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La Scena Musicale - Vol. 18, No. 3 novembre 2012

Où est l’argent ? Les arts et la culture dans le budget fédéral

Par Philip Ehrensaft / 1 novembre 2012

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Où est l’argent ? Voilà la question qu’il faut se poser quand on analyse les politiques gouvernementales. En effet, l’argent budgété par l’État pour mener à bien les politiques annoncées est le meilleur indicateur de ce qu’il fait réellement, par opposition à ce qu’il affirme faire. Dans son ouvrage innovateur, The Politics of the Budgetary Process, publié en 1964, Aaron Wildavsky présente cette analyse froidement réaliste qui permet de mieux comprendre les dépenses gouvernementales.
Lorsqu’on applique ce critère aux dispositions prévues par le gouvernement fédéral canadien pour les arts et la culture dans son énorme budget 2012-2013 (projet de loi C-41), on peut avoir l’impression que le secteur des arts n’a généralement pas subi de réductions plus importantes que les autres secteurs.
Il faut pourtant nuancer ce tableau en examinant les détails. Certains organismes sont durement touchés : Bibliothèque et Archives Canada, Parcs Canada, l’Office national du film, Téléfilm Canada et, bien sûr, Radio-Canada/CBC. Le très utile Programme de statistiques culturelles, qui relevait de Statistique Canada, a été purement et simplement supprimé, de même que la subvention annuelle au principal groupe chargé d’analyser les budgets fédéraux en matière de financement des arts, la Conférence canadienne des arts, un organisme privé sans but lucratif.

Les répercussions
Tant le tableau d’ensemble que les détails du financement des arts par le gouvernement fédéral sont dépeints dans l’analyse annuelle de la CCA, Budget 2012 : Des répercussions plus graves que le choc initial.
Le montant total du budget fédéral 2012-2013 pour les arts et la culture est de trois milliards de dollars. L’année financière fédérale du Canada commence le 1er avril et se poursuit jusqu’au 31 mars de l’année suivante. En comparant ce budget à celui de 2011-2012, on constate que les réductions atteignent 196 millions de dollars. Une tranche de dix millions de dollars de ces réductions s’explique par le fait que le dernier paiement pour constituer le Musée canadien des droits de la personne a été fait en 2011-2012.
Restent donc des coupes de 186 millions de dollars, soit 6,1 %. Désagréable, certes, mais pas la fin du monde.
Toutefois, il existe deux autres coupes implicites qui ne sont pas incluses dans cette baisse de 6,1 %. La première est l’inflation. À cause des efforts déployés par le gouvernement pour réduire ses coûts, les budgets n’ont pas été indexés à l’inflation. Celle-ci est moins forte cette année que les dernières années : une estimation pour l’année budgétaire 2012-13 serait de 1,5 %, ce qui diminue la valeur réelle du budget des arts de 35 millions de dollars. Deuxièmement, la croissance démographique prévue du Canada, la plus importante parmi les pays développés, est de 0,78 %, ce qui signifie qu’il y aura environ 261 000 personnes de plus à desservir avec un budget en baisse.
Lorsqu’on tient compte de l’inflation et de la croissance démographique du Canada, la valeur réelle du budget culturel diminue d’environ 8,4 %. Embêtant, oui, mais toujours pas catastrophique.
Toutefois, si on envisage la situation budgétaire des arts comme un film se déroulant sur plusieurs années passées et futures, et non dans la perspective d’une seule année, la baisse des ressources fédérales consacrées à la culture semble encore plus marquée. Les compressions de cette année font suite à celles des années précédentes qui ont commencé avant que le gouvernement conservateur minoritaire prenne le pouvoir en 2008, et le budget 2012-13 laisse prévoir de nouvelles réductions à venir, vu l’objectif de réduire les budgets de tous les ministères et des organismes de 5 à 10 % d’ici 2014-15. Le résultat final en 2014-15 sera une baisse considérable de l’argent du fédéral versé aux arts et à la culture par rapport à 2011-2012.
Bien que les arts n’aient pas été coupés plus que les autres secteurs, le gouvernement Harper est moins enclin à promouvoir la culture canadienne que ses prédécesseurs conservateurs. Néanmoins, il ne semble pas vouloir faire trop de vagues. De nombreux électeurs conservateurs siègent aux conseils d’administration d’organismes artistiques ou soutiennent Les affaires pour les arts. Mieux vaut ne pas trop les offusquer.
N’oublions toutefois pas que beaucoup de gens d’affaires, partisans des conservateurs, disaient que les données socioéconomiques détaillées recueillies par le formulaire long du recensement de Statistique Canada étaient essentielles pour le marketing et la stratégie. Cela n’a pas empêché les conservateurs de le supprimer, ce qui est incompréhensible.

Des détails inquiétants
Voyons quelques détails exposés dans le tableau ci-dessous, qui montre les compressions budgétaires des ministères et des organismes culturels canadiens en 2012-13. Les budgets des ministères et organismes relèvent de trois catégories : la culture en général, les médias et les musées. Dans chaque catégorie, les budgets sont classés par taille. L’ampleur des compressions budgétaires peut être envisagée selon trois critères : importante ( % et plus), modérée (de 4 à 6,9 %) ou mineure (3,9 % ou moins).

