Miles au musée Par Marc Chénard
/ 1 avril 2010
Version Flash ici.
Tout le monde aime Miles, même si l’on peut ne pas aimer « tout Miles ».
V. Bessières
Peu de personnalités issues de la musique afro-américaine ont laissé une empreinte aussi vive que Miles Davis. Monstre sacré du jazz, ou « sacré monstre » selon ses époques et dispositions, Miles Dewey Davis III est un de ces hérauts de la modernité qui en a donné plein les oreilles et plein la vue à plus d’une génération d’amateurs de la note bleue. Son œuvre, à la fois multiforme et d’une portée étonnante, fait partie du patrimoine culturel mondial (et vient, pour l’essentiel, d’être rassemblée dans un imposant coffret anthologique, voir l'article ici).
De son vivant, il a certainement fait parler de lui, en bien ou en mal, mais sans laisser d’indifférents. Chose remarquable, son influence s’insinue toujours dans la musique de notre temps, et ce, quelque 20 ans après sa mort (en septembre 1991), sa présence gravée dans nos mémoires par une vaste iconographie visuelle comprenant moult photos de l’artiste, quelques films de concert, voire son propre œuvre pictural.
Pour souligner tous ces aspects, une première rétrospective sur la carrière du trompettiste a tenu l’affiche à Paris l’automne dernier. Inaugurée le 16 octobre 2009, l’exposition intitulée We want Miles – Miles Davis : le jazz face à sa légende s’est déroulée jusqu’au 17 janvier au Musée de la musique, abrité dans un complexe institutionnel unique en son genre, la Cité de la musique. Après le succès remporté par cette manifestation (75 000 visiteurs l’ont fréquentée), les mélomanes et amateurs d’art visuel de notre métropole auront le bonheur de la voir sous peu dans leur propre cour. En effet, le Musée des beaux-arts de Montréal (MBAM) accueillera cette exposition en exclusivité nord-américaine à compter du 30 avril prochain.
Exposition bonifiée
Nathalie Bondil, directrice du MBAM, explique en entrevue que le passage en ville de cette exposition découle d’un heureux concours de circonstances. « Je connais son designer sonore, avec qui j’ai travaillé précédemment. Il m’en a parlé l’été dernier, au moment où il la préparait. J’avais déjà eu des échos, d’ailleurs très favorables, et je savais qu’il s’agissait d’un projet très sérieux. » Une visite suffit pour la convaincre : Montréal devait la présenter à son tour !
Aussi heureuse que soit l’initiative, il faut aussi souligner le fait que la nôtre sera bonifiée à plus d’un titre. En effet, le musée lui accorde une plus grande aire d’exposition, passant de 800 m2 à 1100 m2; par ailleurs, d’autres objets s’ajouteront à la collection originale parisienne, notamment des œuvres picturales de Miles, une prestation filmée à Montréal, même une statue en son honneur réalisée par Niki de Saint-Phalle. « Cela nous donnait l’occasion de nous brancher avec une des forces de la métropole, le festival de jazz, qui fait un travail remarquable depuis des années, poursuit la directrice. André Ménard, son vice-président, a été généreux de ses informations; comme il a présenté Miles à plusieurs reprises, il est une mémoire vivante et je lui ai demandé de contribuer une préface au catalogue, que l’on ajoutera à l’édition originale. » Profitant de ce soutien, le musée aménagera une salle consacrée justement à ce lien privilégié entre le festival et Miles, salle dans laquelle on pourra visionner son concert de 1985. Notons enfin une série d’activités présentées en complément de l’exposition (voir encadré).
Chasse aux trésors
Bien qu’il faille lever son chapeau au musée et à sa directrice pour leurs efforts, il faut aussi rendre à César ce qui est à César, soit remercier la Cité de la musique et, surtout, son commissaire désigné, M. Vincent Bessières. Journaliste et chroniqueur spécialiste en jazz dans plusieurs médias français, celui-ci explique, lors d’une entrevue téléphonique, que la direction du musée l’avait approché à la fin 2007, lui demandant de soumettre une proposition d’exposition sur le jazz. « Par le passé, le musée avait organisé des rétrospectives sur Jimi Hendrix, Pink Floyd et John Lennon, mais aucune sur le jazz, ni en tant que genre ni sur un musicien. Le musée a voulu que je soumette un projet, mais le sujet, Miles, avait déjà été choisi »
Sa proposition retenue, le commissaire devait alors partir à la chasse aux trésors, suivant les traces jusqu’aux héritiers, le gestionnaire de sa succession (Miles Davis Properties) et d’autres parties propriétaires d’artefacts d’intérêt.
