Au rayon du disque Par Marc Chénard et Annie Landreville
/ 1 juin 2012
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Renaud Garcia-Fons –
Solo The Marcevol Concert
Enja ENJ-9581 2 (www.enjarecords.de)
Coffret compact et DVD, cet enregistrement solo est d’une très grande beauté. Renaud Garcia-Fons réussit le tour de force d’être à la fois festif et plein d’intériorité. Il en arrive aussi à nous faire perdre tous nos repères tellement il explore différentes palettes sonores avec son instrument, comme dans Kalimbas où il glissse une feuille de papier entre les cordes. Bien sûr, les références à l’Espagne, l’Andalousie et les rythmes arabisants sont tous là, mais le contrebassiste nous convie à plusieurs voyages, entre autres au Far West (Far Ballad) ou en Irlande (Pilgrim) – ici par un reel sautillant et époustouflant –, quitte à utiliser quelques effets électroniques. Qu’il joue à l’archet ou qu’il traite sa contrebasse comme une guitare, un violon ou un instrument de percussion, les sons nous happent et nous étonnent. Et si Renaud Garcia-Fons le surdoué épate par sa vélocité et sa précision, il n’oublie pas d’équilibrer le tout avec un lyrisme enveloppant et des mélodies riches. À écouter avant de regarder le DVD, qui vous permettra quand même de saisir pleinement toute la grâce du musicien et d’admirer la beauté des lieux. AL
» En concert : 7 juillet (FIJM)
Colin Vallon trio : Rruga
ECM 2185 B0015433-02 (www.ecmrecords.com)
« Rruga » est le mot albanais pour dire route. Sur cette route que nous fait prendre le pianiste Colin Vallon, on croise tout autant l’influence d’un Jan Garbarek, l’un des premiers à intégrer le folklore nordique dans le jazz, que le lyrisme de Keith Jarrett, deux musiciens qui ont participé à la création de ce qu’on appelle aujourd’hui le « son ECM ». Le pianiste helvète Colin Vallon, né en en 1980, ne peut renier cet héritage, mais il faut aussi préciser que son jeu est également contemporain. Vallon est moderne comme Brad Meldhau, dont on sent l’influence dans cet enregistrement, le troisième de son groupe et le premier sur le label allemand. Compositeur aussi, le pianiste a donné l’occasion à ses deux comparses de présenter leurs morceaux. Inspirés par les folklores du Caucase, de la Turquie et de la Bulgarie, les musiciens nous proposent des mélodies très expressives, souvent déchirantes, parfois sensuelles, et pourquoi pas, tout cela en même temps. L’inventivité du batteur Samuel Rohrer est particulièrement intéressante. Ça gronde, ça frotte et ça vibre. À la contrebasse, même constat : Patrice Moret est très habile, même à l’archet. Les trois savent créer des ambiances, des climats qui nous racontent une histoire. Par exemple, la pièce Eyjafjallajökul, nommée d’après la montagne islandaise qui fit irruption en 2010, se déploie sur une montée de tension graduelle. Voici donc un vrai disque de groupe où, sous le calme apparent, parfois méditatif, gronde un volcan qui nourrit ces forces tranquilles... AL
» En concert : Vancouver, 1er juillet, Montréal, 4, Québec 5.
Médéric Collignon – Jus de Bocse :
Shangri-Tunkashi-La
Plus loin music PL4522 www.plusloin.net
Contrairement au calme imposé par le disque de Colin Vallon, le Shangri-Tunkashi-La du cornettiste Médéric Collignon est tout sauf reposant. Rien de moins, ce musicien français, appuyé des trois compères de son ensemble Jus de Bocse, aborde de plein front le répertoire de Miles Davis de sa période électrique des années 1960 et 1970. On y entend entre autres Bitches Brew, Ife (magnifique !), Mademoiselle Mabry, Interlude, et on termine le voyage avec une reprise de Kashmir, de Led Zeppelin, moment un peu faible de cet album à la fois lourd, festif, puissant et jubilatoire. Enregistré en 2009, dans la foulée du « Victoire de la musique » remporté pour cet autre projet du groupe consacré à l’album Porgy and Bess de Miles Davis, ce second disque est aussi électrique qu’il est énergique. Médéric Collignon en impose. Doté d’une forte personnalité, il possède sans aucun doute la rigueur, l’audace et les possibilités techniques pour s’attaquer à ce répertoire casse-cou. Ce n’est pas pour rien que ce répertoire n’est pas le plus revisité du maître : on peut y tomber rapidement dans la caricature d’une époque ou dans une pâle imitation. Après avoir été soufflée par la première écoute, difficile pour moi de ne pas se faire prendre au jeu des comparaisons. On reste fidèle aux mélodies, aux riffs, aux accords, aux constructions, à l’esprit d’un son... Mais il n’y a ni guitare, ni saxophone : cornet, Fender Rhodes, basse, batterie et (sur quelques plages)… quatre cors. En un mot : wow ! AL
» En concert : Edmonton, 23 juin; Vancouver, 24; Victoria, 26; Saskatoon, 27; Ottawa, 28; Montréal, 5; Québec, 6; Halifax, 7.
