David Fray : aiguiller le public Par Lucie Renaud
/ 13 octobre 2008
David Fray
n’est certes pas inconnu du public montréalais. Les amateurs de piano
qui ont suivi l’édition 2004 du Concours Musical International de
Montréal se souviennent encore de la remarquable maîtrise du pianiste
français dans la Sonate de Liszt et des couleurs chatoyantes
de son Concerto de Ravel. Après avoir remporté la deuxième
place et le prix de la meilleure interprétation de l’œuvre imposée
– le compositeur Jacques Hétu lui dédia même la partition –,
il s’était vu offrir un pont d’or : un premier enregistrement, sous
étiquette Atma, comprenant notamment la Sonate de Liszt et la
Wanderer-Fantaisie de Schubert.
Le 22 octobre,
Fray retrouvera avec plaisir le public montréalais dans le cadre d’un
événement-bénéfice pour la Bach-Academie de Montréal. En deuxième
partie de programme, il reprend cette fameuse Sonate en si mineur,
qu’il a pourtant volontairement laissée de côté pendant trois ans,
histoire de lui permettre de mieux évoluer. « Je souhaite qu’elle
ait profité de ces dernières années passées avec Bach et du travail
de dépassement de l’instrument que j’ai effectué », explique-t-il.
Il ne parle pas ici d’un dépassement de ses limites techniques, mais
plutôt d’un travail sur l’instrument lui-même, le clavier prévalant
sur le piano. Son plus récent enregistrement, lancé sous étiquette
Virgin Classics en mai 2007, couplait d’ailleurs des œuvres de Bach
avec les Douze notations et Incises de Boulez, choix qu’il
justifie par le fait que les deux compositeurs souhaitaient transcender
les limites de leur instrument respectif.
Si le programme
de son concert semble à première vue disparate, il n’en est rien,
puisqu’il se veut centré sur la tonalité de si mineur et les nombreux
jeux de couleurs qui y sont liés. Il s’ouvre ainsi avec le Prélude
et fugue en si mineur du premier volume du Clavier bien tempéré
de Bach. « Ce Bach est un peu l’œuvre germinale qui donne son sens
au programme », précise-t-il. Il y appose ensuite le rarement interprété
Adagio en si mineur de Mozart, que Fray situe dans le prolongement
de Bach – l’écriture à quatre voix pouvant être associée à
la fois au quatuor à cordes et à la fugue du Cantor –, mais qui
annonce aussi Schubert, par le côté dramatique qui s’en dégage.
Les Impromptus opus 90 de ce dernier se glissent alors spontanément
dans le parcours et permettent une transition aisée vers Der Doppelgänger
de Schubert/Liszt et l’architecturale Sonate. En proposant
un tel programme, il souhaite aiguiller le public, mais non de façon
autoritaire : « Il doit pouvoir tirer ses propres conclusions. Je fournis
les pistes, le terreau. Il est important de débanaliser les œuvres
en leur offrant un environnement différent, un nouvel éclairage et
de penser le public capable d’apprécier autre chose. »
Le nom du pianiste
circule beaucoup depuis quelques années et plusieurs voient en lui
un représentant important de la nouvelle école française de piano.
« Je me méfie des épithètes et il est important de ne jamais tomber
dans la facilité, de garder la même exigence, dit -il. J’aimerais
m’inscrire dans une certaine tradition d’interprètes que j’ai
toujours admirés, tels Willehm Kempf, Edwin Fischer, Artur Schnabel.
» Il préfère se concentrer sur les projets à venir plutôt qu’ébaucher
des rêves improbables. Dans les prochains mois seront lancés un nouvel
enregistrement de quatre concertos de Bach ainsi qu’un film de Bruno
Monsaingeon tourné en périphérie de ce projet. Fray participera aussi
à la tournée au Japon de Cecilia Bartoli, enregistrera un récital
Schubert et jouera Mozart à Salzbourg. Pourtant, il affirme : « Rien
n’a changé. Je suis un musicien, je travaille. Le plus important
n’est pas tant la reconnaissance que de se savoir compris, entendu.
»
Salle Pollack,
Université McGill, École de musique Schulich, 555, rue Sherbrooke
Ouest, Montréal ; 22 Octobre, 19 h ; 514-398-4547
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