Jean-François Lapointe Après l'Europe Par Wah Keung Chan
/ 4 juin 2008
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Le
baryton québécois Jean-François Lapointe rentre d’Europe porté
par un idéal. Sous l’apparente réserve de l’homme se cache un
artiste passionné, résolu à défendre la culture. Après avoir fréquenté
les scènes européennes pendant 20 ans, Lapointe – qui aborde maintenant
des rôles un peu plus lourds – veut ramener au Canada le fruit de
son expérience à l’étranger.
Les débuts, les concours
Jean-François
Lapointe était destiné à devenir musicien. Né à Hébertville au
Lac-Saint-Jean, il grandit à Chicoutimi et prend ses premières leçons
de piano et de violon à 6 ans. Bientôt, Jean-François chante à l’église
au côté de son père, un excellent chanteur amateur qu’il accompagnera
plus tard au piano. Suivent les cours de chant et de direction.
Comme la plupart
des jeunes musiciens, Lapointe participe au Concours de musique du Canada.
Mais contrairement à la majorité, il tient à gagner : à 16 ans, le
voici lauréat de la catégorie des 18 à 20 ans; à 17 ans, gagnant
chez les 20 à 22 ans; à 18 ans, vainqueur chez les 22 à 24 ans. Plus
déterminé que jamais, il fait et réussit des auditions. Le jeune
chanteur qui s’est produit à 16 ans avec l’Orchestre symphonique
de Chicoutimi va ensuite poursuivre ses études à l’Université Laval
où il décroche une maîtrise sous la direction de la grande Louise
André.
À 22 ans, une
victoire au Concours international de chant à Paris lui ouvre la voie
à une carrière européenne. En même temps qu’il fait ses premières
armes dans l’opérette française, il prend des leçons avec le renommé
Martial Singher à Santa Barbara. « C’est avec lui que j’ai étudié
le moins longtemps, mais son enseignement m’a profondément marqué. »
Dès leur première rencontre, le maître affirme après l’avoir entendu
dans l’air de Valentin (Avant de quitter ces lieux), qu’il
est déjà un professionnel. Fort de cet encouragement, Lapointe se
remet au travail. « D’après Singher, je pouvais augmenter ma projection
vocale de 20 pour 100 en modifiant ma position et en ouvrant davantage
la cage thoracique. Il m’a enseigné le raffinement, la justesse du
style, m’a expliqué comment atteindre le naturel dans le répertoire
français. » Les bons chanteurs sont légion et Singher a aidé Lapointe
à se démarquer. « Au niveau international, il n’est plus seulement
question de volume ou de projection. Il faut se distinguer par une spécialité,
être unique, aisément reconnaissable par le timbre, le style, le cheminement
professionnel, la façon de travailler. Ainsi, je n’aime pas toujours
les œuvres contemporaines, mais j’en respecte le côté créateur
et la démarche artistique. »
La carrière internationale
De tous les rôles
de Jean-François Lapointe, c’est celui de Pelléas, dans l’opéra
de Debussy, qui lui est le plus souvent associé. Un personnage qu’il
a incarné plus de 200 fois depuis 1988, le premier rôle important
qu’il ait appris. Grâce à Peter Brooke, il le chante – à 27 ans
– d’un bout à l’autre de l’Europe, y compris à Paris, et par
la suite jusqu’à la Scala de Milan. La dernière fois qu’il a incarné
Pelléas, c’est en juin 2007, au Théâtre des Champs-Élysées à
Paris, mais le rôle est inscrit à son agenda jusqu’en 2012. « Je
le mettrai alors sans doute de côté, car la tessiture est un peu élevée
maintenant. Le temps sera venu de chanter [le rôle de] Golaud. »
Spécialisé qu’il
est dans le répertoire français, romantique ou léger, le chanteur
passe dix mois de chaque année en Europe où, aime-t-il préciser,
toutes les villes de 60 000 à 100 000 habitants possèdent leur propre
compagnie d’opéra. Ses rôles de prédilection sont Hamlet, Valentin
dans Faust, Mercurio dans Roméo et Juliette, Lescaut
dans Manon. Après 20 ans de carrière, la voix de Lapointe a
mûri. Il explique: « J’ai tellement chanté qu’il est normal que
ma voix prenne de l’ampleur. » D’ailleurs il a déjà joué Figaro
(Le Barbier de Séville) à Paris, le comte Almaviva (Les
Noces de Figaro) à Nancy et Don Giovanni à Trieste. Le
mois dernier, Lapointe a fait ses débuts en Escamillo dans Carmen
à l’Opéra de Lausanne aux côtés d’une compatriote, Nora Sourouzian,
dans le rôle-titre. Le spectacle sera repris à Vichy les 7 et 8 juin
– d’où le report au 15 juin du récital de Lapointe à la Société
André Turp. Cette Carmen fera une tournée du Japon en octobre
prochain. Sur un horizon proche se profilent déjà Les Troyens,
Les Pêcheurs de perles, Fortunio, Dame de pique,
Eugene Onéguine et, dans deux ans, les rôles de Verdi pour baryton
lyrique aigu, à commencer par Ford dans Falstaff. « Chaque nouveau
rôle est une sorte d’épreuve », confie-t-il.
