Phillip Addis & Michèle Losier : Werther & Charlotte Par Wah Keung Chan
/ 1 décembre 2010
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Cinq ans ont passé depuis que le baryton
Phillip Addis (33 ans) et la mezzo Michèle Losier (32 ans) ont chanté
ensemble à Montréal. C’était dans L’Étoile de Chabrier,
à l’Opéra de Montréal. Depuis, ces deux Canadiens ont chacun pris
des chemins différents vers le succès. Ils ont tous deux des agents
new-yorkais et des contrats pour plusieurs années. En janvier, quand
ils seront réunis en tête d’affiche à l’Opéra de Montréal,
dans le Werther de Massenet, ce sera le retour de véritables
étoiles montantes sur la scène lyrique internationale.
Phillip Addis
Phillip Addis entame sa carrière de chanteur à un jeune âge, dans
des chœurs d’enfants à Halifax et à Toronto. « En fait, ce sont
mes parents qui voulaient cela », raconte-t-il. À l’école secondaire,
ce n’est pas à une carrière musicale qu’il pense. Certes, il chante
dans des chorales, joue du cor baryton et du tuba dans les cours de
musique et la basse dans un groupe de rock, mais son rêve, c’est
devenir ingénieur civil.
Au moment de s’inscrire à l’université,
il se dit « pourquoi pas la musique ? » et l’Université Queen’s
l’accepte pour ses talents au tuba. « C’était un petit programme,
mais d’une souplesse idéale pour moi », dit-il. Or, le chef du chœur
de chambre de Queen’s, dont il fait partie, le pousse à se lancer
dans l’art vocal. « Dès ma première leçon avec Bruce Kelly, j’ai
été emballé, et j’ai senti une porte s’ouvrir. Je n’étais
pas très bon au tuba, mais je me sentais à l’aise en chant. » En
troisième année d’études, Addis décide de faire une majeure en
art lyrique sous la direction de M. Kelly. Par chance, il bénéficie
tout de suite d’une expérience de la scène, dans la production étudiante
d’un nouvel opéra de Ron Beckett qui demande un baryton. Demeurant
à cinq minutes du campus, il peut passer tout son temps dans la salle
de répétition et à la bibliothèque à étudier des vidéos et des
enregistrements, et s’immerger ainsi dans l’art vocal et lyrique.
Addis entame ensuite des études en art
lyrique auprès de Patricia Kern à l’Université de Toronto, où
il fait la connaissance de la pianiste et répétitrice Emily Hamper.
En 2002, il se joint à l’Atelier lyrique de l’Opéra de Montréal,
où Emily le suit en 2003 à titre de répétitrice. À présent, Emily
et Phillip sont partenaires dans la musique et dans la vie. « Elle
est la plus intransigeante de tous mes critiques », déclare-t-il.
À Montréal, Addis étudie auprès de César Ulloa, qui l’aide à
« chanter de manière plus homogène ».
Michèle Losier
Michèle Losier rêve d’être cantatrice dès l’âge de six ans,
quand elle découvre les disques de Pavarotti et de Virginie Zeani et
des retransmissions d’opéra à la télévision. Acadienne de père
et élevée dans la petite ville de Saint-Isidore, au Nouveau-Brunswick,
ce n’est cependant que dans la vingtaine qu’elle prend conscience
de l’existence d’une lignée acadienne dans l’art lyrique, dignement
représentée par Rosemary Landry, Adrienne Savoie et Nathalie Paulin,
entre autres. Son rêve d’enfant n’était plus qu’un lointain
souvenir quand elle consacrait ses années de jeunesse au sport (patinage
artistique) et au piano. « En fait, je ne savais même pas que j’étais
capable de chanter », dit-elle.
À l’âge de 12 ans, après le divorce
de ses parents, Losier se retrouve à Montréal avec sa mère. Elle
poursuit ses études de piano dans le privé, à Vincent d’Indy, puis,
en 1995, s’inscrit en interprétation au Cégep Marie-Victorin sous
l’égide de Francine Chabot. En 1996, alors qu’elle fait partie
de la chorale du Cégep, elle est encouragée par la chef et contralto
Madeleine Jalbert à suivre des cours de chant. « Cela représentait
le mariage de mes deux passions, la musique et le théâtre », déclare
Losier. À 20 ans, elle se décide : elle abandonne son autre rêve,
celui de devenir médecin, pour se consacrer à des études d’art
lyrique à l’université. « Cela a inquiété mes amis et ma famille,
qui pensaient que je faisais fausse route », dit-elle.
