandais. La soprano lyrique Maida Hundeling incarne Senta, le ténor Endrik Wottrich est Erik et la basse Reinhard Hagen chante Daland. Ces quatre chanteurs sont tous bien présents sur Youtube. Le ténor canadien Kurt Lehmann (le pilote) et la mezzo-soprano bulgaro-canadienne Emilia Boteva (Mary) complètent la distribution. La chef d’orchestre manitobaine Keri-Lynn Wilson sera aux commandes.
Créé à Dresde en 1843, Die fliegende Holländer est le premier véritable succès du compositeur, ses trois premières œuvres (Die Feen, Das Liebesverbot et Rienzi) n’ayant jamais pénétré le répertoire classique. Dans son autobiographie Mein Leben, Wagner a écrit que l’idée du Vaisseau fantôme lui est venue lors d’une traversée périlleuse de la mer Baltique de Riga à Londres en 1839. Les violents orages ont prolongé de deux semaines le voyage qui ne devait en durer qu’une. De plus, Wagner vivait une période particulièrement difficile. Croulant sous les dettes, Wagner fuyait Riga avec son épouse Minna pour éviter ses créanciers. Wagner s’est aussi inspiré d’Aus den Memoiren des Herrn von Schnabelewopski de Heinrich Heine. Dans ce récit, un capitaine est condamné à errer éternellement sur la mer, malédiction que seul l’amour d’une femme fidèle peut briser. Ce thème de la « rédemption par l’amour » revient fréquemment dans Tannhäuser et Lohengrin.
Contrairement aux premiers opéras de Wagner, Le Vaisseau fantôme comporte un langage harmonique nouveau qui rompt avec la tradition opératique italienne, sa forme et son style. Il marque la naissance de son propre style, unique, qui évoluera tout au long de sa carrière artistique. Wagner a précisé que Le Vaisseau fantôme doit être joué sans entracte. L’opéra dure en moyenne deux heures et demie, selon les tempos et les petites pauses nécessaires aux changements de décor. La durée est semblable à celle de L’Or du Rhin, du prologue et de l’acte 1 du Crépuscule des dieux ou de l’acte 3 des Maîtres chanteurs de Nuremberg. Cette durée est considérée comme le temps maximal pendant lequel un spectateur type peut rester assis avant que des besoins naturels se fassent sentir. Il n’y a pas si longtemps, Le Vaisseau fantôme était monté en trois actes coupés par deux entractes pour, en fait, accorder du repos aux chanteurs. Aujourd’hui, il est plutôt rare d’assister à une représentation du Vaisseau fantôme qui n’ait pas d’entractes.
Le Vaisseau fantôme, singulier mélange d’hyperromantisme et de surnaturel, est un opéra de choix pour le Regietheater. Parmi les productions les plus marquantes de 2012, il y a celle de Jonathan Kent à l’English National Opera dont toute l’action se passe dans les rêves de Senta. Cette approche a quelques fois été empruntée lors des saisons passées. La production de Jan Philip Gloger, radicale, fut présentée à Bayreuth avec la soprano canadienne Adrianne Pieczonka dans le rôle de Senta. L’action transportée dans le présent, Gloger monte le tout comme un commentaire social sur les excès de la société capitaliste contemporaine. L’opéra a reçu un accueil plutôt mauvais, comme c’est souvent le cas à Bayreuth, alors qu’il a été louangé pour sa musicalité. L’OdeM a choisi la production de 1996 de la Canadian Opera Company, mise en scène au départ par Christopher Alden et revisitée pour l’OdeM par Marilyn Gronsdal. Les clins d’œil au cinéma expressionniste allemand y sont nombreux. Le décor inhabituel consiste en une énorme boîte inclinée, magnifiéepar des effets de lumière à la fois atmosphériques et oppressifs qui rappellent la turbulence de la mer et le tourment des personnages. Le décor suggère que tous sont emprisonnés dans un cauchemar dont on ne peut s’échapper. Les costumes rayés de prisonnier du chœur et ses mouvements robotiques sont inquiétants. Sans trop vouloir en dire, la fin est complètement redéfinie. Elle a soulevé des remous lors de la première à la COC et continue de diviser les avis depuis. Le public montréalais la trouvera probablement provocante et à l’encontre des vues traditionnelles sur ce chef-d’œuvre wagnérien.
Traduction : Jérôme Côté
Discographie
Le Vaisseau fantôme est l’un des opéras de Wagner les plus enregistrés, avec plus de trente enregistrements commerciaux, privés, en studio et devant public. Malheureusement, quelques-uns ne sont plus produits, mais puisque nous vivons à l’ère d’Internet, il est possible de dénicher des albums usagés ou des fichiers audio de ces prestations. Parmi les premières productions, on retrouve Hans Hotter (1944, dirigé par Clemens Kraus) et Dietrich Fischer-Dieskau (1959, dirigé par Franz Konwitschny) qui tous deux ont laissé d’impressionnantes interprétations du Hollandais, flanqués par contre de Senta oubliables. Le Canadien George London a chanté un Hollandais senti, bien qu’il n’était plus à son meilleur. Sa Senta était l’incandescente Leonie Rysanek (1961 RCA). Philips a enregistré une présentation devant public du Vaisseau fantôme à Bayreuth en 1961 qui opposait le fin Hollandais de Franz Crass à la passionnante Senta d’une Anja Silja de 21 ans, bien que ce rôle ait été beaucoup trop gros pour elle. Dans l’enregistrement de 1961 de Solti, le baryton anglais Norman Bailey joue le Hollandais avec un son riche, mais un jeu théâtral mou. La production de 1981 avec Herbert von Karajan jouit de l’excellent Erik du regretté Peter Hofmann et du bon Hollandais de José van Dam. En 1985, à Bayreuth, fut enregistré un événement mémorable (offert sur CD et DVD) : la basse américaine Simon Estes incarne le Hollandais avec brio, entouré d’une superbe équipe formée de Lisbeth Baslev (Senta), de Robert Schunk (Erik) et de Matti Salminen (Daland). L’enregistrement en studio de 1994 chez Sony en est un autre qui fait bonne figure avec des artistes à leur meilleur tels James Morris (le Hollandais), Deborah Voigt (Senta) et Ben Heppner (Erik), sous la direction de James Levine. Enfin, il ne faut pas oublier la touchante et merveilleuse Senta de Hildegard Behrens dans un enregistrement en studio dirigé par Christoph von Dohnányi pour Decca. English Version... |
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