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La Scena Musicale - Vol. 16, No. 7

Marianne Fiset : voix de Mimì

Par Wah Keung Chan / 1 avril 2011

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Quatre ans après avoir ravi la vedette à l’édition 2007 du Concours Musical International de Montréal (qui célèbre sa 10e édition en mai), avec un premier prix remporté à l’unanimité, Marianne Fiset fait enfin ses débuts chez elle : elle sera Mimì dans La Bohème de Puccini, qui ouvre le 21 mai à l’Opéra de Montréal. Pourquoi une si longue attente ? Parce que dans le monde de l’opéra, les calendriers sont remplis longtemps à l’avance. Et l’année 2011 a été particulièrement chargée pour la soprano canadienne. Quand nous lui avons parlé, elle venait de chanter le rôle de Musetta dans la même œuvre au Pacific Opera Victoria, et elle était sur le point de s’envoler pour Marseille, où elle sera Donna Elvira dans le Don Giovanni de Mozart. Quant aux agendas 2012 et 2013, ils sont déjà pleins à craquer, avec des engagements autant au pays qu’à l’étranger.

Mais la jeune artiste ne se plaint pas. « J’ai eu beaucoup de chance », dit-elle en référence aux possibilités qui se sont ouvertes après sa victoire au CMIM. Depuis, elle a voyagé en Europe et partout au Canada. Ses deux albums solo pour Analekta et un autre avec piano et cor sous étiquette ATMA ont reçu un accueil favorable, mais c’est dans l’opéra qu’elle déploie vraiment ses ailes.

Douée par la nature d’une belle voix, chaude et claire avec un vibrato égal, Mme Fiset ne fait que grandir. En septembre 2009, dans Gianni Schicchi de Puccini à l’Opéra de Montréal, son interprétation du célèbre « O mio babbino caro » a été le clou de la soirée du point de vue vocal. « La voix de Fiset s’épanouit », voilà le message que j’ai envoyé par Twitter depuis le balcon. Sa voix était différente des autres sur la scène : c’était une enveloppe sonore qui recouvrait la salle – qualité qu’elle ne possédait pas auparavant.

Durant ses années à l’Atelier lyrique de l’Opéra de Montréal et lorsqu’elle participait au CMIM, Mme Fiset était suivie par César Ulloa. Malheureusement, ce dernier a déménagé à San Francisco et, depuis mars 2010, la soprano étudie auprès d’Edith Bers, de Juilliard, qui a également pour élèves Julie Boulianne et Lélia Claire. « Elle m’a été recommandée par mes collègues et par ma coach vocale, Denise Massé », dit-elle. Sa nouvelle enseignante a suscité en elle un intérêt pour la technique vocale. « Nous travaillons le placement de la voix et la respiration. C’est par le travail que cela peut devenir instinctif. Il faut garder la voix très haute et détendue. Chanter, c’est trois choses : la respiration, la relaxation et l’appui. »

Notre étoile montante comprend mieux maintenant ce que signifie une carrière dans le chant. « Du temps où j’étudiais au Conservatoire de Québec, mon enseignante [Mme Cestillini] devait quasiment me tordre le bras pour me faire travailler, se remémore-t-elle. Je voulais juste chanter, et tout de suite. C’est par le répertoire que je désirais cultiver la richesse du son, et non par la technique. Mais à présent, j’arrive mieux à contrôler ma voix et à produire l’effet désiré. J’ai réglé plusieurs problèmes et cela me facilite les choses. Je sais beaucoup mieux comment aborder certains rôles, airs et chants. »

On s’étonnera peut-être d’apprendre qu’au cours d’une journée typique, Mme Fiset ne chante pas tant que cela. Elle commence sa journée par une demi-heure de jogging avec son chien dans son quartier de Pointe Saint-Charles (sauf quand il fait trop froid). « Quand j’ai le temps, je fais du yoga, raconte-t-elle. Puis, une demi-heure de technique. Je travaille à pleine voix pendant une heure tout au plus. Je fais beaucoup de travail mental : traduction, solfège, mémorisation, récitation du texte et posture devant un miroir. Je ne travaille pas tous les jours. J’envoie des courriels, je fais de la recherche sur les productions, j’investis dans ma carrière. »

À l’Opéra de Montréal, ce ne sera pas la première fois que Mme Fiset chante Mimì sur la scène. Elle l’a fait en juin 2009, à l’Opéra de Saskatoon. Les critiques étaient dithyrambiques : « Les deux chanteurs sont superbes (...), mais Marianne Fiset insuffle passion et puissance au rôle de Mimì », a écrit Jenn Sharp, de VerbNews. « Mme Fiset incarne la femme douce, fragile et discrètement héroïque. D’une voix étonnamment authentique, elle incarne avec conviction douleur et passion », s’enthousiasme Heather Persson dans The Star Phoenix (Saskatoon).

La deuxième fois qu’elle a participé à une production de La Bohème, c’était dans le rôle de Musetta, en février au Pacific Opera Victoria. « Vocalement parlant, Musetta est à la fois plus active et réactive, déclare la diva. Musetta est remplie d’émotions : elle se fâche, elle rit, son humeur change tout à coup. Le placement de la voix et l’intention sont différents. Elle est très impulsive : on peut voir tout de suite ce qu’elle pense et ressent. Mais Musetta est également un personnage complexe. Très généreuse, elle a un cœur d’or. » Mme Fiset est d’avis que cette expérience l’aidera à aborder le rôle de Manon, dans l’œuvre de Massenet, quand elle fera ses débuts en janvier 2012 à l’Opéra de Paris, où elle se produira deux fois et sera la doublure de Natalie Dessay. « Manon a les traits de caractère d’une coquette. »

