Pleins feux sur Il Trovatore Par Joseph So
/ 1 décembre 2011
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Populaire, alimentaire, démesuré
– voilà trois qualificatifs souvent entendus pour décrire Il
Trovatore de Verdi. Les Frères Marx s’en sont donné à cœur
joie avec cet opéra des plus parodiés dans Une nuit à l’opéra,
et Gilbert et Sullivan aussi dans The Pirates of Penzance.
Il Trovatore est l’une des trois œuvres de la « trilogie populaire
» de la période médiane de Verdi, les deux autres étant Rigoletto
et La Traviata. Selon les chiffres de présentation mondiaux
relevés entre 2005 et 2010, Il Trovatore se classe au cinquième
rang des opéras les plus populaires parmi les 29 opéras de Verdi.
Ce dernier figure aussi à la tête des compositeurs d’opéra les
plus joués avec un total de 2259 représentations, écrasant ainsi
Mozart, Puccini et Wagner, selon operabase.com.
Les détracteurs d’Il Trovatore
aiment à se moquer de son intrigue outrageusement improbable, de son
orchestration très « oum-pa-pa », de ses rôles principaux qui déclament
et de ses personnages unidimensionnels. En effet, Il Trovatore
a tout et son contraire : un triangle amoureux, une erreur d’identité,
un enlèvement, l’obéissance filiale, la revanche, le meurtre, le
poison, le suicide, l’exécution au bûcher, la décapitation –
bon, vous saisissez !
Alors pourquoi Il Trovatore
est-il si populaire ? Pour commencer, cette œuvre a quelques-unes des
mélodies les plus entraînantes de tout le répertoire opératique.
Qui peut résister à l’excitant chœur de Vedi, le fosche notturne
ou rester de glace devant le contre-ut qui couronne le Di quella
pira de Manrico ? Il Trovatore est avant tout un opéra où
tout repose sur quatre chanteurs qui doivent jouer avec brio. Il faut
que Leonora ait un lirico-spinto magnifique et flexible et un
pianissimo aigu impeccable. Les mélomanes attendent de Manrico qu’il
ait dans Di quella pira un do aigu résonant, peu importe que
Verdi l’ait écrit ou non ! Quand Riccardo Muti avait empêché le
regretté ténor sicilien Salvatore Licitra de chanter ce do à La Scala,
le pauvre s’est presque fait sortir de la scène par les huées des
loggionisti. En tant que méchant, le baryton (Di Luna) devrait
avoir le son ample, costaud et menaçant d’un baryton Verdi. Et pour
qu’une Azucena soit mémorable, elle doit fracasser la scène avec
Strida la vampa.
L’Opéra de Montréal a distribué
les rôles principaux à des chanteurs brillants. La soprano japonaise
Hiromi Omura, qui a magnifiquement interprété Madame Butterfly et
Amelia au cours des saisons dernières, nous revient en tant que Leonora.
Elle fait équipe avec le ténor australien Julian Gavin dont le son
spinto très italien convient parfaitement au rôle de Manrico.
Ça promet !
Discographie d’Il Trovatore
Cet opéra célèbre de Verdi est bien représenté sur disque avec
près de trente productions audio et dix enregistrements vidéo. Sans
vouloir discréditer nos chanteurs contemporains, l’âge d’or d’Il
Trovatore se situe entre 1950 et 1980. L’enregistrement RCA légendaire
de 1952, avec les fabuleux Jussi Björling (Manrico), Zinka Milanov
(Leonora), Leonard Warren (Di Luna) et Fedora Barbieri (Azucena), demeure,
même après 60 ans, un premier choix malgré le son qui a mal vieilli.
Leontyne Price, probablement la meilleure Leonora de tous les temps,
chante dans quatre enregistrements différents ! Impossible de faire
mieux qu’avec son enregistrement studio de 1959 chez RCA avec Richard
Tucker, Rosalind Elias et Leonard Warren ou son enregistrement devant
public de 1962 à Salzbourg où elle chanta avec Franco Corelli, Giulietta
Simionato et Ettore Bastianini sous la direction de Karajan. Ceux qui
trouvent que le non italien Björling chante trop poliment préféreront
peut-être Corelli. Le deuxième enregistrement de Price chez RCA en
1969 avec un jeune Sherrill Milnes et un Placido Domingo encore plus
jeune est tout aussi gagnant. Domingo l’a enregistré deux autres
fois (en 1984 avec Rosalind Plowright chez DG et en 1991 avec Aprile
Millo chez Sony), mais sa première interprétation reste la meilleure.
Pavarotti a très bien incarné Manrico chez Decca en 1976 sous la direction
de Richard Bonynge, et le reste de la distribution (Sutherland, Horne,
Wixell, Ghiaurov) chante bien, sinon que l’italien est parfois approximatif.
José Carreras s’est imprudemment mesuré à Manrico, rôle trop lourd
pour un ténor lyrique comme lui, dans une production de Philips en
1980 avec Sir Colin Davis. La Leonora de cette version, Katia Ricciarelli,
n’est guère plus convaincante. Les productions audio les plus récentes
sont celles de Bocelli et Villaroel chez Decca (2004), de Licitra et
Frittoli chez Sony (2000) et d’Alagna et Gheorghiu chez EMI (2001).
Malheureusement, aucune ne surpasse la prestation championne du catalogue.
En revanche, aucune version vidéo
ne se démarque vraiment, chacune ayant ses forces et ses faiblesses.
Les admirateurs de Domingo aimeront la prestation de 1978 à l’Opéra
d’État de Vienne dirigé par Karajan, chez TDK. Raina Kabaivanska
(Leonora) est adorable, mais manque un peu de puissance. Pavarotti et
Dolora Zajick sont tous deux merveilleux dans la production de 1988
au Met chez DG, mais Sherrill Milnes, qui n’est plus à son meilleur,
et le soprano capricieux ainsi que le manque d’aigus pianissimo d’Eva
Marton constituent de sérieux bémols. La production de 1983 à l’Opéra
de Sydney dirigée par Richard Bonynge n’est réservée qu’aux admirateurs
de Dame Joan. La prestation de 1985 à Vérone présente un bon Giorgio
Zancanaro (Di Luna), mais Franco Bonisolli et Rosalind Plowright sont
peu impressionnants. Quant aux vidéos les plus récentes, elles sont
aussi d’un intérêt variable. La production de 2002 au Covent Garden
profite d’un Di Luna spectaculaire de Dmitri Hvorostovsky, et Carlo
Rizzi dirige bien l’orchestre, mais José Cura est inégal. Si vous
mourez d’envie de voir Manrico trimbaler une mitrailleuse et de voir
l’histoire prendre vie dans une sorte de raffinerie pétrolière,
alors l’enregistrement de 2007 à Bregenz chez Opus Arte est pour
vous. Le chant de Carl Tanner et Iano Tamar laisse indifférent. La
production de 2000 à La Scala avec Licitra et Frittoli, dirigés par
Muti, est un bon choix, sauf que, malheureusement, elle n’est pas
sur le marché. Conclusion, la meilleure version demeure celle de 1978
avec Domingo, Kabaivanska, Karajan et les forces viennoises.
Traduction : Jérôme Côté
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