Jazz Par/by Marc Chénard
/ February 4, 2011
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Si l’on considère la dernière décennie jazzistique à Montréal, elle a été quand même assez faste. Les universités, McGill en tête, y sont pour quelque chose, mais la scène locale a aussi été enrichie par l’arrivée de musiciens d’ailleurs tout simplement attirés par le milieu et le train de vie de la ville. Bien que la métropole ait retenu la majorité de ses « talents-¬maison », certains se sont lancés dans la grande aventure de l’exil en terre étrangère. Parmi eux, le batteur Karl Jannuska a élu domicile en France, où il est désormais bien installé dans sa lumineuse capitale depuis plus de dix ans. De passage en ville l’automne dernier dans le cadre du Off Festival de Jazz Montréal, Karl Jannuska présenta, en soirée de clôture (23 octobre), la musique de son plus récent enregistrement Streaming (voir chronique ci-¬dessous). Célébrant tout récemment ses 35 ans à la Saint-Sylvestre, Jannuska ne se considère plus comme étant un « jeune musicien ». Natif de Brandon au Manitoba, il débarque à Montréal en 1993 pour poursuivre ses études musicales, entreprises d’abord dans sa ville ¬natale. Un an après avoir décroché son ¬diplôme à McGill en 1998, il réalisait son ¬premier disque sur le label Effendi (Liberating Vines), l’année avant son départ pour la capitale hexagonale. Comme on peut s’y attendre, le batteur devait s’armer de patience pour faire son entrée dans ce haut lieu musical. « La première année, il n’y avait tout simplement pas de travail là-bas pour moi, avoue-t-il en entrevue, alors je retournais à Montréal tous les deux ou trois mois, et j’avais de la chance d’avoir mon amie à mes côtés. » Par la force des choses, il rencontre le saxophoniste François Théberge en 2001, cet autre Québécois expatrié en France depuis plus de 25 ans et enseignant au Conservatoire de Paris. Bénéficiant de cette connexion, Jannuska commença à multiplier ses contacts, l’une de ses prestigieuses associations étant avec le légendaire Lee Konitz, qu’il a accompagné maintes fois, sans oublier deux participations sur disque avec ce dernier, collaborations placées cependant sous l’égide de Théberge (enregistrements également publiés chez Effendi). Au fil des ans, il a aussi eu l’honneur de partager la scène avec Randy Brecker, voire Brad Mehldau.
Jannuska signale que ce n’est pas la ville comme telle qui l’influence particulièrement, mais bien certains musiciens de sa génération qu’il côtoie, leurs efforts étant conjugués dans un regroupement de cinq comparses (dont deux compatriotes) qui commencent à documenter ses projets sous le nom du Paris Jazz Underground. Lorsqu’on lui demande de comparer musicalement sa ville adoptive à la métropole québécoise, il estime que « Paris est une ville qui permet de jouer beaucoup et surtout de tourner ailleurs au pays (et à moindre degré sur le reste du continent); Montréal est plus isolé, mais le calibre des musiciens d’ici est quand même impressionnant. » Bien qu’associé au jazz mainstream, il cherche toutefois à s’en dégager un peu en tendant l’oreille vers une certaine musique pop à saveur lyrique, en l’occurrence celle du groupe Dirty Projectors ou du chanteur John Shannon. Ce dernier est sans doute pour quelque chose dans son projet de sextette avec la chanteuse torontoise Sienna Dahlen, laquelle s’est jointe au batteur pour une série de concerts en France avec l’enregistrement du disque et la performance du Off. En mai prochain, il compte retourner en studio avec cette même formation pour poursuivre sa singulière aventure musicale dans sa nouvelle patrie.
