Jazz at Lincoln Center Orchestra : Le Swing au plus-que-parfait Par Paul Serralheiro
/ 11 mai 2008
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Que de beaux souvenirs d’une autre
époque : sections de saxes, de trompettes et de trombones jouant en
syncopes devant une section rythmique qui marquait la cadence pour un
public de danseurs enivrés. Ainsi en était-il à l’apogée du swing
lorsque les big bands avaient pour vocation de faire danser. Pourtant,
le style établi par les grandes formations d’antan n’a rien perdu
de son attrait depuis.
À la fin de juin, par exemple,
l’un des ensembles les plus réputés dans le genre, le Jazz at Lincoln
Center Orchestra (JLCO) se produira en soirée d’ouverture du Festival
International de Jazz d’Ottawa (le 20 juin) avant de s’envoler dans
l’Ouest canadien pour cinq autres concerts. Reconnu comme porte-étendard
de la tradition du big band jazz — ce qui n’exclut pas pour autant
quelques éclairs de modernité dans ses concerts — cet orchestre
d’allégeance néoconservatrice est taillé à la mesure de la personnalité
musicale de son directeur artistique Wynton Marsalis. (À notre grand
regret, le trompettiste ne pouvait être rejoint pour une entrevue,
car il se trouvait en pleine préparation d’un concert pour orchestre
et chœur marquant le 200e anniversaire de l’Abyssinian
Church à Harlem.)
Bien que le terme « big band »
soit d’usage répandu, d’autres désignations pour les grandes formations
sont aussi devenues monnaie courante, entre autres, « orchestre de jazz »
ou encore « orchestre de musique créative ». Pour sa part, Ted Nash,
saxophoniste, compositeur, arrangeur et codirecteur du JLCO, ne voit
pas le besoin de faire des distinctions. Au cours d’une récente conversation
téléphonique, il a rappelé que les termes « orchestre de jazz » et
« big band » veulent dire la même chose, les deux désignant tout simplement
un regroupement de musiciens. Nash devrait le savoir, puisqu’il jouit
d’une solide expérience dans les big bands et ce, dès ses études
secondaires. Par la suite, il a fait partie du Monterey All-Stars et
d’autres formations traditionnelles, dont celles de Lionel Hampton
et de Louis Bellson, sans compter des séjours dans des ensembles plus
novateurs (Don Ellis, Gerry Mulligan et Toshiko Akiyoshi.) « C’était
une bonne façon pour un joueur d’anches d’avoir du travail, explique-t-il,
il y en a cinq par orchestre après tout. »
Une palette élargie
Mais le défi d’un orchestre
de jazz est très différent de celui d’un petit ensemble. « Le big
band est une rude épreuve aussi, particulièrement pour les personnes
qui ont un surplus d’ego et qui acceptent mal un rôle de soutien.
Cela nous oblige à penser à la collectivité plutôt qu’à soi-même.
En petite formation, comme en quartette ou en quintette, vous avez davantage
de place comme soliste, alors il est plus facile d’obtenir de la reconnaissance,
mais je me plais autant dans ces deux contextes. » Nash, faut-il ajouter,
est l’un des architectes de l’esthétique du JLCO, qui recoupe autant
le jazz classique que le free bop d’Ornette Coleman. « Ce que je préfère
vraiment, c’est composer pour un big band. Il y a tellement d’instruments
avec lesquels on peut travailler, et tellement de façons différentes
de créer des textures et des couleurs sonores. »
Taillé dans une certaine mesure
selon la vision et l’approche instrumentale de Wynton Marsalis, son
soliste-vedette, le JLCO possède aussi une personnalité unique à
l’instar d’illustres prédécesseurs, tels Ellington, Basie, Webb
et les frères Dorsey. À ce sujet, Nash définit le son de l’orchestre
comme suit : « Tous les membres sont de fortes personnalités capables
de produire un son d’ensemble différent de tout ce que j’ai entendu
auparavant, mais nous ayons des similitudes avec l’orchestre d’Ellington,
notamment, une certaine brillance sonore. » Nash se dit en parfait accord
avec les dires de l’un de ses collègues, le trompettiste Marcus Printup :
la singularité du JLCO tient au fait que chaque membre est un soliste
accompli. Nonobstant cet atout, le saxo remarque : « Nous cherchons toujours
à jouer dans l’esprit d’un concept musical donné, en laissant
toutefois nos individualités s’exprimer au-travers de notre sonorité
d’ensemble. »
Un cadre structuré
En dépit des difficultés d’appréhender
la musique par les mots, il appert que l’esthétique de l’orchestre
est intimement liée à son enseigne new-yorkaise. « Contrairement à
l’atelier, poursuit Nash, nous travaillons dans un cadre beaucoup
plus structuré et nous devons donc nous préparer en conséquence.