Han Bennink / Brodie West /Terrie Ex : Let’s Go.
Terp Records LP16 As
Voici l’inénarrable batteur plongé dans l’élément qu’il aime le plus : un trio qui se lance à corps perdu dans l’improvisation totale. Dans ce disque, publié en vinyle en 2010, mais disponible en CD pour la tournée canadienne des festivals de cet été, le batteur se mesure au bassiste électrique Terrie Ex et le saxo alto torontois Brodie West. Cet enregistrement ne compte que deux plages d’un peu moins de 20 minutes chacune (donc une par face). Les musiciens se laissent aller comme bon leur semble, avec tous les excès et accidents de parcours qui peuvent survenir. Musique brute en quelque sorte, c’est le genre d’expérience qui prend tout son sens sur scène, d’autant plus que M. Bennink ne peut être vraiment apprécié à sa juste mesure que par sa prestance gaillarde. Sur un enregistrement sonore, en revanche, toute cette dimension scénique est absente et la musique en souffre un peu, d’où l’impression d’un manque de dessein et d’une inévitable part de gratuité. Mais pour avoir vu ce musicien à de multiples reprises, et dans des contextes dira-t-on plus engageants que celui-ci, il n’en demeure pas moins que ce trio vaut le déplacement. (Pour les mélomanes, on peut recommander aussi Two for Two sur label Intakt, un duo du batteur avec la pianiste Aki Takase.) MC
» En concert : Montréal (Suoni per il Popolo), 20 juin; Toronto, 22; Calgary, 23; Vancouver, 24.
François Houle 5 + 1 : Genera
Songlines SGL 1595 www.songlines.com
Après plusieurs disques consacrés à des musiques plus intimistes, autant savantes qu’improvisées, le clarinettiste François Houle marque ici un retour sur un sentier résolument plus jazz. Dans cette toute nouvelle offrande, il s’entoure de deux autres Canadiens, Michael Bates (cb.) et Harris Eisenstadt (btr.) – tous deux installés à New York –, de l’Américain Taylor Ho Bynum (cornet), du Suisse Samuel Blaser (trb.) et sur plusieurs plages (soit dix au total) de Benoît Delbecq (pno). Signant toutes les compositions et les arrangements, l’ex-Montréalais et résidant de Vancouver offre un bel exemple de ce que l’on pourrait appeler un jazz de pointe : sur un versant, on y trouve des plages rythmiquement propulsives, comme Guanara (excursion de plus de 12 minutes qui laisse une large place aux solistes) et, sur l’autre versant, les deux variantes du Concombre de Chicoutimi (plages 1 et 3), toutes deux très recueillies et dont les arrangements misent sur des notes tenues. Dans l’ensemble, il s’agit d’un bel effort collectif, les vents jouant avec grand aplomb (on apprécie surtout le son volumineux du tromboniste, certes un nom à découvrir pour les amateurs). Toujours irréprochable sur sa clarinette, Houle nous montre ici qu’il sait aussi écrire avec intelligence et imagination, nous révélant une autre dimension de son talent considérable. Si la musique d’ici vous intéresse maintenant, voici une belle pièce à conviction. MC
» En concert : Toronto, 25 juin; Ottawa, 26; Edmonton, 28; Calgary, 29; Vancouver, 1er juillet; Montréal (Casa del Popolo, 3; Québec (Largo), 4; St. John’s (T.-N.), 6.