Karl Jannuska: Streaming PJU Records 002 HHHIII Troisième CD de Jannuska en tant que leader, ¬Streaming est le premier à inclure le chant avec la participation d’une consœur de classe de McGill, la chanteuse et parolière Sienna Dahlen. Enregistré à Montréal et à Paris, ce disque compte deux formations, la canadienne incluant les saxophonistes Christine Jensen et Joel Miller, le bassiste Fraser Hollins et le guitariste Ken Bibace. Bien que Jannuska aurait pu, comme compositeur, se mettre plus en vedette, il privilégie cependant des sonorités plus tranquilles, des pièces inspirées par des paysages, saisons et moments du quotidien. Le programme s’amorce sur une marche légère, immédiatement enchaînée à la suivante (Nothing¬ness), caractérisée par un solo délicat du saxo ténor Nicolas Kummert, rejoint plus tard par l’altiste Olivier Zanot, le tout produisant un bel équilibre de sonorités. La voix de Dahlen est particulièrement intrigante : parfois, elle scande de près une ligne de saxophone, parfois une ligne de la guitare. Les morceaux semblent bien avoir été conçus pour elle, d’où l’impression que c’est elle qui empreint la musique de ce ton minimaliste. Snow in May, par exemple, se déploie sur une trame lente et répétitive; Jensen à l’alto construit d’abord un passage mélodique avec des notes précises et économes en guise de prélude à l’entrée de la voix. Autre parution à signaler du batteur, ¬Synapse démontre sa sobriété d’accompagnateur au sein d’un trio constitué de la saxophoniste Amy Gamlen et du guitariste Pierre Perchaud. Dans la pièce Deeper, on pourrait imaginer ¬entendre Dahlen dans la douce voix du saxophone soprano qui domine ce disque. Karl Jannuska privilégie donc un espace musical discret qui échappe au tumulte de la vie moderne.
www.karljannuska.com Alain Londes
Actualités hexagonales trois pianistes singuliers
par Annie Landreville
Benoît Delbecq : The Sixth Jump Songlines recordings SGL 1585-2 www.delbecq.net HHHHHI On peut, sans se tromper, qualifier de « percussif » le pianiste Benoît Delbecq. Tel est le cas dans son nouvel enregistrement en solo Circles and Calligrams, sorti en fin d’année. Dans The Sixth Jump, par contre, on retrouve à ses côtés le percussionniste et batteur Émile Biayenda, musicien qui joue avec un éclat particulier dans ce disque. Pour ses deux nouvelles parutions, Delbecq vient justement de recevoir le prestigieux
Grand Prix de l'Académie Charles-Cros, une récompense pleinement méritée. Au milieu d’une rythmique complexe et souvent déstructurée, le contrebassiste Jean-Jacques Avenel (ancien compagnon de route du regretté Steve Lacy) se dégage du rôle habituel de soutien en ¬esquissant en toute liberté des embryons de lignes mélodiques. Le pianiste, pour sa part, puise aux sources du jazz, reconnaissant au ¬passage qu’il est redevable autant à Monk qu’aux rythmes africains. Pourtant, il est tout autant influencé par les compositeurs contemporains : l’une des pièces, intitulée Letter to György L. témoigne ainsi de sa filiation avec Ligeti. Entre l’Afrique, le jazz et une improvisation rigoureuse et contemporaine, l’amalgame des genres se fait sans heurts. Plus on écoute ce disque, plus on plonge dans sa ¬complexité sans que rien de trop lourd ne vienne troubler le plaisir.
Gaël Mevel Quintet : Images et personnages Leo records CD LR 579 www.gaelmevel.com HHHIII Écrivain et musicien, compositeur et improvisateur, Gaël Mevel joue une musique qui découle d’une démarche clairement intellectuelle et d’une recherche rigoureuse de l’authenticité. Plus exigeante que les œuvres de ses deux ¬collègues recensées ici, la musique de son troisième disque se distingue aussi par ses ¬sonorités : piano, certes, mais aussi bandonéon, clarinette, contrebasse, violoncelle et percussions. En dépit des deux pièces d’une ¬vingtaine de minutes qui le composent, ces Images et personnages se déploient à la manière de « haïkus musicaux », ce qui peut sembler contradictoire à la lumière du fait que ces ¬petits poèmes japonais ne sont constitués que de trois vers. Mais ces pièces sont des portraits finement ciselés de petits moments qui ¬balaient l’espace sonore comme les images d’une action défilant sans empressement, mais unifiées par un mouvement ponctué de ¬silences. C’est d’ailleurs de son travail de création pour des films muets que s’est inspiré le pianiste pour la production de ce disque. À l’écoute, des ébauches de mélodies alternent avec des moments qui tiennent presque du bruitisme, les musiciens se partageant les rôles dans des formules à géométrie variable. La ¬clarinette de Jacques Di Donato et le violoncelle de Didier Petit, tous deux collaborateurs de longue date du pianiste, apportent beaucoup de douceur à une musique qui ne brusque jamais l’auditeur. Malgré les couleurs et les mouvements divers, on y retrouve une unité intelligente qui sait éviter le piège de la monotonie
François Couturier : Un jour si blanc ECM 2103 270 2689 http://player.ecmrecords.com/couturier HHHIII Tout en douceur, Un jour si blanc est une série de 17 pièces courtes, souvent improvisées. Guidé par de grands artistes qui l’inspirent, le pianiste rend ici hommage pour la deuxième fois à ce grand cinéaste russe qu’était Andreï Tarkovski. En 2006, il lui avait consacré tout un disque, Nostalghia – Song for Tarkovsky. Puisant dans des œuvres issues du cinéma, de la littérature et bien sûr de la musique, le compositeur s’inspire ici de poèmes d’Arthur Rimbaud, tels Sensation, du peintre Miró et des compositeurs Takemistu ou Bach. Imprégné tout autant de romantisme et de jazz que de musiques classiques et contemporaines, ce disque solo demeure aussi un pont entre des mondes intérieurs où se conjuguent « les ¬mémoires accumulées » et les « impressions ¬intimes » du pianiste.
