Interpréter Messiaen : entrevue avec Louise Bessette Par René Bricault
/ 13 octobre 2008
Pour célébrer
le centenaire d’Olivier Messiaen, plusieurs interprètes et ensembles
montréalais ont choisi de présenter, cet automne, des œuvres de l’illustre
compositeur français. La Scena Musicale participera à cet Automne
Messiaen 2008 en vous proposant une série d’articles sur l’homme
et sa création.
Bien que le
centenaire de Messiaen soit célébré partout dans le monde, c’est
au travail aussi soutenu qu’acharné de la pianiste Louise Bessette
que nous devons la germination du projet montréalais Automne Messiaen
2008. La Scena Musicale a rencontré celle qui diffuse sa
passion pour la musique de Messiaen depuis de nombreuses années, histoire
de discuter des défis musicaux que pose le compositeur à ses interprètes.
Comment abordez-vous l’étude
d’une œuvre de Messiaen ? En quoi l’approche se démarque-t-elle
des œuvres d’autres compositeurs
?
Je déchiffre
une œuvre de Messiaen comme je vais déchiffrer n’importe quelle
œuvre classique, romantique ou contemporaine. Mais je me trouve dans
un état d’esprit différent. D’une part, cela fait trente ans que
je joue la musique de Messiaen; c’est donc un univers que j’ai complètement
assimilé. Ce qui me fascine chez lui, outre la puissance émotive de
son écriture, c’est le passage d’une extrême douceur à une extrême
violence. L’univers est ainsi, la vie aussi – on connaît d’ailleurs
son amour pour la nature, les oiseaux... Sa musique, c’est la vie,
finalement.
Votre préparation
diffère-t-elle beaucoup pour des œuvres en solo, de chambre ou avec
ensemble ?
Au-delà de
Messiaen, le fait de jouer en général pour différentes formations,
c’est en soi très différent. En ce qui concerne la préparation
du matériel de l’œuvre comme telle, au piano, on revient au déchiffrage :
cela se ressemble donc. La différence vient de la responsabilité totale
qui repose sur soi quand on joue en récital solo. C’est un travail
solitaire, et non de solitude : quand on est au piano, en train de réfléchir
à l’interprétation, d’entendre les sons qui sortent du piano,
on ne se sent jamais seule. Si on parle d’une œuvre comme le Quatuor
pour la fin du temps, avec quatre instruments, musiciens et personnalités
différents, on doit faire des négociations [rires] ! Quand je suis
en train de travailler les Vingt regards sur l’Enfant-Jésus,
je négocie avec moi-même. Durement, mais seulement avec moi-même.
Tandis qu’en musique de chambre, il est passionnant de comparer nos
idées, de trouver des solutions, de sentir des moments de grande confiance
et de fusion en concert – comme si on avait joué ensemble toute notre
vie.
Quand on se
retrouve avec orchestre, les négociations se font avec le chef. Puisque
la principale difficulté est le temps de répétition toujours très
court, le chef va habituellement rencontrer le soliste seul à seul
en répétition pour se faire une idée de son interprétation. C’est
à ce moment qu’on discute de certains points, pour faciliter les
répétitions avec l’orchestre. C’est aussi l’occasion de créer
un premier contact avec le chef. Il faut dire que Messiaen avec orchestre,
c’est extraordinaire !
Vous avez mentionné
les Vingt regards, une œuvre que vous avez souvent jouée. Votre
conception du cycle s’est-elle modifiée avec les années ?
J’avais 17
ans lorsque j’ai joué Vingt regards pour la première fois.
Ç’a été ma découverte de Messiaen, grâce à mon professeur de
l’époque, Raoul Sosa. Il m’avait donné à travailler la 11e pièce,
La première communion de la Vierge. Ce fut une révélation. Par
la suite, j’apprenais un nouveau Regard par-ci, par-là, selon
les circonstances des concours et des concerts. Mon interprétation
a dû changer, mais ce n’est pas quelque chose de conscient. Ce qu’il
y a de merveilleux, quand on retravaille une œuvre, c’est de redécouvrir
les détails oubliés de la partition, qu’on ne voyait plus. Cela
peut même arriver en concert ! Mais toujours spontanément, du moins
pour moi. Avec les années s’accumulent les petits « plus », une
bonification de la conception. On parlait du compositeur créant selon
sa vision de la vie; c’est la même chose pour l’interprète.
Messiaen s’est
lui-même défini comme un « rythmicien et ornithologue ». Ne trouvez-vous
pas qu’il sous-estime ainsi son travail harmonique ?
S’il s’est
donné ces qualificatifs, j’imagine que c’est probablement parce
que, selon lui, c’étaient les deux volets les plus importants de
sa personnalité. De là à dire qu’il considérait que le rythme
avait préséance sur l’harmonie en général, je l’ignore. Mais
c’est évident que son langage harmonique est très fort, et on le
reconnaît tout de suite tant il est personnel.
D’un point de
vue rythmique, articulez-vous différemment les rythmes hindous ou grecs,
d’une part, et ceux inspirés des chants d’oiseaux, d’autre part ?
J’y vais
dans le détail, surtout que Messiaen donne tellement d’indications.
Mais ces détails visent à livrer l’œuvre dans sa globalité. Il
est vrai que ses chants d’oiseaux sont plus légers, délicats –
je dirais même aériens –, tandis que les pièces plus rythmiques
comme Cantéyodjayâ me mettent dans un autre état d’esprit,
plus terrestre, plus « enraciné ». On l’entend assurément dans
le jeu.
Quels conseils
donneriez-vous aux jeunes pianistes qui voudraient s’attaquer aux
partitions de Messiaen ?
Chez mes étudiants,
je fais beaucoup travailler le rythme. Pour un jeune élève qui aborde
une œuvre de Messiaen pour la première fois, la rythmique est très
complexe. J’accorde beaucoup d’importance aux durées et aux contrastes
des tempi : Messiaen passe d’un extrême à l’autre là aussi. Il
tenait beaucoup à ses tempi extrêmement lents. Plusieurs interprètes
jouent trop vite les mouvements lents et c’est dommage, car cela brise
les contrastes. Il est particulièrement difficile pour les jeunes de
respecter ces tempi – et les longs silences, dont le vide effraie
–, de soutenir le son. C’est même plus difficile que la virtuosité.
Les jeunes sont fougueux, emportés par le rythme effréné de la vie
moderne ! Si Messiaen leur demande 36 à la croche, cela les met au défi
d’approfondir leur écoute intérieure. C’est très libérateur.
www.automnemessiaen.com
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