Ambrose Akinmusire : When the Heart Emerges Glistening
Blue Note 70619 2 9 www.bluenoterecords.com
Par expérience, les amateurs se méfient quelque peu des nouveaux artistes engagés par les majors, ces entreprises étant motivées par un dessein financier plutôt qu’artistique. Bien que l’expérience semble confirmer cette tendance, il arrive de temps en temps qu’un réel talent soit mis de l’avant, lequel mérite une plus grande attention publique. Tel semble être le cas du trompettiste Ambrose Akinmusire qui, dans sa première production chez Blue Note, livre une carte de visite des plus convaincantes. Entouré de quatre autres comparses dans la formule classique du quintette hard bop, le trompettiste offre pourtant une musique qui ne se cantonne pas dans les poncifs habituels du genre. Au fil des 11 plages de ce recueil de quelque 55 minutes, il n’offre qu’un seul standard, What’s New, rendu en toute sobriété avec son pianiste Gerald Clayton, les autres titres étant de sa plume, dont Aynah, fragmenté en trois variantes dans le programme. Ce qu’il faut apprécier ici, c’est la capacité du musicien de faire évoluer les pièces : à plus d’une occasion, la musique commence doucement, à la manière d’une ballade, mais gagne en intensité en cours de route, sans jamais laisser pressentir son développement au préalable. Sur ses accompagnateurs, on n’en a rien à redire, mais Akinmusire se détache du lot en tant que soliste et se permet même par endroits des excursions dans des techniques dites étendues. Un musicien à découvrir cet été. MC
» En concert : Montréal (FIJM), 4 juillet
Darius Jones Quartet : BOOK OF MÆ’BUL (Another Kind of Sunrise)
Aum Fidelity AUM072 www.aumfidelity.com
Saxophoniste alto appartenant à la mouvance du post-free jazz new-yorkais, Darius Jones signe ici ce que l’on qualifie dans le feuillet publicitaire de « troisième verset de son épopée Man’ish Boy ». Quant au titre de cet enregistrement, Mæ’bul, il s’agit, selon le saxo, de la personnification de chaque femme avec laquelle il a été lié dans sa vie… Un beau programme, quoi. Par-delà toutes les implications spiritualistes défendues par le musicien, il s’agit d’un album dans l’ensemble assez standard, avec beaucoup de lyrisme et de tempos lents, même si la dernière des huit plages au titre singulier (Roosevelt) se dissout peu à peu, se terminant dans un chuchotement presque bruitiste, comme une braise qui s’éteint graduellement. Par sa sonorité somme toute acidulée, Jones se situe clairement dans la lignée de l’un des héritiers du grand oiseau parkérien, Jackie McLean, reconnu pour son jeu viscéral et un timbre généralement criard. Jones fait ses débuts à Montréal ce mois-ci avec son groupe constitué du pianiste Matt Mtichell, du bassiste Trevor Dunn et du batteur Ches Smith. MC
» En concert : Montréal (Suoni per il Popolo), 10 juin.
Angelika Niescier : Sublim III
Enja ENJ-9533 2 www.enjarecords.com
Polonaise d’origine, mais vivant en Allemagne depuis les années 1980, la saxophoniste alto (et occasionnellement au soprano courbé) Angelika Niescier est une jazzwoman particulièrement en vue dans son pays adoptif. Ces dernières années, elle a été récipiendaire de plusieurs prix et s’est rendue même à New York en 2010 pour graver un disque en trio avec deux musiciens de la Grosse Pomme, le bassiste Thomas Morgan et le redoutable batteur Tyshawm Sorey (Quite Simply Enja 9574 HHHHII).
Ce mois-ci, elle effectue son premier périple canadien avec son Quartet Sublim. Troisième opus de son ensemble, ce disque de 2009 nous révèle une musicienne qui a de la technique à revendre, mais des idées à l’appui. Outre ses rythmiciens, Florian Weber (pno), Sebastien Räther (cb.) et Christophe Hillmann (btr.), elle a aussi recours aux services du joueur d’oud Mehdi Haddad sur deux plages (Oud Suite), celles-ci apportant bien sûr une couleur du Moyen-Orient dans un disque de jazz très contemporain. La saxophoniste, pour sa part, peut jouer avec autant d’aplomb dans un mode lyrique (Bill, Sirrr) que dans de belles envolées (Stückchen aus Geiz ou Thronk, cette dernière dédiée à Monk, mais qui ne sonne nullement comme un pastiche). En 65 minutes, elle propose six de ses compositions, les livrant avec conviction. En se basant sur ses parutions récentes, elle pourrait bien compter parmi les découvertes festivalières cet été au pays. MC
» En concert : Ottawa, 27 juin; Toronto, 28; Vancouver, 29. English Version... |
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