« C’était assez excitant comme aventure, précise M. Bessières, mais aussi très différent d’une exposition de peintures où l’on obtient des prêts des tableaux tous clairement identifiés. Ici, en revanche, il fallait se poser la question ce que l’on voulait montrer, où trouver les objets et surtout comment articuler tout cela autour de la musique. »
Étalée sur une bonne année et demie, sa chasse l’a conduit à quatre reprises aux États-Unis, deux fois en Californie chez les héritiers, autant de fois à New York où Miles avait passé une grande partie de sa vie. M. Bessières a trouvé beaucoup de choses rangées dans des caisses et des boîtes, nombre d’entre elles n’ayant jamais été ouvertes depuis la mort du musicien. Outre son énorme garde-robe, il y avait au moins six boîtes remplies de partitions, les siennes bien sûr, mais aussi plusieurs de la main de son maître à penser Gil Evans, de ses accompagnateurs, voire de confrères musiciens souhaitant, peut-être, que leurs compos lui plaisent assez pour qu’il les intègre dans son répertoire.
De la découverte à la réalisation
Une chose est de partir à la chasse, une autre de montrer ses trophées. Pour ce faire, il fallait concevoir un cadre approprié. « C’était assez clair dès le départ, affirme le commissaire : l’exposition se déploierait sur un axe chronologique, axe découpé en sept segments, ou chapitres si l’on veut, chacun correspondant à une des étapes de sa vie. Comme l’exposition s’adresserait à un grand public, le meilleur moyen serait de faire passer les visiteurs de salle en salle, chacune traitant d’un chapitre, de son enfance et ses premières expériences musicales jusqu’à sa consécration finale. » Il ne s’agissait pas pour M. Bessières de réécrire l’histoire, encore moins de remettre Miles Davis en question par une nouvelle interprétation, mais bien de jeter un meilleur éclairage sur l’ensemble des visages musicaux de l’artiste.
Pourtant, cette ligne éditoriale traditionnelle n’empêche pas l’exposition d’avoir quelques composantes inouïes, la plus imaginative (et ingénieuse) étant la mise en place de la musique en milieu muséal.
« À un moment donné, indique M. Bessières, on n’arrivait pas à trancher cette question de mise en place du son dans l’espace : ou bien on diffuserait la musique dans toutes les salles en risquant de créer une cacophonie ou bien on la rendrait accessible seulement sur casque d’écoute, ce qui ne permettrait pas aux visiteurs de la partager entre eux. La maison responsable de la scénographie, Projectiles, nous est arrivée avec l’idée de construire des salles d’écoute en forme de sourdines de trompette et dans lesquelles les visiteurs pourront écouter des pièces représentatives de l’une ou de l’autre des époques de la vie de l’artiste. » Mises au point par un acousticien, ces sourdines, qui seront au nombre de six à Montréal, sont alors calibrées par un ingénieur du son. Vu la plus grande aire d’exposition du MBA, ces sourdines seront plus spacieuses que celles de Paris, chacune occupant une superficie de quelque 20 m2.
Pour la directrice du MBAM, enfin, l’exposition Miles Davis s’inscrit dans une programmation plus élargie qu’elle tient à défendre. « Après nos expositions Warhol Live et Imagine, je cherchais un autre projet qui pouvait montrer que le MBAM s’intéresse toujours à la musique et nous avons réussi à en trouver une qui va plus loin que les précédentes puisque c’est la musique qui en est la raison d’être, chose pas évidente à réaliser dans un musée d’art. J’y suis allée, j’ai vu, j’ai été emballée. Et j’espère qu’il en sera de même pour les visiteurs. »
Voir entrevue complète avec Vincent Bessières au www.scena.org/blog/jazz |
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