Le parcours musical de Yannick Nézet-Séguin Par Wah Keung Chan
/ 1 décembre 2011
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Yannick Nézet-Séguin a déjà atteint
les sommets. D’abord, il a été récemment le plus jeune récipiendaire
de la plus haute distinction québécoise décernée à un artiste,
soit le Prix du Québec Denise-Pelletier, généralement destiné à
couronner l’ensemble d’une carrière, même si le chef de 36 ans
dit que « J’ai encore l’impression d’être au début de mon parcours
musical ». Mais le réel succès d’un artiste se mesure aussi à
son rayonnement à l’étranger. Or voici que le 10 décembre prochain,
Nézet-Séguin se lancera dans un double programme, du genre qu’on
réserve normalement à un Gergiev ou à un Maazel : en après-midi,
il dirigera Faust de Gounod au Metropolitan, dans une captation
dont pourront profiter des millions d’auditeurs à la radio ou dans
un cinéma HD; il sera ensuite immédiatement conduit en voiture à
Philadelphie pour y diriger la 2e Symphonie
de Tchaïkovski en soirée.
L’Orchestre de Philadelphie—dont
la situation financière est précaire—a fait l’objet de critiques
dithyrambiques depuis que Nézet-Séguin est à la barre. Moins d’un
an avant d’obtenir officiellement accepté la direction musicale,
ce dernier est rempli d’optimisme. « L’énergie ambiante est vraiment
formidable, dit le jeune maestro. J’ai confiance que d’ici quelques
mois, ces ennuis financiers seront derrière nous. » Par surcroît,
le lieu de résidence de l’orchestre, le centre Kimmel (une salle
Artec), vient de subir une cure de rajeunissement : il en résulte une
amélioration sensible de la façon dont les musiciens peuvent s’entendre
sur scène.
Et pourtant, rien ne semble égaler
la Maison symphonique de Montréal (une autre salle Artec) aux oreilles
de Nézet-Séguin. En octobre, il a dirigé son Orchestre Métropolitain
dans deux programmes différents dans la nouvelle salle de concert de
Montréal et il ne cesse d’en vanter les mérites. « J’ai été
dans plusieurs salles Artec récemment, et j’ai l’impression que
celle-ci est tout à fait particulière. C’est un tel plaisir de jouer
sur scène ! De plus, je me suis souvent promené dans l’enceinte
pendant les répétitions, pour écouter ou demander de légers changements
», déclare Nézet-Séguin. D’après lui, une fois que certains ajustements
auront été faits dans la salle, d’ici quelques années, ce sera
l’une des meilleures en Amérique du Nord.
Mais comment expliquer ce phénomène
? « C’est très rare qu’on puisse dire que les musiciens entendent
aussi bien tant leur propre jeu que celui des autres. Ils n’ont pas
besoin de compenser le manque de clarté sur scène. C’est vraiment
unique. Même dans les salles aussi spéciales que celles d’Amsterdam
et de Vienne, ce n’est pas si facile. Ce sont des salles merveilleuses
en soi parce qu’elles génèrent un son magnifique, mais elles sont
aussi un peu capricieuces. La salle Walt Disney passe pour être très
réussie, mais à mon avis, le son y est un peu trop clair, presque
froid. À Montréal, j’ai la sensation que le son a toujours une certaine
résonance et que l’acoustique est vivante, des qualités que je recherche
dans une salle.
« Dans la Maison symphonique, nous
espérons établir le contact avec l’auditoire en fournissant beaucoup
moins d’effort que dans la salle Wilfrid-Pelletier. Il nous faut apprendre
à bien réaliser les pianos et les pianissimos. La qualité du son
y est pour beaucoup, car il faut jouer doux sans perdre de vue que la
salle ne souffre pas un son anémique ou sans éclat. C’est dire que
chaque musicien doit apprivoiser les lieux à sa façon. À la deuxième
répétition, tous les musiciens disaient que s’ils jouaient plus
ou moins faux, ils l’entendaient tellement qu’ils se sentaient intimidés
dans leur jeu. D’une certaine façon, c’est une bonne chose, mais
à la condition qu’on ne se retrouve pas avec un son plus mince; aussi,
j’ai dû encourager les musiciens à en donner un peu plus. »
Ces deux concerts d’octobre ont
révélé un Nézet-Séguin et son Orchestre Métropolitain en parfaite
harmonie. La Symphonie alpestre de Strauss s’est revêtue d’une
sonorité orchestrale somptueuse, presque à l’égal de celle du nouvel
enregistrement de la Quatrième symphonie de Bruckner dirigée
par Nézet-Séguin sur ATMA. Quel est le secret ? « Rien ne remplace
le temps, poursuit-il. Il y a encore bien des occasions où j’arrive
devant mes musiciens de l’OM, et ils savent déjà ce que j’attends
d’eux. J’ai cheminé personnellement avec le groupe et c’est réjouissant
de voir combien une relation de partenariat se bonifie avec le temps.
»
Il peut sembler étonnant qu’un
jeune chef comme Nézet-Séguin excelle dans les œuvres colossales
de Mahler et de Bruckner. « Je me demande parfois pourquoi je me sens
si fortement attiré par ces œuvres qui sont l’expression même de
la maturité, que ce soit d’une vie ou d’une société. Pourquoi
est-ce que je m’y sens à l’aise ? En fait, j’étais attiré par
la 2e de Mahler et la 9e de Bruckner et j’ai
décidé d’aller vers mes désirs. Dans l’espoir de rendre justice
à ces œuvres un jour, j’ai cru que ce serait une bonne idée de
m’y attaquer tout de suite avec la fraîcheur de mes 20 ans. Zubin
Mehta a fait la même chose. Ma façon de les aborder il y a 10 ans diffère
de celle que j’adopterais aujourd’hui et, je l’espère, dans 20 ans.
»
Yannick-Nézet Séguin dirige l’Orchestre
Métropolitain dans l’Oratorio de Noël de Bach : le 11, 16,
17, 18 et 21 décembre. www.orchestremetropolitain.com
Traduction : Hélène Panneton
Nézet-Séguin et
l’Oratorio de Noël de Bach |
« Je crois que
l’Oratorio de Noël est fait d’un mélange de musique teintée
davantage de folklore que de spiritualité. Le chœur d’ouverture
à l’unisson, où éclate la joie de tous les peuples, relève presque
de l’effet facile dans le langage de Bach. Toutefois, on trouve par
la suite un grand nombre de numéros dans lesquels les solistes doivent
créer une atmosphère d’intimité absolue : je pense à plusieurs
arias pour la mezzo, par exemple. Quant à la 4e cantate,
elle comporte deux de mes airs préférés. D’abord une aria pour
la voix de soprano à laquelle répond le hautbois en écho. C’est
une façon si simple d’exprimer la musique, et pourtant si efficace
! Ensuite, j’aime beaucoup l’air du ténor accompagné de deux violons.
Dans l’Oratorio de Noël, en raison des contrastes vraiment
marqués entre les moments d’intimité et les grands chœurs soutenus
par les trompettes, on est traversé par des émotions beaucoup plus
variées que dans Le Messie
[de Haendel]. Une fois qu’on a pénétré dans l’univers de Bach,
je crois qu’on peut éprouver avec lui toute la gamme des émotions
humaines. » |
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