Comme il y a un public acheteur de billets, il faut dresser des programmes
qui soient bien définis, mais menés d’une manière créative. »
S’il existe une grande différence
entre les big bands classiques et le JLCO, c’est celui de jouer un
rôle comparable à celui d’un orchestre symphonique. Nash l’exprime
ainsi : « Pour moi, un orchestre de jazz, c’est une question de couleurs
des instruments, comme dans une symphonie. » Vu ainsi, il lui semble
tout aussi important que nécessaire de se porter garant de l’héritage
du jazz. Certains ont pu reprocher au JLCO de trop s’en tenir à cette
mission. « C’est toujours un problème, quoi que nous fassions. Notre
répertoire est ancien, soit, mais nous l’abordons avec respect en
y apportant une touche de fraîcheur. C’est comme aller entendre Beethoven
à la Philharmonique : on veut que ça sonne comme du Beethoven. La musique
que nous interprétons mérite un égal respect. »
L’improvisation au centre
Dans un orchestre de jazz, toutefois,
l’improvisation est une composante indispensable, même si elle se
trouve en dialectique constante avec la musique écrite. À cette fin,
« les arrangements sont conçus en fonction du son de groupe, tandis
que les solos sont des points d’appui », dit Nash. « L’improvisation
est un élément-clé, c’est la marque de commerce du jazz après
tout. Peu importe la complexité de la composition ou de son interprétation,
les solos constituent en quelque sorte les moments forts de chaque pièce. »
Dans la tournée canadienne, nous
dit-il, le JCLO puisera des morceaux dans son vaste répertoire. « Nous
faisons une sorte de Best of qui comprend des pièces plus traditionnelles
ainsi que quelques créations originales. Parfois, nous établissons
un thème général, ou un certain fil conducteur si vous le voulez,
mais cela nous offre quand même un bon degré de latitude dans nos
choix. » Soucieux à la fois de la tradition de l’orchestre de jazz
et d’une certaine actualité, le JLCO établit un standard qui fait
de lui l’envie de bien des big bands de notre époque !
[Traduction : Alain Cavenne]
Quelques big bands à surveiller |
Le big band de mouture traditionnelle
se porte bien, grâce autant à ces orchestres fantômes dont les chefs
fondateurs ont disparu qu’à des formations plus récentes. Les festivals
de jazz de cet été promettent d’ailleurs plusieurs belles surprises
à ce titre.
L’orchestre de Tommy Dorsey,
l’une des plus célèbres formations de l’âge d’or du swing,
se caractérisait par la sonorité sauve et velouté de son chef tromboniste
et de ses chanteurs, le grand Frank Sinatra en tête de liste. La musique
de cet ensemble se fait toujours entendre de nos jours sur les bateaux
de croisière, mais l’orchestre qui la joue se produira à Montréal
le 6 juillet prochain dans un concert conjoint avec une autre formation-phare
de l’ère du swing, l’orchestre de Glenn Miller. Réputé
surtout comme arrangeur et compositeur de tubes comme Tuxedo Junction
et In the Mood, Miller, nous dit-on, a péri lorsque son avion
a été accidentellement abattu au-dessus de la Manche en 1944 — histoire
pourtant jamais confirmée. Soixante ans plus tard, sa musique retentit
toujours et l’orchestre qui s’y consacre se fera entendre dans une
douzaine de villes au Canada durant l’été, entre autres à Fredericton,
Toronto, Calgary et Victoria.
L’orchestre de Lionel Hampton
est une autre formation qui a fait les belles heures du swing, grâce
à l’originalité et à la longévité de son chef vibraphoniste disparu
en 2002. Le Big Band Caravane rendra un hommage à Hampton le
22 juin, au Festival international de jazz d’Ottawa. À Ottawa également,
le 30 juin, l’orchestre Impressions in Jazz
(un ensemble aux choix de répertoire imaginatif dirigé par le contrebassiste
local Adrian Cho) s’attaquera à la musique de
l’orchestre de Stan Kenton. Sur sa page Web, cet orchestre de répertoire
se présente comme le premier orchestre symphonique de jazz du Canada,
ayant livré des interprétations ambitieuses d’œuvres de John Coltrane
(Africa Brass) et de Gil Evans (Miles Ahead). À Montréal,
enfin, le pianiste McCoy Tyner partagera la vedette avec le Berklee Concert Jazz Orchestra le 3 juillet, dans une rare performance
big band de sa propre musique. |
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