Un été de Brahms : Maestro Nagano sur le Génie Musical Par Crystal Chan
/ 8 juillet 2009
Pourquoi avez-vous choisi de vous
concentrer sur Brahms cet été ?
Brahms figure certes au répertoire de
l’OSM, mais cela faisait longtemps que nous n’avions pas donné
un grand cycle de ses œuvres. Or, depuis le début de ma collaboration
avec l’orchestre, nous nourrissions le projet de nous pencher sur
Brahms comme il avait été fait pour Beethoven, Schubert et Schumann.
Cette année, au Festival, l’OSM et moi avons la chance de pouvoir
inaugurer cette première collaboration avec une série regroupant toutes
les symphonies de Brahms, son requiem et d’autres chefs-d’œuvre.
Un festival, en effet, est l’occasion de porter un regard neuf sur
les œuvres, puisque les concerts ont lieu dans un cadre inhabituel.
Vous avez déjà dit que Mozart est
le compositeur que vous préférez. Comment se compare la musique de
Brahms à celle de Mozart et d’autres grands compositeurs ?
Pour répondre, il faudrait commencer
par se demander ce qu’est un grand compositeur et ce qui fait que
ses pièces sont de grandes œuvres. La réponse est partiellement subjective,
certes, mais il existe des éléments sur lesquels tout le monde peut
tomber d’accord. Les œuvres de grands compositeurs sont assez solides
pour résister aux assauts du temps, et elles ont une telle profondeur
qu’elles parlent aux générations qui suivent et survivent aux modes
et aux changements d’époque. Ces œuvres sont un miroir dans lequel
l’humanité se reconnaît. Si l’auditoire et les musiciens sont
unanimes pour dire que la musique d’un compositeur est exceptionnelle,
qu’elle parle de valeurs universelles, s’adresse à toute l’humanité
et est animée par un langage, un style et une personnalité qui la
rendent reconnaissable entre toutes, on se trouve devant un phénomène
qu’on appelle le génie.
Quelles sont les clés qui permettent
de décrypter l’œuvre de Brahms ?
Ce n’est pas une question facile, parce
que chacun peut y répondre à sa façon. En ce qui me concerne, à
part la maîtrise de la partition et du style, je pense qu’il faut
comprendre l’esthétique de l’Allemagne du Nord (Hambourg) et l’influence
importante des milieux culturels de Vienne où Brahms a passé l’essentiel
de ses années créatives de maturité. Contrairement au lieu commun
qui voudrait que la musique de Brahms soit très lourde, en fait, son
métissage culturel fait que sa musique est fort délicate, dans le
style viennois, mais empreinte d’une nostalgie toute nordique.
En 2002, vous avez dirigé
Ein deutsches Requiem (Requiem allemand) avec le National
Symphony Orchestra. La programmation de ce concert était
originale, puisque vous avez intercalé, entre les différentes parties
du requiem, des mouvements d’une
œuvre de Rihm, Das Lesen der Schrift
(Lire l’écriture). Pensez-vous que la juxtaposition
de la musique romantique et contemporaine a fait ressortir quelque chose
que vous n’aviez encore jamais remarqué
en Brahms ? Après cette expérience, avez-vous abordé
le requiem d’une façon différente ?
On oublie souvent qu’à sa création,
dirigée par Brahms en personne, des pièces étaient intercalées entre
les mouvements, une première dans l’histoire de la musique. D’ailleurs,
à cette occasion, seule une partie du requiem avait été présentée,
en plus des œuvres d’autres compositeurs, notamment des extraits
du Messie de Haendel. En effet, même si les textes choisis par
Brahms venaient de la Bible, il semble que les promoteurs du concert
se soient inquiétés de l’absence de toute mention du Christ. Étant
donné que c’était un concert de Pâques, on a décidé de rajouter
des extraits d’autres œuvres pour compléter le récit de la Passion.
Il n’existe donc aucune obligation de présenter cette œuvre dans
l’ordre, sauf si l’on s’en tient aux conventions établies.
D’autre part, une performance
séquentielle entraîne le risque que la force de l’habitude émousse
l’impact du texte, qui pose de grandes questions existentielles et
spirituelles. De plus, c’est très éprouvant pour le chœur sur le
plan physique. Ce dernier point est surtout vrai en ce qui concerne
les parties où l’écriture est particulièrement touffue, par exemple
entre le 6e et le 7e mouvement. Rihm a composé des intermezzos qui
s’inspirent des tonalités, des textures et du contenu des mouvements
qui les précèdent immédiatement et qui amènent l’auditeur graduellement
vers le mouvement suivant. Pour l’auditoire, c’est un temps de réflexion
sur le sens des textes qu’il vient d’entendre.
Brahms a composé quatre symphonies
qui sont autant de chefs-d’œuvre. Comment ses symphonies se comparent-elles
entre elles et à celles des autres grands ?
Elles ont donné l’impulsion aux symphonies
romantiques qui suivaient les traces de Beethoven. Il est toutefois
impossible de comparer ces grandes symphonies l’une à l’autre,
puisqu’elles sont très différentes. La Première a connu
un succès éclatant dès sa création, faisant la preuve que Brahms
était le digne héritier de Beethoven. Brahms fut un visionnaire qui
a infléchi l’évolution de la musique en Europe et exercé une énorme
influence sur les compositeurs qui l’ont suivi, en particulier Arnold
Schoenberg et Richard Strauss, avec leurs styles musicaux radicalement
différents. Quand on écoute les quatre symphonies, on se rend compte
que le compositeur a poussé les limites de l’harmonie et de la structure
jusqu’à les faire sauter. D’ailleurs, on dit que la Quatrième
est la dernière symphonie romantique. Entre la tension qui se manifeste
dans le dernier mouvement, doux mais révolutionnaire, de la Troisième
et le caractère brillant de la passacaille aux robustes harmonies qui
forme le dernier mouvement de la Quatrième, on ne peut qu’admirer
le génie précurseur de Brahms.
Quelles sont les difficultés quand
on
dirige et qu’on joue du Brahms ?
Trouver la légèreté et le raffinement
délicat dans la puissance et la force. La couleur, la langue, la souplesse
doivent être au rendez-vous. Ce n’est qu’à ce prix que l’œuvre
peut prendre vie. n
[Traduction
par Anne Stevens]
Nagano au concert :
1 août – Un requiem allemand de Brahms; Festival de Lanaudière,
www.lanaudiere.org
7, 8, 13, 16 août – les symphonies de Brahms; Festival de Knowlton,
www.knowltonfestival.com |
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