Jazz français quelques essentiels
par Félix-Antoine Hamel B Django Reinhardt :
Rétrospective 1934-53 (Saga/Universal 5320812). On ne se trompe pas trop en choisissant cette ¬Rétrospective de trois compacts, mais les plus curieux pourront aussi rechercher les excellents coffrets JSP ou les intégrales doubles Frémeaux (20 volumes !).
Bobby Jaspar : Modern Jazz au Club Saint-Germain (EmArcy Gitanes, série Jazz In Paris 5325726, 1955). Un bon exemple de jazz moderne de l’après-guerre, avec le saxo ténor et flûtiste belge Jaspar, le pianiste René Urtreger et un jeune Sacha Distel à la guitare.
C Barney Wilen : Jazz sur Seine (EmArcy Gitanes, série Jazz In Paris 5483172, 1958). Un jeu de ténor déjà impressionnant pour le jeune Barney Wilen (21 ans), qui traite ici quelques chansons de Charles Trenet comme des standards de jazz.
Martial Solal : Vol. 2 (1960-1962) : Solos-Trios-Big Band (EMI Jazz Time 798909-2). Une époque charnière dans l’évolution de Solal, virtuose sous-estimé et probablement le plus grand pianiste de jazz français.
André Hodeir : Jazz et Jazz (EmArcy Gitanes, série Jazz In Paris 0184222, 1960). Théoricien et critique, Hodeir est moins connu comme compositeur et fondateur du Jazz Groupe de Paris. Ce disque regroupe quelques expériences originales et fascinantes.
François Tusques : 1965, François Tusques, Free Jazz (In Situ 590039). L’influence d’Eric Dolphy se fait sentir dans ce premier disque français se réclamant du free jazz, où l’on retrouve Michel Portal et François Jeanneau.
D Michel Portal Unit :
Châteauvallon : 23 août 1972 (EmArcy 0383502). Concert mythique du plus célèbre ensemble free français. En coulisses, même Charles Mingus semblait impressionné ! Daniel Humair, etc. : 9-11 pm Town Hall (Label Bleu LBLC 6517, 1988). Une imposante délégation française en visite à New York, avec Michel Portal, Martial Solal, ¬Joachim Kühn, Jean-François Jenny-Clark et Marc Ducret.
E Romano/Sclavis/Texier : African Flashback (Label Bleu LBLC 6679, 2005). Trois des voix essentielles du jazz français au sein d’un trio de longue date (depuis 1994). Incontournable. New Jazz from France More than a Passing Romance by David Beckett
France has contributed enormously to jazz for more than eight decades, but since the passing of Stephane Grappelli in 1997, it is somewhat difficult to think of an emblematic French improviser nowadays. Here are three CD’s, the first of which—if widely heard—could help change that.
Daniel Mille: L’attente Universal France 532-144-1 http://daniel-mille.artiste.universalmusic.fr HHHHHH The 52-year-old native of Grenoble, prize-winning accordionist Daniel Mille has a number of discs to his credit. Remember his name.
L’attente, his latest release, is a very good a place to ¬discover him, but so are his two previous ones, even if they didn’t manage to make him as well known as he should be. He’s played in Canada on a number of occasions, appeared on Canadian recordings (look for cellist Eric Longsworth’s Sans Souci with the wonderful Montreal percussionist Pierre Tanguay) but is almost unknown south of the border. This is a kind of recording that will surely appeal to a wider audience, one that would surely draw notice from friends invited to a dinner party. Every note Mille plays counts, and like all good musicians, he uses silence to great effect. Most of the pieces are his own, but there are also tunes from Astor Piazzola and Antonio Carlos Jobim, both of which give a sense of Mille’s lovely sound. It just may be that Mille could do for his instrument what Toots Thielemans has done for the harmonica for he’s a poet of the squeezebox.