Les nombreux engagements
à l’étranger privent le chanteur de la présence de sa famille et
de ses trois enfants. « En Europe, les répétitions durent maintenant
sept ou huit semaines. C’est très long. Nous vivons désormais à
l’ère du metteur en scène. La mise en scène accapare une grande
partie du temps de travail, souvent d’ailleurs en raison d’une préparation
insuffisante. » Lapointe donne l’exemple de Pelléas et Mélisande :
« C’est un opéra difficile sur le plan musical mais qui, avec son
nombre limité de personnages, présente relativement moins de défis
scéniques que d’autres œuvres lyriques. La mise en scène de
Pelléas peut être réglée en peu de temps avec des artistes expérimentés. »
Sur le plan financier, l’allongement de la période de répétitions
n’est pas avantageux non plus. Et le chanteur de conclure : « Quatre
semaines, c’est juste bien. »
Opérette
Le baryton lyrique
qu’était Jean-François en entamant sa carrière a fait une grande
place à l’opérette dans son répertoire. Les Montréalais se souviendront
de lui dans le rôle de Danilo (La Veuve joyeuse).
« J’adore ce répertoire que malheureusement je ne chante plus beaucoup. »
Ici, Lapointe tient à corriger une perception fausse : « Contrairement
à ce que l’on croit souvent, le chanteur d’opérette fait un métier
extrêmement difficile. Il doit savoir tout à la fois chanter, danser,
déclamer, jouer. Il y a beaucoup d’ensembles dans les opérettes,
la chorégraphie est abondante, exigeante. Or la prestation musicale
doit demeurer irréprochable. Sur le plan purement vocal, les rôles
de baryton sont souvent difficiles. Ils exigent néanmoins une grande
musicalité. Bref, pour que l’opérette soit un succès, il faut non
seulement des décors élaborés mais beaucoup de gens très talentueux. »
Lapointe estime que le genre mériterait plus d’appui : « C’est en
Allemagne, où se trouvent la moitié de toutes les maisons d’opéra
au monde, que l’opérette est le mieux soutenue. En France, elle est
mal servie. Le Châtelet, à Paris, se consacrait autrefois exclusivement
à l’opérette mais, de nos jours, c’est en province surtout qu’elle
prend l’affiche. » La présence de l’Opéra français de New York
est encourageante, à son avis. Il ajoute : « Il me semble que Montréal
serait un bon marché pour le répertoire français, tant romantique
que léger. »
À la défense de
la culture
Fait plutôt rare
chez les chanteurs, Lapointe a toujours manifesté de l’intérêt
pour le côté administratif du métier. Il a assumé la direction artistique
de la Chapelle du Bon-Pasteur à Québec pendant cinq ans au début
des années 1990 et, pendant sept ans, celle de la Société d’Art
lyrique du Royaume à Chicoutimi, où il a dirigé l’orchestre dans
La Vie Parisienne, La Veuve joyeuse, La Belle Hélène,
Pomme d’Api et
Orphée aux
Enfers. « En Europe, on ne s’attend pas à ce que les productions
d’opéra fassent leurs frais, puisque c’est impossible; c’est
pourquoi on les subventionne si généreusement. Une production d’opéra
coûte deux millions de dollars, sinon trois, alors pourquoi monter
des opéras avec des budgets de 600 000 $ ou un million, comme nous le
faisons au Canada ? Il ne reste plus d’argent pour le marketing. Il
faudrait nous rendre compte que la culture, c’est important, et arrêter
de confondre les termes, culture artistique et culture sociale. Nous
n’exigeons pas des musées qu’ils rapportent de l’argent; nous
savons qu’ils existent pour protéger notre patrimoine. La même chose
vaut pour les arts. C’est une question de priorité des gouvernements.
La culture d’un peuple, ce n’est pas seulement ses acquis sociaux
[les soins de santé, par exemple]. Il faut s’investir dans les choses
de l’esprit, cultiver les arts pour eux-mêmes. »
La mélodie
Parmi les formes
d’art que Jean-François Lapointe défend avec passion se trouve la
mélodie française. Il vient d’ailleurs d’enregistrer deux disques
de mélodies sur étiquette Analekta avec la pianiste Louise-Andrée
Baril. « La mélodie invite aux nuances », explique le chanteur
avec chaleur. Elle marie l’infinie beauté et l’extrême finesse
d’un texte avec une musique sublime. Hahn, Duparc, Poulenc, Chausson,
Massenet, Godard et Saint-Saëns ont écrit d’innombrables mélodies
qui sont rarement chantées. »
Le mot de la fin
Lorsqu’on demande
à Jean-François Lapointe s’il a des idoles, il répond qu’il adorait
autrefois Sherrill Milnes et Placido Domingo, mais ajoute : « Maintenant
j’admire Domingo pour sa polyvalence artistique et pour sa longévité. »
Passionné qu’il est de chant, de direction d’orchestre et d’administration
des arts, gageons que la longévité artistique de Lapointe fera également
parler d’elle un jour. n
Engagements prochains au Canada
› -Récital, 15 juin, Montréal, Société
André Turp, turp.com
› -Direction d’orchestre, La Belle
Hélène (Offenbach), les 27, 28, 29 juin, Opéra Théâtre de Rimouski,
operarimouski.com
› -Danilo, La Veuve joyeuse (Lehár),
9 août, Dunham, Fondation des Jeunesses Musicales du Canada, jeunessesmusicales.com
› -Récital, 25 août, Le Rendez-Vous
Musical de Laterrière, rendezvousmusical.com
› -Soliste, Poème de l’amour et
de la mer (Chausson), les 26, 27 et 28 novembre, Orchestre symphonique
de Québec, osq.org
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