Elle veut améliorer son anglais et se
sent attirée par l’Université McGill. Là, sous l’égide de Winston
Purdy, elle mène de brillantes études et participe aux productions
de la faculté. Après l’obtention de son diplôme en 2002, et grâce
au programme des Jeunes Ambassadeurs Lyriques, Losier fait ses débuts
professionnels en France, à l’Opéra d’Avignon et à celui de Nancy,
respectivement dans les rôles mozartiens de Dorabella et de Zerlina.
À cette époque, elle commence à étudier avec la soprano Lyne Fortin,
puis, moins de deux années plus tard, avec la professeure de cette
dernière, Marlena Malas.
En 2003, Losier entre à l’Atelier
lyrique de l’Opéra de Montréal. Peu après, le public montréalais
la découvre sous les traits de Chérubin, dans une production des
Noces de Figaro de Mozart donnée sur la scène principale. « J’ai
commencé à me sentir nerveuse, parce que j’ai soudain réalisé
que je pouvais avoir une carrière », raconte-t-elle.
C’est alors que Losier et Addis font
connaissance. Au Concours 2004 de l’OSM, Addis remporte le premier
prix et Losier, le deuxième. « Nos chemins se croisaient toujours,
se remémore Losier. Des fois, je le devançais, d’autres fois, c’était
lui. »
Un ténor ?
Quelques mois plus tôt, en mai 2004, Addis avait décidé de se lancer
dans une expérience. « Les gens me disaient que je ferais un bon ténor,
alors j'ai décidé d'essayer », explique-t-il. Cette idée déplaisait
aussi bien à Hamper qu’à Ulloa, qui lui ont néanmoins laissé le
champ libre. Deux mois plus tard, l’épuisement a bien failli venir
à bout de sa voix. « Je pouvais monter dans les aigus, mais c’était
trop haut pour moi, dit-il. Une vraie torture. J’en ai tiré les leçons,
et je sais maintenant comment ma voix fonctionne et à qui je peux me
fier. »
Redevenu baryton, Addis a connu une saison
époustouflante en 2004-2005 : premier prix aux concours de l’OSM
et de l’OSQ en 2004, puis quatrième au Concours International de
Musique de Montréal en 2005. Cette même année, Losier était finaliste
aux auditions du Met.
Des années de transition
Pour un jeune chanteur, la période qui s’étend entre la fin des
études et le début d’une carrière florissante est parsemée d’incertitudes,
d’errances et d’auditions. Après son stage à l’Atelier lyrique,
Losier étudie pendant un an avec Mme Malas au Juilliard Opera
Center. Le metteur en scène Stephen Wadsworth, impressionné par son
travail à ses cours d’art dramatique, devient son champion : « Elle
a de la présence », déclare-t-il à Radio-Canada. Il la recrute donc
pour ses productions à Los Angeles, à Seattle et au Met.
Le dernier concours auquel Losier participe,
en 2008, est celui de la Reine Élisabeth, en Belgique, où elle se
classe parmi les finalistes. « Je voulais aborder ce concours en tant
que professionnelle plutôt qu’étudiante, mais cela m’a soumise
à énormément de pression et m’a épuisée », déclare Losier,
qui décroche pourtant un contrat pour enregistrer des mélodies de
Duparc sous l’étiquette belge Fuga Libera.
Pendant ce temps, le succès d’Addis
au concours de Montréal se traduit par un rôle à l’Opéra de Marseille.
Ces deux dernières années, son agenda s’est rempli de nouveaux rôles.
Il y a deux ans, il a été un convaincant Zurga dans Les Pêcheurs
de Perles à Montréal, puis Belcore dans L’Elisir d’amore
de Donizetti avec l’Atlanta Opera. Ses débuts à New York, il les
fait sous les traits de Roderick Usher dans La chute de la maison
Usher de Debussy à l’Opéra Français de New York. Il incarne
John Brooke dans la création canadienne de Little Women
de Mark Adamo avec l’Opéra de Calgary. Il est le comte dans Les
Noces de Figaro de Mozart. Son plus grand triomphe à ce jour, il
l’a connu grâce à son interprétation de Pelléas à l’Opéra
Comique de Paris, sous la direction de Sir John Eliot Gardiner, en juin
dernier.