Thomas Savy: French Suite Plus Loin 100 www.plusloin.net HHHHHI When his CD arrived in the mail, packaged like a 45-rpm record, Thomas Savy was a name I’d never heard. French Suite is the bass clarinetist’s second recording, and features Bill Stewart’s effervescent drumming and rising star Scott Colley’s crisp double bass playing. Other Jazz musicians have used bass clarinet to great effect, (Dolphy first and foremost), yet Savy plays it exclusively, and the results are engaging from start to finish. Of the eight tracks, two are jazz classics: A ravishing cover of Ellington’s “Come Sunday,” and Coltrane’s “Lonnie’s Lament.” Either of these could serve as a winning defense for the instrument’s use in jazz, and the Suite itself holds together beautifully. The tone is uniformly warm throughout the recording, and while I would have liked a slightly more varied program, I recommend it without reservation. A fine talent to watch out for.
Joelle Léandre, Francois Houle, Raymond Strid: last seen headed Ayler Records 096 (www.ayler.com) HHHIII Not only has John Cage written for her, but she has also performed in ensembles led by Pierre Boulez and taught composition at Mills College. Yet, for over two decades, double bassist Joelle Léandre’s main bread and butter has been free improvisation. She’s appeared with dozens of musicians and waxed more than 150 recordings. On last seen headed, Léandre performs with Vancouver clarinetist François Houle and Swedish percussionist Raymond Strid at the Parisian Sons d’hiver Jazz Festival. This is the ¬cooperative trio’s second outing. Mostly eschew¬ing tempo or melody, the group works a lot with timbre, using all sorts of unorthodox techniques, and the musicians play softly and ¬listen like mad, carefully improvising. Here and there, a bit of countable time emerges, and then vanishes, adding to the drama. As much as I would like to see this trio or its members play live, I’m not sure how much time I’d spend ¬listening to this disc in the living room or on a car stereo.
Book Notes+ Blue Notes
by Félix-Antoine Hamel John Abbott, Bob Blumenthal: Saxophone Colossus: A Portrait of Sonny Rollins Abrams, New York, 2010, 160 pages. ISBN : 978-0-8109-9615-1
Photographer John Abbott and jazz journalist emeritus Bob Blumenthal have combined forces to create a curious item of sorts, one that perfectly illustrates the contradictions in the Sonny Rollins mythology. First, there is Rollins’ image. People who have seen this tenor giant in concert will certainly enjoy Abbott’s snapshots of the man on stage and backstage, on the road or in his Germantown (NY) home and studio, all taken in the 1990s and 2000s. The concert shots are sometimes impressive, such as a characteristic Rollins gesture of lifting his horn in the air in front of a large Newport audience while ships sail in the background. The portraits are more classic, academic at times, but the tenorman’s presence is felt even in the more static poses, where he is occasionally decked out in his eccentric garbs and hairstyles.
To accompany those fine photographs, Bob Blumenthal’s essay is divided into five chapters, each titled after one of the tracks of Rollins’ 1956 masterpiece Saxophone Colossus. With selective quotes from the saxophonist, Blumenthal’s text is a remarkable synthesis of the artist’s style and career, making for a quick but engaging read. From an early Coleman Hawkins influence, Rollins forged a style that was at once attuned to the hard bop stylings of the mid-1950s (his ‘classic’ period on records) yet very personal. While he touches on a wide variety of subjects, the author concentrates on five general aspects: Rollins’s ¬approach to rhythm, his work on sound and slow ballads, his relation to the notion of composition, his love for popular (and sometimes offbeat) Broadway songs and his personal philosophy. But in combining recent pictures of Sonny Rollins as a revered elder statesman with an essay that deals primarily with the artist’s classic recordings, the co-authors have, perhaps unwittingly, emphasized one of the contradictions of the Sonny Rollins mystique (and by extension, of jazz itself): The musician’s image is at odds with what aficionados actually listen to. Put another way, if you go to a Sonny Rollins concert, you will remember him as he is pictured here, but most record collectors will go back and listen to those Prestige and RCA recordings. And if you do own but a few Rollins albums, chances are they’re all over 40 years old. For the preservation of such ‘classic’ music, that’s a blessing, but for the working musician, it is something of a curse.
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