Qui préfère-t-elle, Mimì ou Musetta ? « Mimì, c’est le lyrisme, de longues lignes, le legato, l’émotion, le sentiment, répond-elle en avouant qu’il y a aussi un peu de la couturière en elle. Mais j’espère ne pas finir comme elle ! Mimì est réservée et réfléchie, alors que Musetta est extravertie. C’est la principale différence entre ces deux personnages. J’aime les deux, mais j’ai un faible pour Mimì, à cause de la beauté de la musique, qui est un tantinet plus complexe. »

Quelle est la scène qu’elle préfère entre toutes ? « L’acte III, car je suis là du début à la fin. Mais l’acte IV est vraiment magnifique aussi. Ce n’est pas si difficile à chanter : je suis étendue, ce qui n’exige qu’une approche différente et un peu plus de concentration pour être sûre d’avoir assez de soutien. »

Avant ses débuts à Montréal, Marianne Fiset sera à Marseille pour chanter Donna Elvira dans Don Giovanni aux côtés du baryton canadien Jean-François Lapointe. Elle est emballée à l’idée de participer pour la première fois à une production européenne. Elle a eu l’occasion de se préparer à ce rôle l’été dernier, puisqu’elle l’a donné en concert avec Yannick Nézet-Séguin, qui lui aussi se frottait à cette œuvre pour la première fois à Montréal avant ses débuts à Salzbourg. Elle adore ce rôle, parce que « Donna Elvira est à la fois une femme de cœur et de tête ». C’était une bonne occasion pour s’exercer, car Mozart a écrit des lignes difficiles, et il est parfois difficile de trouver le bon endroit pour respirer.

Maintenant que Mme Fiset a conquis le rôle de Mimì, elle se tourne vers d’autres territoires. « Je veux garder mon instrument en bonne forme. Certains rôles me sont maintenant possibles, comme celui de Manon, qui est ardu à chanter sur les plans vocal, physique et technique. D’autres sont moins abordables, comme Tatiana ou Violetta, que j’espère attaquer d’ici quelques années. » Puisqu’elle est déjà à l’aise en russe, Rusalka (en tchèque) est à sa portée, déjà que Le chant à la Lune est l’un de ses grands succès. Lorsqu’on lui demande de nommer un rôle dont elle rêve, elle admet : « À 50 ans, je voudrais chanter Aïda, mais il est clair que j’en ai encore pour dix ans avant de pouvoir le faire. Je trouve ce rôle magnifique. »

Lorsque Marianne Fiset avait 18 ans, elle caressait d’autres rêves : elle étudiait en sciences politiques dans le but de travailler dans une ambassade et de voyager. « J’ai passé sept ans au Conservatoire, et année après année, je me demandais si j’allais continuer. » Pour notre plus grand bonheur, elle n’a pas laissé tomber la musique. À présent, son talent et sa persévérance ont donné des fruits : elle réalise ses deux rêves à la fois — voyager et chanter.

[Traduction : Anne Stevens]

» La Bohème, salle Wilfrid-Pelletier (Place des Arts), du 21 mai au 4 juin www.operademontreal.com

L’aria du mois : Mi chiamano Mimì

« Mi chiamano Mimì », « on m’appelle Mimì » : voilà ce que chante Mimì juste après l’aria de Rodolfo à l’acte I, « Che gelida manina ». C’est l’un des nombreux grands airs que l’on peut savourer dans La Bohème de Puccini.

« Cela exige endurance et subtilité, explique Marianne Fiset. Puccini l’a écrit avec intelligence, en aménageant quelques instants de repos. C’est un vrai bijou, un moment magique. Il suffit de fermer les yeux pour se sentir transporté par la musique. C’est un morceau d’éternité au sein de l’opéra. »

L’air commence par une sorte de récitatif. « Elle se présente en toute simplicité : son travail, ses passe-temps, ce qu’elle aime, explique la soprano. Elle confectionne des fleurs et fait de la couture. Progressivement, la vraie Mimì émerge, celle qui aime la poésie et les belles choses. Puis, un changement se produit. Elle parle du printemps et d’amour et, vocalement, la musique devient plus lyrique.

» Elle commence à s’ouvrir et parle de ce qui la touche. Elle n’est pas sûre que Rodolfo l’écoute et le lui demande. Ne sachant plus quoi dire, elle répète qu’on l’appelle Mimì, mais pourquoi ? Elle n’en sait rien. Elle est un peu nerveuse parce qu’elle se trouve chez un homme. Sa réserve la fait paraître simple.

» Maintenant que Mimì a attiré l’attention de Rodolfo, elle devient un peu plus coquette et enjouée, poursuit Mme Fiset. Elle ne va pas à la messe, mais elle prie. Elle explique qu’elle vit seule, ce qui montre qu’elle est disponible : elle fait un peu de flirt. Elle vit sous les combles et, au printemps, elle regarde les toits et le ciel.

» Le grand moment arrive : elle est la première à recevoir la lumière du soleil et cela la remplit de joie, de satisfaction, de plaisir et de beauté, explique la diva. Dans “Ma quando vien lo sgelo”, on voit la vraie Mimì rayonner. À l’intérieur, elle est pleine d’émotion et de passion. Rodolfo la voit sous un nouveau jour. À mon avis, c’est à ce moment-là que Rodolfo devient amoureux. Vocalement parlant, c’est là que j’ouvre les vannes. Mais avec subtilité. Le plaisir réside dans le jeu sur les différentes interprétations, émotions, couleurs et nuances.

» Puis, elle se ressaisit; elle aime les fleurs, même si les siennes n’ont pas d’odeur, puisqu’elles sont artificielles. Finalement, Rodolfo la regarde et elle ne sait plus quoi dire, sauf : “Je suis votre voisine qui vient à une heure indue vous importuner”. »


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(c) La Scena Musicale 2002