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La Scena Musicale - Vol. 16, No. 5

Gabrielle Lavigne : Professeure de chant et luthière de la voix

Par Daniel Turp / 4 février 2011


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À l’occasion de son intronisation au Panthéon canadien de l’art lyrique lors du XVe Gala de l’Opéra de Montréal le 5 décembre 2010, la mezzo-soprano Gabrielle Lavigne affirmait avoir été « chanceuse » d’avoir mené une carrière lyrique. « J’ai eu un professeur qui me disait que j’avais ce qu’il faut, mais que ce n’était pas un gage de succès. Il est très difficile de réussir dans ce métier. Il faut avoir la chance d’être au bon endroit, au bon moment ». Pour la chanteuse originaire du quartier Hochelaga-Maisonneuve, cette chance s’est matérialisée à Genève, où elle remportait une médaille avec distinction au Concours international d'exécution musicale en 1969, et au Metropolitan Opera de New York, où elle fut finaliste des auditions régionales en 1970.

Ce fut le départ d’une carrière qui l’a amenée sur les grandes scènes du monde lyrique (Sadlers Wells de Londres et Koninklijke Opera de Gand) et sur celles du Québec, notamment à l’Opéra de Québec et à l’Opéra de Montréal où elle a tenu les rôles de Mistress Page dans Falstaff (1974), Dorabella dans Così fan tutte (1981), Charlotte dans Werther (1982), Adalgisa dans Norma (1982) et Tisbe dans La Cenerentola (1987). Pendant sa carrière, elle se distingue aussi au concert et au récital. Elle forme en 1974 l’Ensemble Cantabile avec la soprano Céline Dussault, le ténor Paul Trépanier et le baryton Bruno Laplante, dans lequel elle aborde un répertoire comprenant des extraits d'oratorios, d'opéras, de cantates ainsi que des mélodies pour duos, trios et quatuors. Elle s’est aussi intéressée à la mélodie française et au lied allemand, mais également aux mélodies d’ici puisqu’elle enregistre sur étiquette ACM en 1988 des pièces de Rodolphe Mathieu.

Aujourd’hui et depuis plusieurs années maintenant, elle partage sa chance. Elle se consacre à l’enseignement du chant. Sa vie d’enseignante commence au Centre culturel de Joliette en 1985 et se transforme en véritable carrière lorsqu’elle est nommée professeure de chant au Conservatoire de musique de Montréal en 1999. Au moment de sa retraite en 2009, elle y aura donc enseigné pendant dix années et formé plusieurs générations d’artistes lyriques. Elle était d’ailleurs très fière de dire lors du XVe Gala de l’Opéra de Montréal que trois des solistes (les ténors Antoine Bélanger et Luc Robert et le baryton-basse Alexandre Sylvestre) comptaient parmi ses anciens élèves, sans parler du grand nombre de choristes de l’Opéra de Montréal dont elle a été aussi la professeure.

Lorsque l’on aborde avec Gabrielle Lavigne son enseignement, elle déborde d’enthousiasme. Elle dit avoir eu la piqûre de l’enseignement au contact d’Irène Sénécal de l’École des Beaux-Arts de Montréal, qui la prépara d’ailleurs à son travail d’enseignante en arts plastiques à la Commission des écoles catholiques de Montréal avant que sa carrière de chanteuse ne prenne son envol. Elle tient aussi les rudiments de son enseignement de ses propres professeurs, et notamment de Ria Lenssens de l’Université McGill et Dick Marzollo du Conservatoire de musique de Montréal. Mais l’enseignement, c’est aussi et surtout faire bénéficier les élèves de l’expérience du métier. Selon Gabrielle Lavigne, il faut apprendre à mieux connaître la voix et ses possibilités et affronter des situations difficiles qui résultent, à l’opéra notamment, des exigences des chefs d’orchestre et des metteurs en scène.

Quel est l’essentiel de sa démarche pédagogique ? Être un excellent musicien, répond-elle, suppose une bonne technique vocale et elle se sent ainsi responsable d’abord et avant tout de la formation vocale de ses élèves. Elle me dit vouloir contribuer à construire leur voix et, lorsque je lui dis qu’on pourrait donc la qualifier de « luthière de la voix », l’image plaît à celle qui aime aussi parler en images et qui décrit ses élèves comme des athlètes qu’il faut entraîner ou des enfants à qui il faut apprendre à marcher. Son enseignement vocal est centré sur la connaissance d’un corps dont il faut prendre conscience, et en particulier de l’appareil vocal et de ses résonateurs, et sur la technique de la respiration dont la maîtrise est si essentielle pour bien chanter. Sa démarche vise à convaincre l’élève d’apprivoiser sa voix, d’en trouver le « point focal ». Dans son rapport avec ces jeunes artistes qui font appel à ses talents reconnus de pédagogue, elle met l’accent sur l’état de santé de la voix, mais aussi l’état d’esprit de l’élève. Elle se fait diplomate, préfère la carotte au bâton et espère jouer le rôle d’une « allumeuse d’étincelles » et responsabiliser ses élèves en les amenant à comprendre leur corps, leur instrument, leur art.

Gabrielle Lavigne est fière des générations d’élèves qui ont été à son école. Il y a eu, il y a et il y aura encore de très belles voix au Québec et elle entend bien continuer à partager son expérience avec ceux et celles qui feront appel à son expérience. Elle constate avec plaisir que l’Opéra de Montréal et l’Opéra de Québec offrent aux interprètes d’ici des tribunes auxquelles n’avaient pas accès les chanteurs et chanteuses de sa génération et se réjouit aussi des succès des artistes lyriques d’ici sur les scènes du monde. Et si de multiples artistes lyriques nous font honneur aujourd’hui sur ces tribunes et scènes, beaucoup d’entre eux en sont redevables à « l’art d’enseigner » de Gabrielle Lavigne.


(c) La Scena Musicale 2002