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La Scena Musicale - Vol. 17, No. 8

Pleins feux sur Faust

Par Joseph So / 1 mai 2012

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La quintessence des grands opéras, le Faust de Gounod a profité d’une très grande popularité au 19e siècle et à la première moitié du 20e siècle. C’est l’opéra qui fut joué à l’inauguration du Metropolitan Opera en 1883. Faust est aujourd’hui le huitième opéra le plus joué au Met, comptant près de 750 représentations depuis son ouverture jusqu’à la saison de 2008. Un coup d’œil sur www.operadatabase.com nous apprend qu’entre 2005 et 2010, Faust a été joué 111 fois, ce qui lui vaut une 35e place dans le classement des opéras les plus populaires. Il ne rivalise peut-être pas avec La Flûte enchantée (451), La Traviata (447) ni Carmen (424), mais Faust dépasse quelques grands noms tels Die Walküre (110), Der Rosenkavalier (104), Norma (102), Tristan (102) et Don Carlos (99).

La popularité de Faust s’explique facilement. Cet opéra comprend l’une des plus glorieuses musiques jamais composées pour la scène lyrique. Qui peut résister à l’élégant Salut, demeure chaste et pure, ou le pétillant Air des bijoux de Marguerite? L’acte du jardin, avec ses mélodies parfumées, est un sommet du romantisme. Le dénouement augmente la crainte de Dieu dans le cœur des plus croyants. Cela étant dit, il faut souligner que Faust n’a pas autant la cote aujourd’hui, jugé «vieux jeu» par les critiques. Peut-être l’argument très religieux est-il responsable du déclin de cet opéra, étant donné que la sexualité est moins controversée en ce 21e siècle. Quoi qu’il en soit, avec des voix douées, un bon orchestre et un metteur en scène audacieux, Faust demeure une soirée captivante à l’opéra. La nouvelle production de l’Opéra de Montréal promet, avec une distribution grandiose dont font partie la merveilleuse soprano Mary Dunleavy (Marguerite) et la jeune basse Alexander Vinogradov (Méphistophélès). N’oublions pas le magnifique timbre lyrique et la saisissante présence sur scène du baryton canadien Étienne Dupuis, parfait pour le rôle de Valentin.

Le public montréalais aura en prime un père et son fils sur scène. Tous deux ténors, Guy et Antoine Bélanger joueront le vieux et le jeune Faust. Bien sûr, les chanteurs père-fils ne sont pas rares dans le monde de l’opéra. Au Canada seulement, nous avons Raoul et André Jobin, André et Richard Turp, Louis et Gino Quilico et Victor et Russell Braun. Quelques-uns ont même partagé ensemble la scène, comme dans une production de Don Giovanni de la Canadian Opera Company en 1988 où Gino Quilico était Don Giovanni et son père Louis, Leporello. Il y a dix ans, quand j’avais interviewé le baryton Russell Braun pour un article paru dans La Scena Musicale, il a mentionné avoir chanté un bon nombre de fois avec son père, Victor Braun : «J’ai chanté Pelléas avec papa à Salzbourg et lui, mon frère Golaud. C’était une période intense et constructive de nos vies. Mon fils Benjamin venait de naître, alors cet événement l’a marqué comme grand-père!» Ils ont aussi chanté ensemble dans Ariadne auf Naxos à Chicago en 1998, où Victor était le Musiklehrer et Russell incarnait Harlekin. À Montréal, ce sera une première opératique que de voir un père et son fils jouer le même rôle sur la même scène, le même soir. Le philosophe âgé (Guy Bélanger) fait son apparition au début de l’opéra et se lamente à propos de sa jeunesse perdue (Rien! En vain j’interroge). Il maudit Dieu et veut se donner la mort, mais Méphistophélès se montre et lui rappelle Marguerite pour le tenter de vendre son âme. Faust boit la potion et se transforme en un beau jeune homme (Antoine Bélanger). Un tel duo père-fils ajoutera une touche de vraisemblance dramatique au bonheur du public montréalais.

Ce ne sont pas seulement les mélodies qui font la renommée de Faust, mais aussi sa longueur. La version intégrale implique une longue soirée à l’opéra. Auparavant, on procédait à quelques coupures judicieuses, souvent le ballet ou la nuit de Walpurgis. Le deuxième air de Siébel est aussi parfois supprimé. Cet opéra représente un défi redoutable pour les rôles principaux. Faust est certainement l’un des rôles les plus exigeants (et des plus gratifiants) pour ténor de tout le répertoire opératique. Il requiert un timbre doux, un phrasé élégant, une spectaculaire présence sur scène, un légato solide, de longues phrases soutenues et une grande étendue vocale qui permet un contre do pianissimo. Une Marguerite idéale possède un soprano lyrique pur et expressif pour l’Air des bijoux et l’acte du jardin et doit garder assez de puissance pour le dénouement dramatique. Méphistophélès est l’un des plus grands rôles pour basse, tout comme Boris Godounov, Filippo de Don Carlo et les incarnations du mauvais génie des Contes d’Hoffman. Le rôle de Valentin, bien que petit, est un cadeau de Gounod pour les barytons lyriques: un bon Valentin ne manque jamais de faire forte impression avec Avant de quitter ces lieux.

La discographie de Faust est extrêmement riche, même si on l’enregistre de moins en moins depuis quelques années. Des basses telles que Marcel Journet, Boris Christoff, Cesare Siepi, Nicolai Ghiaurov, Ezio Pinza, Samuel Ramey et, plus récemment Bryn Terfel, ont laissé de remarquables interprétations de Méphistophélès. Parmi les plus éminents Faust figurent Jussi Björling, Giuseppe di Stefano, Nicolai Gedda, Francisco Araiza et nos contemporains Roberto Alagna, Rolando Villazón et Jonas Kaufmann. On a acclamé la Marguerite de Victoria de los Angeles, de Joan Sutherland, de Mirella Freni et de Kiri Te Kanawa. Soile Isokoski et Angela Gheorghiu sont tout aussi remarquables. L’enregistrement que je recommande est une production de 1953 d’EMI où André Cluytens dirige Christoff, Gedda et de los Angeles. Mon deuxième choix est l’enregistrement captivant, quoique peu idiomatique, de 1966 de Bonynge chez Decca mettant en vedette Sutherland, Corelli et Ghiaurov. Le meilleur choix vidéo est une prestation au Covent Garden en 2004 avec Antonio Pappano dirigeant Alagna, Gheorghiu, Keenlyside et en particulier le Méphisto extraordinaire de Bryn Terfel.

Traduction: Jérôme Côté


Faust de Gounod: 19, 22, 24 et 26 mai
www.operademontreal.com


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