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La Scena Musicale - Vol. 15, No. 8 mai 2010

Un féerie en technicolor : le Cendrillon de Massenet

Par Isabelle Soraru / 1 mai 2010


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Qui ne connaît pas les célèbres Contes de ma mère l’Oye, et surtout Cendrillon à la pantoufle de verre (et non de vair, comme le laissa longtemps croire la modification effectuée par Balzac) ? Si l’on passe en revue les contes de Perrault, mais aussi les contes de fée en général, on s’aperçoit que Cendrillon est, parmi eux, celui qui fut le plus porté à la scène, que ce soit sous forme lyrique, théâtrale ou encore chorégraphique – voire sous la forme filmique, et ce, dès les débuts du cinématographe, avec l’adaptation du magicien de l’image Georges Méliès. La deuxième partie du 19e siècle, envahie par une sorte d’esprit féerique, typique de l’époque romantique, a ainsi vu fleurir plus de trente versions de Cendrillon. L’une d’entre elles, La Famille des Cendrillon, joue même sur l’empilement de ces différentes versions et l’on y voit se succéder pas moins de quatre Cendrillon qui essaient, en vain, la pantoufle trop grande : « Tant de gens ont essayé cette pantoufle, qu’il n’est pas étonnant qu’elle soit élargie ! » Il faut dire que Cendrillon comporte tous les ingrédients nécessaires à l’identification du public et à une bonne mise en scène : une héroïne touchante, des personnages archétypaux, une unité de temps et de lieu et, enfin, une fin heureuse.

Le goût de la féerie et la légèreté de la comédie

Créé avec faste en 1899 pour la réouverture de l’Opéra Comique à Paris après un incendie ravageur, le Cendrillon de Massenet se démarque des versions précédentes par sa féerie touchante et légère : c’est une comédie pleine de gaieté et de poésie, dans laquelle les personnages gardent la simplicité propre au conte. Cendrillon n’est assurément pas l’opéra le plus connu de Jules Massenet, dont le nom est davantage associé à Thaïs, à Manon ou encore à Werther, mais on y reconnaît la « patte » du compositeur et l’on y appréciera son talent de coloriste. Renaud Doucet, metteur en scène et chorégraphe, et André Barbe, signant les costumes et les décors, tiennent d’ailleurs à souligner la finesse de la partition de Massenet, toute en contrastes sur le plan de l’orchestration, et l’aspect touchant et sincère des personnages. Le librettiste de Massenet, Henri Cain, avait gardé les ingrédients essentiels du conte de Perrault ; on trouvera donc dans le livret le parcours initiatique de Cendrillon, les épreuves à subir avant de parvenir au dénouement ainsi que l’intervention du merveilleux avec la fée, soprano colorature, aux vocalises pleines d’agilité, signe de son appartenance à l’univers surnaturel. Les voix de femmes sont particulièrement à l’honneur, avec l’intervention des « chœurs d’esprits » et l’interprétation, voulue par Massenet, du Prince Charmant par un « soprano de sentiment » ou soprano Falcon, tenue cependant dans l’opéra par un ténor.

Cendrillon sous les néons, héroïne des années 1950

C’est le propre des grandes œuvres que de pouvoir sans cesse nous parler de notre temps, même si elles appartiennent à une autre époque. La lecture des metteurs en scène va en ce sens, en ménageant une place à la féerie du conte et à l’aspect ludique de la comédie. André Barbe et Renaud Doucet, sous les éclairages de Guy Simard, proposent de lire Cendrillon comme un conte de fée moderne en technicolor. Le conte de Perrault est ainsi propulsé dans un décor années 1950, façon drugstore, cinéparc et music-hall, en hommage aux comédies musicales et aux mariages princiers de l’époque. Lors de la création de l’opéra en 2003 à l’Opéra du Rhin, c’est en effet cette approche, fortement nourrie d’un imaginaire nord-américain, qui s’est imposée à eux : moment par excellence, expliquent-ils, du « rêve » hollywoodien, cette époque inscrite sous le signe du « Think pink », chanson phare du film Funny Face avec Audrey Hepburn, leur paraissait à la fois assez proche pour parler au public et assez lointaine pour préserver le « il était une fois » du conte. Cendrillon va donc, en lieu et place de l’âtre de la cheminée, sortir d’un four gigantesque, et le chêne magique du livret d’Henri Cain se métamorphose en cinéparc.

Un conte moderne ?

Grandes voitures, parfaites ménagères, palais et concours de miss pour gagner le cœur du prince tout en montrant ses atours de femme parfaite sont donc les ingrédients de cet univers inventif, truffé de détails que les metteurs en scène nous invitent à décrypter. Comme il se doit, la télévision y aura une place essentielle, laissant sortir la bonne parole d’une fée des ondes sous les traits de Lucille Ball, icône télévisuelle des années 1950, et d’une tribu de Monsieur Propre, image d’un idéalisme domestique exacerbé. Les allusions échapperont peut-être aux spectateurs plus jeunes, mais peu importe, car cette Cendrillon s’adresse surtout à l’imaginaire de chacun, tout en restant très fidèle à la partition et à l’esprit de Massenet, ainsi que le souligne Renaud Doucet.

Il faudrait se garder de ne voir cette transposition que sous le signe d’une critique de l’opulence de la société américaine, et telle n’a pas été la première intention de Renaud Doucet. Le conte lui-même, certes, invite à repenser les positions sociales de chacun en favorisant les valeurs morales, et l’opéra de Massenet véhicule, comme le rappelle le metteur en scène, un propos parfois très noir. Mais le cadre des années 1950 permet surtout de donner du sens à la partition de Massenet et au conte de Perrault, sous des atours réjouissants, colorés et poétiques. Car la question que la fée pose à Cendrillon est, comme aiment le rappeler André Barbe et Renaud Doucet, d’une redoutable actualité : veut-elle se conformer à l’image que la société lui propose  ou trouver l’amour véritable ? On pourra se souvenir à l’occasion, avant de découvrir cette mise en scène inventive, qu’un des élèves de Massenet, Reynaldo Hahn, a dit de lui qu’il avait « trouvé la formule musicale de l’amour français moderne ».


Cendrillon de Massenet, présenté par Opéra de Montréal le 22 mai à 3 juin.  www.operademontreal.com
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