Jean-Nicolas Trottier : Une coulisse à l’avant-scène Par Marc Chénard
/ 1 avril 2010
Version Flash ici.
Si le violon est le roi des instruments en musique classique, la guitare jouit d’une notoriété comparable dans la pop music. N’était-ce de son amplification et de son adoption par le rock and roll, cette caisse à cordes n’aurait sans doute jamais atteint le seuil de popularité qu’elle connaît chez les jeunes. Fort heureusement, on retrouve quelques musiciens en herbe qui ont arrêté leur choix sur d’autres instruments. Résolument moins glamour, le trombone n’est ni le plus couru des binious ni celui qui va épater les foules. Rarement mis en vedette sur scène, les trombonistes se distinguent assez souvent « en coulisses », notamment à titre de compositeurs et d’arrangeurs.
Parmi eux, Jean-Nicolas Trottier est un espoir jazzistique prometteur de chez nous, autant par sa plume que par son instrument. À l’orée de la trentaine, ce Victoriavillois dirige depuis cinq ans un big band énergique qui, l’automne dernier, a lancé en concert son premier disque (voir chronique ci-dessous). Rencontré récemment, le musicien avoue cependant que la composition ne l’intéressait pas tellement au début de sa formation musicale. « En fait, le big band ne me disait rien non plus, je trouvais les arrangements trop carrés, mais comme j’ai toujours eu une assez bonne oreille, je me suis mis à transcrire des choses pour voir ce qui s’y passait. »
Quant à son instrument, il l’a choisi un peu par hasard. Ayant tâté la basse électrique tout jeune, il comptait en jouer en s’inscrivant au programme de musique de son école locale, mais comme un autre étudiant l’avait choisi avant lui, il prit le trombone sans vraiment le connaître. Motivé par son premier professeur (Stéphanie Lapointe), il étudia la technique instrumentale tout en se familiarisant avec le répertoire classique et jazz.
Au secondaire, il commença à composer pour remplir certains devoirs scolaires, mais ses études au Cégep Marie-Victorin, puis au programme de jazz à l’Université McGill, l’orientent dans cette direction. « Joe Sullivan (à McGill) m’a vraiment aidé à comprendre bien des choses que je faisais intuitivement. À jouer dans son orchestre, je me suis aperçu que ce n’était plus du big band typique, les structures étaient beaucoup plus élaborées, comme les harmonies. »
Question influences, il se dit autant intéressé par le jazz que le classique contemporain, la gamme s’étalant de Thad Jones à Coltrane (dernière période), de Pat Metheny à Schönberg. Riche en textures, avec des accords polytonaux tendus et dissonants, sa palette sonore est étoffée de multiples contrastes dynamiques. Pourtant, il ne perd jamais de vue le swing dans ses pièces qu’il conçoit avec grand soin et clarté. « Quand j’écrivais pour big band au début, j’écrivais des trucs de 400 mesures et ça me prenait un mois pour y arriver. Elles sont plus courtes maintenant et je peux réaliser une partition en une journée. »
Comme instrumentiste, Trottier a participé ces derniers temps aux disques du big band de Christine Jensen (voir chronique le mois dernier), de l’ensemble Trombone Action de son collègue Richard Gagnon, puis de son propre quartette sans piano (voir ci-dessous). Dans ce contexte instrumental réduit, il présente un tout autre volet de sa créativité, que l’on pourrait qualifier de post free-bop. Plein d’idées, il fait part d’un autre projet intriguant en chantier, un trio qu’il appelle Nobase, avec saxo ténor et batterie. Signalons enfin que son quartette se produira le 20 de ce mois à Brême en Allemagne dans le cadre de Jazz Ahead, un festival organisé à l’intention des tourneurs européens. Bons succès en spectacle messieurs !
(1) Jean-Nicolas Trottier : Big Band
Autoproduction de l’artiste (jntrottier(a)videotron.ca)
(2) Jean-Nicolas Trottier : Quartet
Effendi FND094
1 » Sous ces deux titres laconiques et épurés, voire presque génériques, se cachent deux enregistrements dynamiques de jazz moderne, l’un et l’autre réglés au quart de tour par un musicien visiblement dédié à son art. Tromboniste et compositeur ayant fait ses classes chez Joe Sullivan, Jean-Nicolas Trottier a relevé le défi d’assembler un big band de 17 musiciens (comprenant les saxophonistes Alexandre Côté et Jean-François Fournel, le trompettiste David Carbonneau et le pianiste Jonathan Cayer) pour interpréter un programme de cinq compositions originales assez élaborées (dont sa New York Texan Suite, en quatre mouvements) et une (The Untold) du saxo alto invité Samuel Blais. Utilisant dans ses orchestrations un langage issu de la tradition des big bands post-bop (de Thad Jones à Kenny Wheeler), Trottier laisse ses solistes insuffler leur vie propre à ses partitions. On admirera particulièrement la section rythmique, notamment le batteur Kevin Warren (idéal pour un big band de cette trempe) et la mise en place exemplaire des ensembles.
2 » Avec son quartette, Trottier couvre un territoire parallèle, retrouvant ici l’un des meilleurs solistes du big band (Alexandre Côté) ainsi que son contrebassiste (Sébastien Pellerin), Michel Berthiaume se chargeant de la batterie. L’excellente prise sonore sert particulièrement bien l’ensemble, la contrebasse étant très présente dans les conversations musicales livrées par un quartette inspiré, entre autres, par la dynamique des groupes de Dave Holland de la dernière décennie. Les thèmes de Trottier, mélodies sinueuses ou jeux rythmiques ludiques, trouvent leur extension naturelle dans les improvisations, qui savent parfois heureusement déborder du cadre des compositions (un bon exemple étant le solo de Côté dans One Way). Félix-Antoine Hamel |
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