Son conseil pour se faire engager et
réengager? Avant toute chose, la préparation, beaucoup de pratique
et d’étude. « Il y a tant à apprendre qu’on ne peut jamais trop
étudier. Ensuite, s’engager à fond, avec toutes ses émotions, dans
son travail d’artiste et envers l’auditoire. On ne doit pas s’accrocher
à la technique. Il faut donner des performances pleines de vie, et
ça prend du temps à apprendre. »
Werther
Pour Losier, la chance de sa vie s’est présentée en janvier 2009,
dans Werther de Massenet, lorsque l’Australia Opera avait besoin
d’une Charlotte pour remplacer la contralto Pamela Helen Stephen,
qui s’était retirée après le décès de son mari, Richard Hickox,
directeur musical de la compagnie. « J’ai été recommandée par
l’English Opera avec un mois de préavis seulement, dit Losier, qui
a passé ce temps à New York pour se préparer avec l’aide de Mme Malas.
Les cinq semaines de répétitions m’ont également aidée. » En
tant que mezzo lyrique, Losier a l’habitude de chanter les rôles
masculins secondaires, et Charlotte, c’est un vrai régal : elle est
constamment sur scène pendant les actes III et IV. « Il s’agit de
trouver le juste équilibre entre le lyrisme et la tragédie, dit-elle.
Il faut transmettre l’émotion, mais sans porter atteinte à la voix.
»
Ce rôle lui convenait parfaitement,
et les critiques sont dithyrambiques. IMG la sollicite, ainsi que Michel
Beaulac, de l’Opéra de Montréal, qui lui offre la chance de reprendre
ce rôle dans sa ville. « Il n’y a rien de plus gratifiant que de
revenir chez soi, auprès de ceux qui vous aiment, vous encouragent
et vous connaissent depuis le début », dit Losier.
Inspirée du roman passablement autobiographique
de Goethe, Les Souffrances du jeune Werther, l’œuvre de Massenet
raconte l’amour impossible d’un jeune poète pour une belle jeune
fille, Charlotte, qui est mariée à quelqu’un d’autre; le cœur
brisé, Werther se tue. La version de Massenet diffère de celle de
Goethe parce que Charlotte est aux côtés de Werther à sa mort. «
Charlotte devient amoureuse de Werther lorsqu’elle se rend compte
qu’elle s’ennuie de lui, à la fin de l’acte II », explique Losier.
« Philippe et Michèle comptent parmi
les représentants les plus prometteurs de la nouvelle génération
de chanteurs, souligne Beaulac. Ce rôle va parfaitement à Michèle,
à cause de sa voix et parce qu’elle est francophone; sa compréhension
du texte lui permet de le mettre en valeur sur le plan dramatique. J’ai
choisi de présenter Werther dans la version baryton parce que
ce rôle est plus intense avec une voix plus grave, qui me semble mieux
adaptée au caractère romantique de l’œuvre. Le français de Phillip
est excellent. Son élégance vocale, le raffinement et l’intelligence
de son interprétation, tout cela confère au rôle une grande richesse.
»
Pour Addis, cette version baryton de
Werther est un projet très spécial. Étant donné que c’est
une version rarement jouée, Addis peut adapter le rôle à sa voix.
« Pour certains passages, j’ai le choix entre les deux versions,
dit-il. J’aime la scène finale avec Charlotte. Les émotions y sont
à vif. »
À Montréal, c’est la production australienne
qu’on pourra voir, sauf que l’action se déroulera au début du
XXe siècle, nous informe Beaulac. L’histoire de Werther
a-t-elle du sens de nos jours ? « À Sydney, la mise en scène misait
sur la modernité, et on a discuté de cette question, raconte Losier.
Dans les histoires d’amour modernes, il y a toujours une personne
qui aime plus que l’autre. On se demande qui va quitter l’autre,
on a peur d’être abandonné. L’amour est toujours une question
brûlante. »
Werther de Massenet, Opéra de Montréal,
les 22, 26, 29 et 31 janvier et le 3 février.
www.operademontreal.com
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