Coupes budgétaires aux arts

Un seul organisme s’en tire à bon compte : le Musée canadien de la nature, avec une hausse de 13,6 %. En ce qui concerne les deux grands organismes qui représentent plus des deux tiers du budget fédéral des arts et de la culture, Patrimoine canadien dispose d’un budget de 1,26 milliard de dollars après une baisse modérée de 5,5 % et Radio-Canada/CBC, d’un budget de 1,05 milliard de dollars, après une importante compression de 6,7 %.
Des baisses importantes ont été imposées à Bibliothèque et Archives Canada (-7,7 %). En l’absence d’autres ressources, de nombreuses archives régionales de petite envergure dans le pays devront probablement fermer leurs portes, le prêt interbibliothèques de la Bibliothèque nationale sera éliminé et de graves compressions du personnel limiteront l’accès du public aux archives.
Les politiques culturelles actuelles du gouvernement conservateur mettent l’accent sur la sensibilisation à l’histoire canadienne. De nombreuses archives régionales se trouvent dans les circonscriptions de députés conservateurs. C’est tout aussi incompréhensible que l’élimination du formulaire long de recensement.
Les réductions aux autres ministères et organismes sont mineures, mais répétons qu’on parle ici d’une moyenne, qui englobe de fortes baisses pour certains programmes. Le vaste mandat de Patrimoine canadien comprend la catégorie de l’histoire et des musées, appelée Patrimoine, qui a subi une coupure draconienne de 7,9 %.
Pis encore, un élément important du budget, Services internes, qui concerne principalement les dépenses en ressources humaines, est réduit de 88 millions de dollars, soit 25,5 %. Il est vrai qu’une portion de 12 millions représente le transfert des budgets d’informatique à Services partagés Canada, entraînant peut-être des gains sur le plan de l’efficacité. Mais l’impact réel devient plus apparent si l’on pense que le personnel de Patrimoine Canada avait déjà été réduit de 500 postes avant l’année 2012-13. Il est prévu de couper 245 autres postes d’ici 2014-15.
De manière générale, cette forte baisse dans le court espace de quelques années financières n’est pas susceptible d’entraîner de prétendues économies. Le résultat le plus probable sera une diminution du niveau et de la qualité des services à la fois aux clients du monde des arts et de la culture, et au public en général.
Nouvelle plus réjouissante, le Conseil des arts bénéficie d’une hausse de deux millions de dollars de son budget qui avait déjà été augmenté, afin de soutenir les tournées internationales et représentations. C’est à peine suffisant pour compenser la suppression, en 2008, des programmes RouteCommerce et PromArt, qui ont soutenu les voyages d’artistes canadiens à l’étranger, mais c’est un bon début.            

Traduction : Anne Stevens


Le couperet tombe sur la Conférence canadienne des arts
Le plus malheureux de l’affaire, c’est la compression subie par la Conférence canadienne des arts, la principale source d’analyses des politiques et budgets d’Ottawa pour les arts, et un organisme capable de regrouper les objectifs des multiples groupes artistiques dans les nombreuses régions de notre vaste pays. Après avoir reçu pendant 36 ans des subventions fédérales méritées pour la grande qualité de son travail, la CCA a vu ses fonds disparaître brutalement.
Cela fait partie intégrante de la nouvelle approche des conservateurs par rapport à la politique budgétaire : aucun organisme, aussi établi et efficace soit-il, ne doit présumer qu’il a droit à des subventions continues.
Avouons toutefois que les conservateurs n’ont jamais fait mystère de leur position : il n’incombe pas au gouvernement de financer le lobbying pour les arts.
Il semble injuste de couper aussi brutalement les vivres à un organisme national qui fonctionne bien. La CCA avait demandé à recevoir du financement sur une période réaliste de deux ans pour créer et mettre en œuvre un plan d’affaires viable lui permettant de survivre avec des fonds privés. Il a finalement reçu six mois, ce qui n’est pas un délai raisonnable pour restructurer une organisation dont les objectifs nécessitent un budget de fonctionnement d’environ 750 000 $.
De telles coupes ne sont pas vraiment typiques d’un gouvernement conservateur. Pour citer un exemple, le gouvernement conservateur de l’Allemagne collabore avec la plus vénérable de toutes les organisations artistiques nationales, le Deutscher Bühnenbund. Fondé en 1846, cet organisme représente 430 théâtres et ensembles de la scène. Autre exemple : entre 2001 et 2009, sous l’égide des néoconservateurs, l’organisme Americans for the Arts, l’équivalent américain de la CCA, était un lobbyiste important qui a reçu un financement fédéral.
Si la CCA n’est plus là pour analyser les impacts du budget 2013-14 sur les arts, je ne connais aucun autre organisme capable de maîtriser les subtilités et politiques de l’énorme budget fédéral et ayant le doigt sur le pouls de tous les arts dans le pays. Si vous n’êtes pas encore membre de la CCA, en tant que membre d’un groupe artistique, artiste individuel ou amateur, c’est le moment ou jamais de le devenir.

www.ccarts.ca/fr

DERNIÈRE HEURE : La CCA a annoncé le 30 octobre qu'elle fermait ses portes immédiatement. La CCA maintient cependant son statut comme organisme à but non lucratif, ce qui signifie qu'elle pourrait être un jour être relancée dans un climat économique plus favorable.


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